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17/01/2009

Le spationaute (2ème épisode)

Premier épisode dans la rubrique "Feuilletons", colonne de gauche

 

La bâche du camion était relevée, si bien qu'Émile put se rendre compte qu'il allait mourir par une superbe journée d'été, mais aussi que le camion roulait le long de l'avenue qui longeait la plage. Bientôt, toujours d'après le paysage qui défilait derrière le véhicule, il comprit que celui-ci prenait la direction d'un lieu appelé "Terminus", situé à l'extrémité nord de la station. C'était là-bas que se trouvait, construit dans les dunes, face à la mer, un bâtiment en béton, qui avait été conçu à l'origine pour accueillir d'anciens "poilus" de 14/18 ayant subi les méfaits du gaz moutarde. Mais lorsque l'ouvrage fut achevé en 1922, compte tenu de son aspect gris, rébarbatif, en opposition totale avec l'hôpital de la Plage qui lui avait été construit avec des briquettes rouges, on choisit plutôt d'en faire une usine de pièces mécaniques. Comme le bâtiment était largement à l'écart, à un endroit où les estivants ne se rendaient jamais, cela n'avait en rien nui à la renommée de Belvédunes Les Allemands l'avait bien sûr réquisitionné, et l’on disait dans la ville qu'il s'y .préparait de drôles de choses. Mais ce n'était que des rumeurs difficilement vérifiables, car comme pour l'hôpital de la Plage, tout le personnel avait été congédié et remplacé par des Allemands, et il était interdit d'approcher à moins de trois kilomètres de l'endroit par la plage. Un poste de contrôle avait par ailleurs été installé au début de la route qui permettait d'y accéder depuis la ville.

Le camion finit par s’arrêter derrière l'usine qui émergeait de hautes dunes de sable fin, piquées de-ci de-là de touffes d'oyats, et les soldats ordonnèrent par gestes à Émile de descendre. Entourant l'usine, il y avait plusieurs casemates de béton dont les fondations se perdaient dans les profondeurs du sable, que l'on appelait des blockhaus d'après les dires de certains. Toujours d'après ces dires, Hitler avait fait construire ces blockhaus sur tout le littoral de la Manche et de la mer du Nord, afin de parer une attaque des Britanniques. Émile ne put s'empêcher de penser à toutes les rumeurs qui allaient bon train à propos de cet endroit, et ressentit une certaine angoisse. Mais il se ressaisit très vite. Après tout, que risquait-il de pire que d'être fusillé ?

Deux soldats l'encadraient toujours, et le conduisirent jusqu'à une porte en fer qui s'ouvrit d'un coup pour laisser apparaître le civil qui l'avait interrogé une semaine plus tôt. Celui-ci était encore en chemise et pantalon, mais portait maintenant un monocle qui relevait sa paupière droite.

— Bonjour, monsieur Rivet ! s'exclama-t-il. Et soyez le bienvenu. Si vous voulez bien me suivre, je vais vous montrer quelque chose de formidable.

Il parla aux deux soldats qui laissèrent Émile partir seul à la suite de l'homme au monocle qui le fit entrer à l'intérieur de l'usine. Ils se retrouvèrent dans une pièce étroite et faiblement éclairée ; suffisamment toutefois pour discerner un escalier en fer.

— Allez, monsieur Rivet, dit l'homme au monocle, montez donc cet escalier.

En même temps qu'il disait cela, il sortit d'un étui qu'il portait à la ceinture, un pistolet de bonne taille.

— Juste une petite précaution, précisa-t-il.

Émile savait de toute façon que ça n'aurait servi à rien d'essayer de se rebeller : le bâtiment devait être truffé de soldats en armes.

Il monta donc l'escalier, en sentant le souffle de l'homme au monocle dans son cou. Au fur et à mesure qu'il montait, il y voyait de plus en plus clair ; et pour cause, il arriva bientôt à l'air libre, sur le toit de ce qui avait été jusqu'en mai 1940, l'usine des Dunes.

— Admirez donc le panorama ! s'exclama l'homme au monocle.

Il était vrai que du toit de l'usine qui était en fait une dalle en béton faisant parfaitement office de terrasse, la vue était superbe.

On pouvait admirer la mer qui était retirée, bleu, calme, à peine ridée de vagues. On voyait également sur la gauche, quelques flobarts posés sur le sable ; ces bateaux à fonds plats constituaient en quelque sorte les vestiges de l'époque où Belvédunes vivait avant tout de la pêche. Un peu plus loin, apparaissait l'hôpital de la Plage qu'Émile avait eu l'occasion de bien connaître de l'intérieur, et non pas seulement par ses murs de brique rouge. Et bien sûr, on pouvait admirer la plage de sable fin, lumineuse sous le soleil et un ciel d'azur.

Mais il sembla qu'Émile ne regardait pas du bon côté, du moins au goût de l'homme au monocle.

— Mais regardez plutôt à droite, dit-il.

Émile s'exécuta, et découvrit, se trouvant à environ un kilomètre de distance, émergeant des dunes, ce qui semblait être une immense bombe, posée à la verticale, et donnant l'impression d'être appuyée contre une espèce de tour métallique à peu près aussi haute que le mystérieux engin.

Émile fixa l'homme au monocle d'un air interrogateur.

— Vous savez ce que c'est, monsieur Rivet ? demanda celui-ci.

Émile fit non de la tête.

— Vous n'en avez pas la moindre idée ? insista l'autre.

— Je ne sais pas, une bombe, peut-être ? hasarda Émile.

L'autre éclata de rire, puis, se resaississant, dit :

— Oui, après tout, ça pourrait en être une. Mais en fait, il s'agit d'une fusée. Vous avez déjà entendu parler des fusées, monsieur Rivet ?

— Heu... oui, fit Émile qui avait dû lire quelque chose un jour sur le sujet.

— Oui, une fusée ! s'enthousiasma alors l'homme au monocle. Une fusée qui va partir dans l'espace ; et qui va même tourner autour de la terre, puis revenir ; et cela dans moins d'une heure.

Émile ne cacha pas sa surprise, et l'autre continua :

— Sachez, monsieur Rivet, que le IIIème Reich a atteint un développement technologique très important. Si bien que d'ici environs cinq ans, le drapeau à swastika sera planté sur la lune ; planté par des officiers du Führer ! Seulement, chaque chose en son temps, et pour l'instant, il faut se contenter d'envoyer un homme dans l'espace et de le faire revenir.

Émile commença à transpirer abondamment, et pas seulement à cause du soleil qui cognait dur sur le toit de l'usine.

Cela amusa l'homme au monocle qui déclara avec un petit sourire :

— Je vois que vous avez compris, monsieur Rivet, que vous allez avoir l'honneur d'être le premier homme à voyager dans l'espace ; le premier spationaute de l'Histoire, qui va partir dans une fusée allemande. Mais rassurez-vous, vous êtes tout à fait capable de supporter une centaine de minutes dans l'espace, monsieur Rivet ; nous avons fait tous les examens nécessaires pour nous en assurer. Vous n'avez rien à craindre, vous reviendrez sain et sauf. Et vous serez fêté en héros. C'est pour cela que j'étais chagriné l'autre jour d'apprendre que vous n'aviez pas d'épouse, et pratiquement plus de famille... pratiquement plus personne pour se réjouir de votre exploit.

Émile souriait jaune, et de la sueur dégoulinait sur son visage.

— Avouez, monsieur Rivet, continua l'autre, que ce que je vous propose est quand même plus glorieux que de finir bêtement fusillé. Car bien entendu, si vous refusiez de faire ce voyage, c'est à cela que vous auriez droit : le peloton d'exécution pour intelligence avec l'ennemi ! Alors, vous acceptez ma proposition ?

(la suite samedi prochain)

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