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24/01/2009

Le spationaute (3ème épisode)

Épisodes précédents dans la rubrique "Feuilletons" colonne de gauche

— Je n'ai pas vraiment le choix, soupira Émile.

L'homme au monocle qui gardait son pistolet pointé sur Émile, lui tapota amicalement le bras pour dire :

— Bravo, monsieur Rivet, je me doutais bien que vous étiez l'homme de la situation. Sachez que nous avons éliminé cinquante personnes avant vous, pour insuffisance physique, et... psychologique. Je vous informe de cela pour que vous soyez définitivement assuré que vous avez sauvé votre vie, mais qu'en plus, vous ne risquez absolument rien en embarquant dans notre fusée. Votre organisme peut parfaitement supporter cette expérience.

Émile ravala sa salive, tandis que l'homme au monocle le priait de bien vouloir reprendre l'escalier.

Il obéit, et descendit les marche de fer. Une fois en bas, l'homme au monocle ouvrit une porte, et invita Émile à le suivre. Il avait rangé son pistolet, jugeant apparemment cet accessoire complètement inutile désormais.

Il n'avait pas tord, car Émile était définitivement, irrémédiablement résigné.

Il sursauta toutefois quand il se retrouva dans une immense pièce éclairée par une myriade de petites ampoules fixées au plafond, où s'affairaient un tas d'individus vêtus de blanc. La plupart étaient assis derrière des écrans incrustés dans un immense tableau constellé de boutons et de voyants qui clignotaient. D'autre allaient et venaient dans la pièce où l'on pouvait entendre un léger bourdonnement assourdi, avec des fiches à la main.

À l'entrée d'Émile et de l'homme au monocle, ces derniers s'étaient figés d'un coup, et les individus derrière les écrans s'étaient retournés vers eux. Chacun se mit alors à regarder attentivement Émile, et l'homme au monocle prit la parole en français.

— Messieurs, annonça-t-il, je vous présente monsieur Émile Rivet qui va partir à bord de notre fusée.

Le son de sa voix était amoindri comme le bourdonnement continu, car les murs de la pièce étaient apparemment tapissés d'une matière isolante.

L'homme au monocle continua :

— Oui, monsieur Rivet va effectuer le premier vol orbital de toute l'histoire de l'Humanité. Plus tard, on se souviendra que c'est le 8 juillet 1943, qu'un homme a voyagé pour la première fois dans l'espace.

Tout le monde regardait Émile en hochant la tête, en silence, avec un sourire à la fois bienveillant et admiratif. L'intéressé en arriva même à oublier qu'il allait certainement exploser avec leur satanée fusée, et se surprit à répondre à leur sourire.

— Bon, trancha l'homme au monocle qui n'était pas le dernier à hocher la tête et à sourire, monsieur Rivet va maintenant se préparer.

Il s'adressa alors en allemand à un individu chauve, grand et maigre, avec une blouse blanche qui lui arrivait aux pieds.

Puis il s'adressa de nouveau à Émile comme pour bien lui signifier qu'il ne voulait surtout rien lui cacher.

— Vous allez revêtir votre tenue spatiale maintenant, monsieur Rivet. Cette tenue est absolument nécessaire pour effectuer votre vol autour de la terre. Pour cela, vous allez suivre ce monsieur.

Émile obéit une fois encore, et suivit le grand maigre qui l'amena dans une autre pièce.

Le grand maigre ouvrit une armoire métallique, et en sortit une combinaison de cuir noir. Il la tendit à Émile, sans rien dire ; mais celui-ci comprit aisément qu'il lui fallait l'enfiler. Pour cela, il ôta les chaussures de toile qu'il portait aux pieds, et passa la combinaison de cuir. Elle était parfaitement à sa taille, mais dès qu'il en fut vêtu, il recommença à transpirer, car le cuir ce n'était pas vraiment l'idéal compte tenu de la chaleur qu'il faisait dans la pièce.

Le grand maigre prit alors dans l'armoire une paire de bottes également en cuir. Il les donna à Émile qui les chaussa ; puis ensuite ce fut au tour d'une paire de gants bien évidemment en cuir, et enfin, le grand maigre tendit à Émile un énorme casque un peu comparable à celui des soldats allemands, et de couleur noire comme le reste de la tenue. Ce casque était muni d'une visière apparemment en verre, qui était pour l'instant relevée. Émile bouillait de chaleur, aussi s'abstint-il de coiffer le casque pour l'instant. Il le garda sous le bras, en pensant qu'il devait parfaitement ressembler à un motard ainsi, mais un motard du futur, qui allait en plus emprunter une bien drôle de moto.

Le grand maigre lui fit signe de le suivre, et Émile revint ainsi dans la première pièce.

— Parfait ! s'exclama aussitôt l'homme au monocle en le voyant. Vous voici donc paré de votre tenue de spationaute, monsieur Rivet.

Émile s'aperçut qu'il y avait maintenant dans la pièce des soldats portant leur fusil à l'épaule. Peut-être l'homme au monocle craignait-il qu'il se rebelle soudain ? Mais il n'en avait guère l'intention.

— Bon, fit l'homme au monocle, nous allons vous conduire jusqu'à la fusée.

Il se dirigea vers une porte suivi d'Émile et de deux soldats, l'ouvrit, et tout le monde se retrouva dehors, devant l'usine où le soleil régnait en maître

Il y avait une voiture munie de chenilles qui attendait Émile. Deux soldats prirent place à l'avant, et Émile et l'homme au monocle à l'arrière. La voiture à chenilles démarra aussitôt, et commença à rouler sur la plage. La marée était montante ; la mer se rapprochait tout doucement, mais il y avait encore du temps avant qu'elle n'arrive à la limite du sable sec. La voiture prit bientôt à droite une route qui avait été tracée à travers les dunes, et qui bien sûr, menait à la fusée.

Celle-ci, qui se dressait au milieu des dunes, paraissait immense à Émile, au fur et à mesure que la voiture s'en approchait. Bientôt le véhicule s'arrêta, à quelques mètres seulement de l'engin spatial.

La fusée qui était probablement en acier, faisait au moins une trentaine de mètres de haut, et facilement trois de diamètre ; sauf à son extrémité supérieure qui se terminait en pointe, et où avait été fixée ce qui semblait être une antenne. La fusée était posée sur une plateforme de béton de forme rectangulaire d'au moins 30 m2 de surface, qui avait été construite dans une cuvette que l'on avait creusée en déblayant des pans de dunes. Elle tenait sa stabilité de ses quatre pieds imposants qui partaient de sa base, et étaient constitués de pièces de métal très larges et de bonne épaisseur en forme de triangle. Juste à côté de la fusée, à peu près de même hauteur, semblable à une grue dont on aurait oublié de monter la dernière partie, se dressait une tour métallique. La fusée ne reposait pas en fait contre elle. Elle en était éloignée d'un petit mètre : la longueur de de la passerelle que l'on pouvait apercevoir à une vingtaine de mètres de hauteur, qui reliait la tour à ce qui devait être l'habitacle de la fusée dont la porte était ouverte. À l'intérieur de la tour, était fixée une échelle qui montait jusqu'à la passerelle. C'était bien là, à coup sûr, le chemin qu'Émile allait emprunter.

Il entendit un léger sifflement qu'il localisa comme venant du dessous de la fusée, d'où une légère fumée blanchâtre s'échappait.

— Bon, monsieur Rivet, vous allez pouvoir descendre, dit l'homme au monocle.

Dans les dunes, il y avait plusieurs blockhaus fermés par une vitre, derrière lesquels des hommes coiffés d'un casque d'écoute attendaient. Un peu plus haut, sur la crête d'une dune de bonne hauteur, il y avait des soldats, la mitraillette au poing, et également, trois énormes mitrailleuses pointées vers le ciel.

Émile se demandait si tous ces hommes allaient rester sur place à attendre que son cercueil volant n'explose.

Mais il n'eut pas le temps de méditer très longtemps là-dessus, car l'homme au monocle le pressa de descendre. Il s'exécuta, s'approcha de la tour métallique, et sans même qu'on lui en ait donné l'ordre, commença à grimper l'échelle, suivi par l'homme au monocle.

Il monta toutefois doucement, prenant le temps de savourer ses ultimes instants de vie. Il mit ainsi presque un quart d'heure pour grimper l'échelle qui était assez instable. Mais Émile n'était pas sujet au vertige, et n'en ressentit pas le moindre malaise. Une fois arrivé sur la passerelle, il vit qu'un câble reliait la tour au nez de la fusée. L'homme au monocle qui se tenait juste derrière lui, lui demanda alors de s'installer à l'intérieur. Avant de s'exécuter, Émile aperçut au loin un défilé de navires qui croisaient au large, formant une véritable barrière protectrice.

Il dut se contorsionner pour parvenir à prendre place dans l'habitacle de la fusée qui était beaucoup plus petit qu'il n'y paraissait de l'extérieur, du fait que les parois étaient recouvertes de cuir épais. Il était plus qu'à l'étroit, mais parvint quand même à s'installer sur un siège également en cuir, dont le dossier était un peu incliné vers l'arrière. Devant lui, il y avait une vitre légèrement fumée, qui lui permettait de voir les dunes à perte de vue.

L'homme au monocle qui s'était accroupi sur la passerelle pour pouvoir être au même niveau qu'Émile, lui demanda de mettre le casque qu'il tenait toujours à la main, sur sa tête. Avant de lui dire de baisser la visière, il lui expliqua que celle-ci était constitué, tout comme la vitre de la fusée, d'une nouvelle matière qui était appelée à un brillant avenir, et non pas de simple verre. Puis l'homme au monocle se saisit d'un tuyau qu'il fixa dans l'orifice dont était percée la visière. Il expliqua à Émile que cela allait servir à l'approvisionner en oxygène une fois qu'il serait dans la stratosphère. Émile l'entendit très difficilement à cause du casque qui amoindrissait le son de sa voix, mais aussi du sifflement venant de l'extérieur, qui paraissait gagner en intensité. De toute façon, il trouvait dérisoire que l'on veuille l'approvisionner en oxygène une fois qu'il serait dans l'espace, compte tenu qu'il ne croyait pas du tout qu'il y arriverait, que la fusée exploserait en mille morceaux au moment du décollage.

L'homme au monocle boucla une ceinture autour de la taille d'Émile, lui adressa petit signe de la main ; puis il se redressa, et le spationaute vit la porte de la fusée se refermer. Il faisait maintenant un peu sombre à l'intérieur à cause notamment de la vitre fumée, mais on devinait le soleil toujours lumineux et chaud.

"Vraiment une belle journée pour mourir", se dit Émile qui se demanda alors qui avait bien pu le dénoncer à propos de l'aviateur qu'il avait recueilli.

Il en avait une petite idée ; ses rapports avec son voisin d'en face, un homme aigri qui en avait toujours voulu à la terre entière n'étaient pas des meilleurs ; mais enfin, il n'était vraiment sûr de rien.

Il s'écoula un petit quart d'heure ; sans doute le temps nécessaire pour que l'homme au monocle puisse redescendre tranquillement et aller se mettre à l'abri, puis le sifflement gagna encore en intensité, tandis que devant la vitre de la fusée, s'éleva une épaisse fumée. Dans sa combinaison de cuir, Émile commençait à se liquéfier. Bientôt, malgré son casque, il eut les oreilles remplies d'un bruit de réacteur, et la fumée devint noire, plongeant presque l'habitacle de la fusée dans l'obscurité. L'engin se mit soudain à vibrer, et Émile entendit une espèce de voix radiophonique qui s'exprimait en allemand.

Puis un compte à rebour commença :

"Zhen, neun, acht, seben, sechs, fünf, vier, drei, zwei, eins..."

Le temps sembla d'un coup s'arrêter, puis la voix radiophonique cria :

"Feuer !"

(la suite samedi prochain)

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