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07/05/2009

Surendettement

André Leluc, un quadragénaire malingre et moustachu, ouvrit la porte de son appartement.

Sur le palier se tenait un homme grand et maigre, vêtu d’un pardessus noir et coiffé d’un chapeau de même couleur. Ces deux éléments faisaient d’ailleurs ressortir le teint pâle de l’individu, et c’est d’une voix monocorde qu’il dit :

— Monsieur Leluc ?

L’intéressé hocha la tête.

— Maître Albert Swin, huissier de justice, fit l’autre.

André Leluc ravala difficilement sa salive.

— Vous n’avez pas donné suite à mes injonctions, monsieur Leluc, poursuivit l’huissier.

— Je sais, fit Leluc, mais j’ai un tas de crédits sur le dos…

L’huissier tendit aussitôt une feuille.

— Tenez, c’est votre convocation pour l’hôpital.

Leluc prit la feuille, et l’huissier se retira.

Leluc referma tout doucement la porte, et alla retrouver dans le séjour sa femme et ses trois enfants.

Mariette, l’épouse, une petite brune, se mordit les lèvres en voyant l’air qu’affichait son mari. Quant aux enfants, trois garçons de 5 à 10 ans, ils cessèrent de jouer.

— C’était l’huissier, fit Leluc.

— Alors ? fit sa femme.

Leluc haussa les épaules avec fatalisme.

— Alors, je suis convoqué à l’hôpital pour un prélèvement d’organes.

Sa femme prit un air catastrophé.

— Mais ils ne vont quand même pas…

— Si, fit son mari, c’est le seul moyen pour rembourser les échéances en retard du crédit de la voiture. Puis, de toute façon, c’est la loi. Toute personne qui ne peut plus rembourser une dette, doit se voir prélever un organe pour s’en acquitter. Vu qu’il y a de plus en plus de demandes et de moins en moins de donneurs volontaires, la loi est appliquée à son maximum.

— Mais ce n’est pas possible ! fit sa femme. Écoute, tu n’as qu’à t’enfuir !

Leluc regarda sa femme avec un sourire triste.

— À quoi cela servira-t-il ? S’ils ne me retrouvent pas, c’est à toi ou aux enfants qu’ils prélèveront un organe. Je préfère quand même que ce soit moi qui y passe.

— On va tous s’enfuir ! s’exclama Mariette.

— Ils finiront par nous retrouver, fit son mari. Et alors, nous aurons en plus des pénalités à acquitter ; c’est-à-dire un organe supplémentaire à donner. Non, il vaut mieux se résigner.

Et c’est ainsi que deux jours plus tard, à 10 h précises, André Leluc se présenta à l’hôpital de la ville.

Il fut dirigé vers le service du Dr Cavet.

Celui-ci, un homme carré à la chevelure assortie à sa blouse, prit la feuille que lui tendait Leluc, et fit après y avoir jeté un coup d’œil :

— Ah, il s’agit d’une saisie d’huissier.

Puis après voir regardé plus attentivement la feuille, il ajouta :

— Oh, là ! la somme est importante. Il va falloir vous prélever au moins un rein et un poumon. Bon, vous allez d’abord passer en salle d’examen clinique, que l’on vérifie si les organes sont en bon état.

 

***

Après avoir subi divers examens durant deux bonnes heures, Leluc attendit seul, allongé sur un lit dans une chambre aux murs blancs, la suite des événements.

Il avait fini par croire qu’on l’avait oublié, quand la porte de la chambre s’ouvrit d’un coup, et qu’apparut le Dr Cavet, l’air contrarié.

— Ah, monsieur Leluc, je n’ai pas une très bonne nouvelle à vous annoncer. Nous avons décelé une tumeur maligne sur le rein et le poumon que je devais prélever. Et quant à l’autre rein et l’autre poumon, si leur état n’est pas aussi catastrophique, ils n’en demeurent pas moins également atteints. Donc, on peut évaluer votre espérance de vie à un petit mois.

Leluc était livide sur son lit, incapable de prononcer le moindre mot.

— Oh, mais ne vous en faites donc pas, dit le médecin en lui tapotant l’épaule avec bienveillance, j’ai une solution. Voilà ce que je vous propose : nous allons vous euthanasier, mais avant vous allez signer un document comme quoi vous faites don de votre corps à la médecine. Ainsi, en agissant de cette manière, vous épongez votre dette concernant le crédit de votre voiture, mais en plus vous allez permettre à votre épouse de toucher une substantielle somme d’argent lui permettant de régler tous vos autres crédits, et même d’en contracter de nouveaux. Croyez-moi, vous allez agir à la fois pour le bien de la science, et celui de votre petite famille. Alors, vous êtes partant ?

— Ben… si c’est bien ainsi, bredouilla Leluc, complètement perdu.

 

***

Mariette Leluc apprit avec douleur la mort de son mari, mais le fait d’être désormais à l’abri des problèmes financiers comme on le lui avait annoncé, atténua un peu sa peine.

Aussi fut-elle dépitée lorsqu’un jour, après avoir ouvert la porte, elle découvrit l’huissier sur le palier.

— Mais… mais… que se passe-t-il ? fit-elle.

— Ah, madame Leluc, fit l’huissier, figurez-vous qu’on a volé le corps de votre mari.

Mariette écarquilla les yeux de surprise.

— Co… comment ?

— Oui, poursuivit l’huissier, les chercheurs se livrent une guerre sans merci pour parvenir à leurs fins. Certains n’hésitent même pas à voler les cadavres dont disposent leurs concurrents. Et ça a été justement le cas avec celui de M. Leluc. Le problème, c’est qu’il doit s’agir d’un, ou même de plusieurs chercheurs étrangers. Il n’y a donc aucune chance que l’on retrouve un jour votre mari.

Mais alors, fit Mariette, qu’elles vont être les conséquences ?

— Les conséquences ? fit l’huissier d’un air faussement distrait. Eh bien, les conséquences sont que dans ces conditions, vous ne pouvez plus disposer de la somme d’argent que vous attendiez, mais qu’en plus, la dette concernant votre crédit voiture est de nouveau à recouvrer.

Et aussitôt, l’huissier tendit une feuille en concluant :

— Tenez, c’est votre convocation pour l’hôpital.

Patrick S. VAST - Mai 2009

Commentaires

Très bon ! Mais espérons que la réalité ne rejoigne pas la fiction !
S. ROSE

Écrit par : ROSE | 02/08/2010

J'ai bien peur que si.

Écrit par : Patrick S. VAST | 02/08/2010

Pour les raisons données hier j'avais manqué cette nouvelle... entre fiction et réalité!!! mais cette réalité existe déjà à peu de choses près dans certains pays..
Tu as écrit cette nouvelle il a plus d'un an - je retrouve avec plaisir ton talent de romancier - narrateur - et depuis je crains fort que pour beaucoup les problèmes d'endettement se soient aggravés...

Écrit par : sister for ever | 02/08/2010

Oui, cette réalité existe déjà, puisque la nouvelle m'avait été inspirée, si je me souviens bien, par un article à propos d'un Espagnol qui avait vendu un rein pour payer un crédit.

Écrit par : Patrick S. VAST | 03/08/2010

Les commentaires sont fermés.