01/12/2007
L'Hôtel de la gare
L’homme arriva à la réception de l’Hôtel de la gare, un établissement banal, comme on en trouve tant dans les petites villes de province. Ce voyageur l’était peut-être un peu moins, car il ne tenait pas une valise à la main, mais une sacoche, du genre de celles qu’emmènent au travail les bureaucrates.
Ce détail trouva très vite une explication.
— Bonsoir, dit-il à l’employé de la réception, j’ai été retardé, et j’ai manqué mon dernier train. Je ne peux pas rentrer chez moi ; je vais donc prendre une chambre pour la nuit. Dans un sens, je serai sur place pour être au travail demain.
L’employé de la réception, un homme malingre à la fine moustache, hocha la tête.
— Je n’ai pas de bagages, se crut obligé de préciser le voyageur, je ne m’attendais pas à dormir à l’hôtel cette nuit.
L’employé de la réception, qui ne l’avait écouté que d’une oreille distraite, lui attribua la chambre numéro 9, située à l’étage.
Il l’y accompagna, et le voyageur, un homme grand, de bonne stature, lui demanda s’il était possible de le réveiller le lendemain à 7 h.
L’employé hocha encore la tête, et le voyageur découvrit la chambre qui était typique de celles que l’on trouve dans les hôtels en face des gares : vieillotte, sentant la poussière, un brin cafardeuse.
Il alla dîner dans un restaurant qui se trouvait non loin de l’hôtel, et traîna un peu devant le téléviseur de l’établissement qui diffusait un reality show.
Il était un peu plus de 21 h quand il regagna sa chambre.
Il trouva dans la salle de bains de quoi faire sa toilette, puis se coucha en slip et en maillot de corps.
Il s’endormit très vite. Il aurait pu dormir paisiblement jusqu’à ce qu’on le réveille comme il l’avait demandé, mais un bruit le tira soudain du sommeil.
Il ouvrit les yeux, et à sa grande surprise, s’aperçut que la chambre était allumée. Il était pourtant certain de l’avoir éteinte avant de se coucher. Il s’assit dans le lit, et sursauta en découvrant un homme installé tout près dans un fauteuil.
— Mais que faites-vous dans cette chambre ? s’étonna le voyageur.
L’homme qui comptait une cinquantaine d’années, était vêtu d’un imperméable, et portait un chapeau sur la tête.
— Oh, ne vous inquiétez pas pour moi, fit-il. Ah, c’est vrai, je n’aurais pas dû éclairer ; cela vous dérange sans doute, je vais éteindre.
Il allait se lever, mais le voyageur s’exclama :
— Mais vous n’avez rien à faire dans cette chambre ! C’est ma chambre, je l’ai louée pour la nuit !
L’autre eut un petit sourire.
— C’est la mienne aussi, fit-il, et cela depuis dix ans. Depuis qu’un soir j’ai manqué le dernier train pour rentrer chez moi. J’y ai passé la nuit, et le lendemain, j’avais mon accident. Tué sur le coup ! Mais le pire, c’est qu’après, j’y suis resté dans cette chambre, comme si c’était ma destinée. Après tout, en manquant mon train, c’était ma vie qui s’arrêtait. La vie n’est jamais qu’un long train que l’on emprunte. Bien sûr, des fois on peut en descendre, faire une halte ; on n’arrête pas de vivre pour autant, mais à condition de ne pas le rater quand c’est le moment de remonter à bord. Et c’est-ce que j’ai fait il y a dix ans. J’ai raté le départ, c’était donc fini pour moi.
Le voyageur regarda l’homme avec stupéfaction, et celui-ci lui demanda :
— Au fait, vous avez manqué aussi votre dernier train ?
—Oui, rétorqua le voyageur.
L’autre hocha doucement la tête.
— Bah, si vous me remplacez dans cette chambre, je pourrais peut-être enfin connaître le repos, et surtout changer de panorama. Bon, je vais éteindre et vous laisser dormir.
L’inconnu se leva et éteignit.
La chambre fut plongée dans l’obscurité totale, et le voyageur s’allongea puis se rendormit aussitôt.
Quand il fut réveillé de nouveau, ce fut par un employé qui frappait à la porte pour le prévenir qu’il était 7 h. Il se prépara rapidement, et comme il fallait attendre un peu pour qu’on lui serve le petit déjeuner, il décida d’aller le prendre au buffet de la gare.
Il sortit de l’hôtel, vêtu de son imper qui était bien utile, car une pluie fine perçait l’obscurité de ce petit matin de novembre.
En traversant le passage clouté pour se rendre au buffet de la gare, le voyageur repensa à ce qui lui était arrivé durant la nuit. Cela l’absorba complètement, au point qu’il ne vit pas arriver à toute vitesse une grosse Limousine conduite par un chauffard. Quand celle-ci le heurta, sous le choc, il fut soulevé de terre, et retomba lourdement sur le macadam.
Un attroupement se forma aussitôt autour du voyageur qui avait été tué sur le coup, et demeurait inerte sur la chaussée mouillée.
À l’Hôtel de la gare, le rideau de la chambre numéro 9 s’écarta tout doucement, et une silhouette apparut Puis, très vite le rideau recouvrit de nouveau la fenêtre, ne laissant filtrer qu’une lumière pâlichonne.
Dans la chambre, l’inconnu de la nuit empoigna sa sacoche, et s’apprêta à quitter définitivement la chambre : il lui fallait désormais partir, laisser la place au suivant.
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Commentaires
Des esprits s’éveillent-ils dans ses rêves, de l’autre côté du décor ?
C'est un extrait de mon texte de ce matin, la question peut rester suspend ici.
Écrit par : Sophie | 01/12/2007
Autre côté du décor, autre côté du miroir, miroir de gare, dans lequel se mirent les trains qui passent. Prenons le temps de les attraper au vol.
Écrit par : Patrick S. VAST | 01/12/2007
Une chanson de François Béranger qui s'intitule "Le vieux"
Gare à toi si tu ne l'écoute pas :
http://www.dailymotion.com/related/1039747/video/xmae7_francois-beranger-le-vieux/1
Écrit par : Sophie | 02/12/2007
Joile nouvelle... enfin jolie n'est pas le mot que je cherche... ton récit nous transporte instantanément dans cette chambre et on frissonne en attendant la suite..
Décidément les trains (en marche ou «en grève» occupent beaucoup de place ces derniers temps.
Écrit par : sister for ever | 03/12/2007
Oui, les trains ont été des sources d'inspiration aussi bien pour le blues que la country, ou du moins le hillbilly, la country du début. Mais pour les littératures de l'imaginaire, ils sont également une mine, ou une source, comme l'on veut.
Écrit par : Patrick S. VAST | 03/12/2007
Sophie je viens d'écouter cette bouleversante chanson de François Béranger... elle me touche profondément, et elle est pour nous un peu «trop d'actualité» en 2007.
Sinon il va falloir que j'écoute un peu François Béranger, un des chouchous de mon frère, mais que je connais peu jusqu'ici. Merci pour ton lien!
Écrit par : sister for ever | 05/12/2007
Et bien! Voilà de quoi se méfier et des trains et des hotels...Je ne compte même plus le nombre de lieux dans lesquels tu nous as terrorisé! ;-)
Écrit par : enriqueta | 17/12/2007
J'ai été toujours été intéressé par les hôtels en face des gares, qui ont d'ailleurs très souvent un petit côté sinsitre : source d'inspiration.
Écrit par : Patrick S. VAST | 17/12/2007
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