13/01/2008
Un manoir et deux robes noires
Le manoir se dressait au bout de la lande. De mémoire de villageois, il n’était plus habité depuis au moins cinquante ans. Le dernier occupant était mort, solitaire. Des proches étaient venus pour les obsèques, et il était enterré dans la cour ; sa tombe étant par ailleurs depuis longtemps recouverte de ronces. Mais des paysans avaient aperçu aux abords du manoir, deux femmes vêtues de robes noires. Pourtant, là-bas, ne passait jamais la camionnette de la boulangère, ou celle du facteur.
Les villageois se posaient des questions à ce sujet. Mais leur esprit était surtout accaparé par les événements très graves auxquels ils se préparaient. Il y avait tout à craindre depuis que la guerre internations s’était déclarée, depuis que des hordes soldatesques avaient franchi le lointain mur de la Hargne.
Et par une fin d’après-midi, tandis que le ciel s’assombrissait tristement, des blindés arrivèrent, et entrèrent dans la cour du manoir. Ils n’avaient même pas eu à enfoncer la vieille grille rouillée, le vent violent s’était chargé de l’arracher au cours d’une nuit particulièrement tumultueuse.
Des blindés, sortirent des hommes armés, casqués et cuirassés de noir. Celui qui était de toute évidence leur chef, ne portait pas de casque, mais une casquette, avec une tête de mort argentée incrustée juste au-dessus de la visière.
Il eut très vite le regard attiré par l’une des larges fenêtres du manoir. Derrière la vitre, se tenaient deux femmes, peut-être des sœurs. Les cheveux de l’une étaient couleur de nuit ardente, et ceux de l’autre évoquaient la cendre des âtres du petit matin. Elles souriaient, semblaient même s’amuser. Le chef des soudards ouvrit la porte du manoir d’un violent coup de botte, et entraîna ses hommes derrière lui. Tout ce monde barbare trouva les deux femmes dans une grande pièce illuminée par des bougies qui étaient dispersées aux quatre coins.
Il y eut un face à face long et lourd entre la soldatesque et les deux femmes. Elles étaient également vêtues de noir comme à leur habitude. Mais cette couleur souvent associée au deuil, n’avait pas la même signification pour l’une et l’autre des deux parties qui s’observaient. Les soldats portaient le deuil de l’espoir en l’être humain qu’ils avaient tué en massacrant tout sur leur passage ; quant aux deux femmes, elle portait aussi le deuil de ce trésor perdu, mais en guettant des lendemains de renouveau et de paix retrouvée.
Les deux habitantes du manoir, ces deux incarnations de la sagesse en robe noire, ne perdirent pas une miette de leur sérénité, tandis que les soudards tenaient fermement leur arme, prête à cracher le feu du désarroi.
Un rictus de dépit déforma soudain le visage de leur chef, et il leur fit signe de partir.
Ils avaient beaucoup à faire ; le village à détruire n’était pas très loin. Mais tandis que les soudards allaient remonter dans leurs blindés, comme surgis du toit du manoir, apparurent deux oiseaux géants, hybrides d’aigles noirs et d’espèces disparues dans des temps très lointains. Le feu des armes les atteignirent, mais en vain. Les créatures fantastiques paraissaient indestructibles, et ne cessaient de défier la soldatesque qui vidait les chargeurs de ses fusils-mitrailleurs sans le moindre résultat.
Les soudards finirent par monter dans leurs blindés et s’enfuir. Mais les oiseaux géants ne les laissèrent pas en paix, et les poursuivirent sans relâche, jusqu’à les repousser par-delà le mur de la Hargne.
****
Dans le village, on recommença à vivre tranquillement, persuadé que le péril était loin. On se doutait qu’il s’était produit un phénomène inexpliqué du côté du manoir ; mais l’on ne voulut pas essayer de comprendre.
En tout cas, des paysans continuèrent de raconter qu’ils avaient aperçu deux femmes vêtues de robes noires, là-bas, où ne passait jamais la camionnette de la boulangère, ou celle du facteur.
Patrick S. VAST - Janvier 2008
http://patricksvast.hautetfort.com/
06:00 Publié dans Mes nouvelles en ligne | Lien permanent | Commentaires (3) | Facebook
Commentaires
Poésie humaniste pour la paix.
Bons et méchants ne sont pas désignés... ce n'est pas une question d'appartenance ethnique mais de choix moral intime... évolution possible. Merci Pat.
Écrit par : sophie | 13/01/2008
Houhh!!! même avec la clé «incarnation de la sagesse» j'ai plus de mal à décoder le message que Sophie!!
Mais à la relecture et avec son commentaire... oui, pourquoi pas...
Écrit par : sister for ever | 14/01/2008
Ah! J'aime beaucoup! Du mystère et une belle symbolique! Merci.
Écrit par : enriqueta | 08/02/2008
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