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20/05/2008

La cliente en noir

Elle était vêtue de noir : une couleur assortie à sa chevelure. Elle avait la peau très blanche ; elle ressemblait un peu à Maria Casares dans le film « Orphée » de Jean Cocteau. D’ailleurs, elle était descendue d’une grosse automobile de marque ancienne, comme celle que l’on voit également dans le film. Elle est entrée dans le café de la place du village, tandis que l’attendait son chauffeur vêtu d’un grand imper et coiffé d’une casquette. Décidément, il est vrai que l’on se serait cru dans « Orphée ».
Dans le café, il y avait Paul, le patron : un petit moustachu quadragénaire avec son éternel béret sur la tête. Puis, assis près de l’antique poêle à charbon, on trouvait Ernest, un vieux de 85 ans, qui effectuait sa première sortie après trois mois sans avoir mis le nez dehors. Il revenait de loin, et avait eu le temps d’apercevoir la Camarde. Du moins c’est-ce qu’il affirmait, et il s’empressait d’ajouter qu’il la sentait encore rôder dans les parages. On lui disait alors qu’il se faisait des idées, qu’il était reparti d’un bon pied, qu’il allait même enterrer tout le reste du village. Mais Ernest était sceptique.
La cliente salua Paul, puis Ernest, et s’assit dans un coin. Quand Paul lui demanda ce qu’elle allait boire, elle répondit :
— Un fernet branca, s’il vous plaît.
Ernest leva les yeux de son ballon de rosé, comme si le timbre de la voix de la cliente avait attiré son attention.
Puis il se mit à la regarder. Alors elle lui sourit.
Cela donna de l’audace au vieil Ernest qui se leva et vint s’asseoir à sa table.
Paul suivit la scène d’un œil interrogateur. Mais Ernest semblait parti dans un autre monde. Il regarda la cliente en noir avec une infinie tendresse, et lui murmura :
— Ainsi, tu ne m’as pas oublié ; tu es revenue. En plus tu me reconnais.
Le vieil Ernest baignait manifestement dans un doux romantisme. Il avait tout l’air d’un incurable amoureux pour qui les années ne pèsent guère davantage qu’une plume soumise aux caprices du vent.
La cliente en noir lui sourit encore ; et Ernest était sur une douce volute.
Paul apporta le fernet branca et se retira.
La cliente but son verre d’un trait, se leva et alla payer sa consommation et le ballon de rosé d’Ernest.
Complètement ébahi, Paul les vit partir tous les deux.
De la grande vitre du café, il les suivit des yeux tandis qu’ils allaient s’asseoir sur un banc de la petite place toute proche. Ils parlèrent ensemble pendant un moment ; puis contre toute attente, la cliente en noir déposa un baiser sur la bouche du vieil Ernest. Elle se leva ensuite très vite du banc, et attendit près de la route que son chauffeur arrive. Elle monta à l’arrière de la voiture, et celle-ci quitta le village.
Croyant avoir rêvé, Paul se décida à sortit de son café et se hâta d’aller rejoindre Ernest qui demeurait sur le banc.
Mais il ne put répondre aux questions du cafetier, car s’il arborait un doux air rêveur, de ceux dont ont le secret les amoureux naïfs, il ne pouvait cependant plus rien dire, ni faire : il avait été manifestement victime de sa passion à la fois soudaine et éphémère.
À son enterrement, chacun commenta la fin du vieil Ernest, et à partir de ce jour, à chaque fois qu’un ancien venait boire son ballon de rosé au café de la place du village, il s’assurait toujours avant d’entrer, qu’il n’y avait pas à l’intérieur, une cliente en noir.

Patrick S. VAST - Mai 2008 

Commentaires

La dame en noir qui nous attend tous quelque part... finalement Ernest qui était bien malade est morts dans la douceur...

Écrit par : sister for ever | 28/05/2008

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