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11/10/2008

La gare temporaire (2ème épisode)

Voir le premier épisode dans la rubrique "feuilletons", colonne de gauche

 

Le train s'arrêta tout à fait normalement à Cassel, puis ensuite à Hazebrouck. Marc songeait encore à cet événement pour le moins surprenant qu'il venait de vivre, lorsqu'il en descendit. Il récupéra sa voiture au parking attenant à la gare, puis prit la direction de la sortie de la ville et du lotissement où il habitait. Il s'arrêta au bout de dix petites minutes devant le pavillon qu'il s'était fait construire avec le prêt préférentiel consenti par le Crédit Commercial des Flandres, non seulement à lui-même, mais également à son épouse qui était affectée à l'agence d'Hazebouck.

Il trouva celle-ci, une petite brune aux cheveux coupés très courts, en train de préparer dans la cuisine, la carbonade flamande qu'elle lui avait promise pour le repas du soir, vêtue d'un jean et d'un pull standards.

En voyant la poche rose que Marc exhiba avec fierté devant elle, elle demanda, l'oeil légèrement allumé :

— Alors, ça y est, tu es entré dans la boutique ?

Marc acquiesça avec un grand sourire.

— Oui, et c'est même encore mieux que ce que je t'avais annoncé.

Son épouse prit un air satisfait.

— Ah, on a vraiment bien fait d'envoyer les enfants en classe de neige, déclara-t-elle. Bon, je monte me changer. Surveille la carbonade, qu'elle ne brûle pas. Ça serait vraiment trop dommage.

— Entendu, fit Marc, qui dans son empressement n'avait ôté ni son manteau, ni ses chaussures, et tenait même encore dans sa main droite sa mallette. Il libéra la gauche en tendant à sa femme la poche rose, et celle-ci sortit aussitôt de la cuisine.

Marc jeta un vague coup d'oeil à la marmite qui chauffait à feu doux sur la gazinière, puis jugeant que tout allait pour le mieux, décida de se mettre à l'aise.

Ce fut donc en bras de chemise et chaussé de ses pantoufles qu'il vit revenir sa femme dans la cuisine.

— C'est peut-être un peu trop provocant, hasarda-t-elle, en écartant les bras comme pour permettre à son mari de l'admirer.

Marc en resta coi. Il n'avait pas remarqué dans la boutique combien le rouge de la guêpière et même celui des bras était vif.

— Bah, fit-il, nous ne sommes que d'eux. Alors, à quoi bon faire dans le détail ?

— Tu as raison, dit sa femme avec enthousiasme. Ne faisons surtout pas dans le détail !

Puis elle se dirigea vers la gazinière en se dandinant, car elle avait, pour compléter cette tenue guêpière/bas résilles, chaussé une paire d'escarpins à hauts talons, qu'elle avait achetée en prévision du jour où Marc passerait enfin à l'acte, en poussant la porte d'Aux joies du frou-frou.

Ce fut donc dans cette ambiance frivole que le couple dégusta ce soir-là une carbonade flamande avec frites-salade, le tout arrosé d'une bière provenant de l'une des nombreuses abbayes de la région, où des bons frères sont passés maîtres dans l'art de la préparation des extraits de houblon, puis monta dans sa chambre alors qu'il n'était qu'à peine 22 h.

 

***

Le lendemain matin, au petit déjeuner, l'épouse de Marc avait gardé sa tenue froufroutante. Elle regarda son mari avec inquiétude, tandis que celui-ci écrasait son sucre dans son bol de café au lait, et dit :

— Ecoute, Marc, il me semble que hier soir, à un moment, tu as... comment dirais-je...

Marc voyait très bien de quoi voulait parler sa femme. Il était vrai qu'à un moment, comme elle le disait, il s'était senti un tant soit peu déconcentré, car la pensée de ce qui lui était arrivé dans le train, lui était revenu soudainement à l'esprit. Et cela n'avait pu que le conduire à se poser une question qui lui brûlait de nouveau les lèvres.

Il se lança donc.

— Au fait, dit-il, entre Esquelbecq et Arnèque, il n'y a pas de gare ?

Sa femme qui était maintenant occupée à se confiturer une biscotte, s'interrompit dans son action, pour le regarder avec un air ébahi.

— Mais, pourquoi tu me demandes cela ? fit-elle.

Marc soupira :

— Eh bien, pour que tu me le confirmes, voyons.

— Mais, je n'en sais rien, fit sa femme. Je n'ai jamais pris le train entre Esquelbecq et Arnèque. C'est plutôt à toi de le savoir, puisque tu empruntes cette ligne depuis cinq ans maintenant. Avec cette fichue idée que tu as eu d'accepter le poste à Dunkerque.

— Il y avait une promotion à la clé, se défendit Marc.

— Oui, sans doute, reconnut sa femme, mais a priori, ça commence à jouer sur ta santé, tu m'as l'air surmené.

Puis, se ressaisissant, elle regarda son mari d'un air bienveillant pour annoncer :

— Ce soir, on remet ça, et cette fois, je prépare un bon potje vleesch. D'accord ?

Très confus, Marc acquiesça :

— C'est d'accord. Va pour un bon potje vleesch.

 

***

Il prit le train de 7 h 12 à Hazebrouck en direction de Dunkerque. Nous étions le 29 février, car l'année en question était bissextile, et les jours commençaient à rallonger, car une certaine clarté s'insinuait déjà dans le paysage champêtre dès la sortie d'Hazebrouck. Après s'être arrêté à Arnèque, le train continua d'une traite jusqu'à Esquelbecq, amenant ainsi Marc à se demander s'il n'avait pas eu la berlue la veille au soir. Sa femme le trouvait surmené ; peut-être l'était-il vraiment ? Mais quand même, il n'arrivait pas à se convaincre qu'il avait rêvé quand il avait vu le train s'arrêter devant une étrange gare, et un non moins étrange personnage s'y rendre.

Une fois arrivé à l'agence bancaire, il se hâta d'aller voir dans son bureau un collègue qui avait emménagé depuis peu à Dunkerque, et avait fait le trajet depuis Hazebrouck durant un certain temps.

Il s'agissait d'un individu petit, chétif, qui se coupait les cheveux en brosse. Marc l'aborda sans préambule.

— Dis donc, fit-il, il n'y a pas de gare entre Esquelbecq et Arnèque ?

L'autre qui était assis à son bureau, le regarda d'un air ahuri.

— Comment ? fit-il.

— Il n'y a pas de gare entre Esquelbecq et Arnèque ? répéta Marc.

L'autre se mit à rire.

— Tu trouves qu'il n'y a pas assez d'arrêts comme ça ? Avec ce maudit train qui fait omnibus !

— Heu... si, si, tu as raison, fit Marc, fort désappointé.

Il quitta son collègue sans même remarquer que ce dernier le regardait partir avec un air inquiet, puis rejoignit son propre bureau.

 

Dans l'après-midi, n'y tenant plus, il appela sa femme pour lui dire qu'il rentrerait encore tard, car il avait un travail urgent à terminer. Celle-ci lui demanda simplement de ne pas rentrer plus tard que la veille, et lui rappela avec un ton entendu, qu'un bon potche vleesch l'attendait.

Marc aurait bien aimé pouvoir être aussi frivole que la veille quand il avait pris le train avec son précieux achat. Il s'en voulait de ne pas penser qu'à la soirée qui l'attendait devant un bon potche vleesch, avec sa femme en bas résilles et guêpières. Mais c'était plus fort que lui, il devait vérifier avant toute chose s'il y avait oui ou non une gare entre Esquelbecq et Arnèque.

Il quitta la banque vers 18 h 35, et gagna la gare. Il faisait encore plus froid que la veille, et la gare était également encore plus sinistre. Le train était à quai ; par intuition, il choisit une voiture vide, en espérant qu'elle le resterait. Son voeu fut exaucé, car lorsque le train se mit en branle, aucun autre voyageur n'était monté à bord de la voiture qu'il occupait, et où il faisait franchement glacial.

Comme la vieille, un contrôleur passa rapidement. Celui-ci était grand, et avait le visage osseux et très pâle ; il ne prêta pas plus attention à Marc que son collègue de la veille. Le train s'arrêta à Coudekerque-Branche, puis à Bergues, et enfin à Esquelbecq, sans qu'aucun voyageur ne vienne prendre place dans la voiture.

Dès que le train redémarra, Marc commença à être sur ses gardes. Ce ne fut pas long ; comme le jour précédent, il entendit des pas derrière lui, et bientôt, passa un individu qui le frôla presque. Il était grand comme celui de la veille, vêtu également d'un manteau, mais coiffé d'un melon. Toujours comme la veille, le train commença à ralentir, et s'arrêta bientôt devant la mystérieuse gare, cette mystérieuse gare qui était bien située entre Esquelbecq et Arnèque.

Marc vit l'homme ouvrir les portes du train, descendre sur le quai, puis se diriger vers la gare éclairée, la buée de son haleine se mêlant à la légère brume qui commençait à monter au dehors.

Marc se mit à penser intensément à sa femme dans sa tenue froufroutante, mais ce fut plus fort que lui ; sous l'effet d'une véritable impulsion, il se leva, attrapa la poignée de sa mallette, et se précipita pour sortir de la voiture, craignant que le train ne redémarre soudainement.

Il s'avança pour descendre le marchepied, et ce fut alors qu'il poussa un horrible hurlement.

La suite samedi prochain

 

 

Commentaires

Désolé d'avoir raté le rendez-vous samedi dernier (mauvais virus, non informatique).
Donc, aujourd'hui, je reprends...le train en marche.
Et ce feuilleton est toujours très très agréable : les ingrédients y sont mélangés avec ce qu'il faut de savoir faire. Résultat : la sauce prend. Le lecteur marche.
Hop ! Je fonce lire le 3e chapitre.

Écrit par : g@rp | 18/10/2008

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