01/11/2008
La gare temporaire (5ème épisode)
Épisodes précédents dans la rubrique "Feuilletons", colonne de gauche
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Théo Van der Broucke aimait beaucoup cette légende, avec son côté à la fois naïf et irrationnel que possède toujours ce genre d'histoires. Et puis, il n'avait cure des lacunes et des relatives invraisemblances de la légende que ne manqueraient pas de souligner de fervents rationalistes. Il était l'auteur d'un traité de spectrologie qu'il avait fait publier à compte d'auteur. Il croyait aux fantômes, et donc prenait pour argent comptant tout ce que racontait la légende. À ce propos, il avait fait une rapide enquête à la bibliothèque municipale, afin d'essayer de vérifier si par exemple Marc Decool n'avait pas emprunté un ouvrage évoquant la fameuse légende. Ce n'était pas le cas ; par contre, il découvrit que l'intéressé avait emprunté au cours des trois années précédant sa chute du Dunkerque-Arras, plusieurs ouvrages relatifs à l'ésotérisme, aux phénomènes irrationnels, et à sa grande fierté, son traité de spectrologie que le responsable de la bibliothèque municipale avait accepté de prendre en dépôt avec grand plaisir dès sa parution.
Ainsi donc, ce personnage, qui selon l'enquête qu'il avait pu mener, faisait figure d'individu conventionnel, et de surcroît rationnel, croyait très probablement aux fantômes. Selon Théo, cela avait pu suffire pour que celui du maire du village disparu en 1896, celui du médecin, ou même les deux, lui fussent apparus. De là à faire le lien entre la légende et sa mort accidentelle, il n'y avait, pour Théo, qu'un pas, qu'un simple pas à franchir.
Il n'avait pas effectué de recherches allant dans ce sens, concernant les autres victimes du Dunkerque-Arras ; le cas de l'employé de banque effectuant tous les jours le trajet entre Dunkerque et Hazebrouck lui suffisant pour l'instant.
Et ce fut donc par un 28 février glacial d'une nouvelle année bissextile, que Théo prit à Hazebrouck le TER de 18 h 17 pour Dunkerque, avec un billet aller/retour.
Une fois arrivé à Dunkerque vers 18 h 47, Théo descendit, juste pour composter le retour, puis reprit place dans une voiture assurément vide. Le train démarra à 18 h 58 précises, et pour Théo, l'attente commença. Ce fut tout d'abord Coudekerque-Branche, puis Bergues, et enfin Esquelbecq. Le train venait tout juste de redémarrer, quand Théo entendit des pas derrière lui. Un individu, grand, vêtu d'un manteau et coiffé d'un haut-de-forme, passa bientôt près de lui, et vint se poster devant les portes de la voiture. Théo reconnut aussitôt le maire du village disparu, dans cet individu qui correspondait parfaitement à la description qui en était faite dans l'ouvrage consacré à la légende qu'il avait consulté. En tant qu'auteur d'un traité de spectrologie croyant fermement aux fantômes, Théo ne fut pas du tout surpris que celui-ci lui apparaisse, et trouva même la situation normale, si l'on consent à bien vouloir employer ce terme dans un pareil cas.
Bientôt le train ralentit, puis s'arrêta devant une gare éclairée. Théo essuya avec la main la buée qui couvrait alors partiellement la vitre près de laquelle il était placé, pour mieux voir à l'extérieur. Aux alentours de la gare, c'était le désert le plus complet, et elle semblait comme avoir été plantée près des voies de chemin de fer, à la limite de l'immense champ qui s'étendait maintenant à la place du village disparu. Mais il était vrai que la légende indiquait bien, que pour accueillir le maire, puis le médecin venus se repentir, une gare était érigée à chaque fois à l'emplacement de celle de 1896.
Théo vit le maire entrer bientôt dans la gare. Il ne doutait pas qu'il allait en ressortir de l'autre côté, et se rendre plus loin, peut-être au milieu du champ qui était à cet endroit comme absorbé par l'obscurité et une légère brume, où devaient l'attendre tous les villageois ayant repris également forme humaine.
Théo fut tiré de ses pensées par la sonnerie du train qui redémarra aussitôt. Il songea alors qu'il lui aurait fallu vérifier si par hasard les victimes des années bissextiles, n'étaient pas des individus frivoles, prenant par exemple un peu trop goût à certains bienfaits de cette basse terre. Que cela concernât des individus qui croyaient aux revenant, pouvant mélanger le spirituel et les choses les plus matérielles qui fussent, n'aurait pas surpris outre mesure Théo, puisque lui-même, expert en spectrologie et autres manifestations de l'au-delà, devait se rendre dans moins d'une heure, dans un estaminet de la bonne ville de Godewarsvelde, pour participer à la demi-finale du championnat de Flandre des mangeurs de potje vleesch. Par contre, que les victimes fussent des individus portés sur ce que l'on appelle communément la bagatelle, eût peut-être fourni une explication à leur infortune commune. Compte tenu que le maire et le médecin devaient racheter leur inconduite passée, il n'eût pas été étonnant qu'ils aient voulu punir des individus qui n'étaient pas irréprochables. Dans ce cas, Théo devait se tenir sur ses gardes pour la suite de son aventure.
Mais pour l'heure, et jusqu'au lendemain, il n'était plus question de revenants et de phénomènes surnaturels pour lui, car il venait juste d'arriver à la gare d'Hazebrouck. Son très sérieux et très disputé championnat de mangeurs de potje vleesch l'attendait, et il devait s'y consacrer tout entier.
Avant-dernier épisode samedi prochain
06:00 Publié dans Feuilletons | Lien permanent | Commentaires (2) | Facebook
Commentaires
Et suite à ce que je disais à propos de l'épisode 4, on trouve dans celui-ci des spectres, des fantômes. Après le flashback du 4 sur la légende du village, retour au présent, à l'enquête, si l'on peut dire. Et une fois n'est pas coutume...on se demande bien ce qui va se produire au prochain chapitre. Parce que, à bien y lire, nous n'avons que des indices. Et bien malin qui parviendrait à deviner la suite.
(et là, Patrick S. Vast sourit ;-))
Écrit par : g@rp | 01/11/2008
Bonjour g@arp, le dénouement approche. Ce sera très exactement pour le 15 novembre !!!
Écrit par : Patrick S. VAST | 01/11/2008
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