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28/02/2009

Le spationaute (dernier épisode)

Épisodes précédents dans la rubrique "Feuilletons", colonne de gauche

 

***

 

J'avais roulé toute la journée avec ma bicyclette. Je suis arrivé en début de soirée dans une station balnéaire. Par une petite route, j'ai gagné un endroit à la fois étrange et très prenant. C'était à l'extrémité nord de la plage. Il y avait un bâtiment en ruine dans les dunes, entouré de blockhaus également très endommagés. Il n'y avait plus personne sur la plage ; il faut dire qu'il était déjà près de 21 h. Je me suis installé avec ma bicyclette en haut d'une dune, et j'ai pique-niqué. Ensuite, je suis resté à contempler le coucher de soleil. C'était à la fois poétique et magique. Je suis resté ainsi, contemplatif, presque méditatif, pendant au moins deux heures. Puis, je me suis glissé dans mon sac de couchage, et me suis très vite endormi.

Je ne sais pas combien de temps exactement j'ai dormi d'un sommeil paisible ; mais j'ai été réveillé par un léger sifflement. J'ai ouvert les yeux, et à ma grande surprise, je me suis aperçu qu'on y voyait comme en plein jour. Mais ce qui m'a le plus surpris encore, ce fut de découvrir une sorte de disque qui arrivait de la mer ; un disque lumineux qui était la cause de cette incroyable clarté qui régnait alors alentour. Le disque s'est approché des dunes, et il m'est apparut immense, énorme. Il s'est immobilisé au dessus de la plage, puis j'ai pu distinguer une échelle qui sortait du dessous du disque pour atteindre le sable. Bientôt, j'ai vu des individus descendre par cette échelle. Ils était quatre, et commencèrent à s'affairer au pied de la dune en haut de laquelle j'étais perché, observant médusé ce qui se passait depuis mon sac de couchage. J'ai vu alors trois des quatre individus qui étaient descendus du disque lumineux, y remonter par l'échelle. Puis, il y eut un bruit très strident, et le mystérieux disque a repris la direction de la mer.

Mais il laissait derrière lui une longue et large traînée lumineuse qui permettait encore de voir pratiquement comme en plein jour. Ce fut ce qui me permit de découvrir une forme humaine allongée au pieds de la dune. Je suis prestement sorti de mon sac de couchage, et J'ai descendu la dune. J'ai rejoint en quelques secondes ce qui était un individu vêtu d'une étrange combinaison de couleur grise, le visage dissimulé par un casque dont la visière était baissée.

Dès que je fus près de lui, l'individu s'est redressé, puis s'est assis, et a aussitôt enlevé son casque. Je m'attendais à découvrir quelque chose d'incroyable, mais ce ne fut guère le cas. L'homme avait les cheveux coupés très courts, et son nez était aplati comme peuvent l'être ceux des boxeurs. C'était assurément un Terrien, qui me regardait avec un peu de crainte dans les yeux.

Je me suis efforcé aussitôt de le rassurer, et comme j'étais en France, ce fut dans la langue de ce pays que je me suis exprimé.

— Ne craignez rien, lui ai-je dit, je ne vous veux aucun mal.

L'homme a alors hoché la tête ; il m'avait compris.

— D'où venez-vous ainsi ? ai-je poursuivi.

L'homme a eu l'air troublé.

— De loin, de très loin, a-t-il répondu.

— D'une autre planète ? ai-je insisté.

L'homme a secoué la tête, et a bredouillé :

— Je... je ne sais pas, je ne sais plus. Enfin, plus très bien.. je dois oublier tout... je...

— Mais comment êtes-vous parti de la terre ? ai-je encore insisté.

L'homme a porté la main à son front.

— Avec la fusée... oui, la fusée des Allemands, a-t-il dit en hésitant.

J'ai continué :

— Mais quand êtes-vous parti ?

L'homme avait l'air épuisé, mais il a fait un effort pour répondre :

— En... en 1943.

Je n'en revenais pas.

— Mais que s'est-il passé après votre départ ? me suis-je presque écrié.

L'homme a secoué la tête pour déclarer :

— J'ai été sauvé... par... par… mais je ne sais plus, je ne me souviens plus.

J'ai alors tenté :

— Vous avez été envoyé dans l'espace, puis vous vous êtes retrouvé en difficulté, et des extraterrestres sont venus à votre secours, c'est cela ?

— Des extraterrestres ? s'est étonné l'homme.

Il m'a regardé alors, l'air complètement perdu, puis a recommencé :

— Je... je ne sais plus. Je... je dois tout oublier... oublier.

Une chose qui m'étonnait le plus, c'était que cet homme paraissait une quarantaine d'années. Or, il devait bien en avoir une vingtaine quand on l'avait envoyé dans l'espace, et donc être âgé d'au moins 80 ans maintenant.

— Mais combien de temps êtes vous resté parti ? ai-je hasardé.

Il a semblé faire un effort surhumain pour réponde :

— 60 jours.

— 60 jours ! me suis-je exclamé. Mais soixante ans ont passé depuis 1943. Nous sommes en 2003.

L'homme a presque réussi à sourire pour m'annoncer :

— Là où j'étais, une année terrestre dure un jour seulement.

— Vous n'avez donc vieilli que de 60 jours depuis votre départ, ai-je conclu.

L'homme a doucement hoché la tête.

C'était évident vu son aspect. Il avait donc déjà une quarantaine d'années en 1943.

Il fallait que j'en sache plus encore. J'ai donc repris :

— Mais où vous étiez, c'était une planète, c'est cela ?

L'homme n'a alors pu que dire :

— Oublier... je dois oublier. Très fatigué, je suis très fatigué. Je suis parti le 8 juillet 1943 dans la fusée, puis... je suis revenu, aujourd'hui.

— Et entre les deux ? ai-je tenté.

Comme je le craignais, il a répondu :

— Oublié... tout oublié maintenant.

Puis, il s'est allongé sur le sable et a sombré dans un sommeil profond.

J'ai regardé vers la mer ; le disque disparaissait à l'horizon. En même temps la nuit revenait, et bientôt on ne fut plus éclairé que par la pleine lune et les étoiles qui étaient très nombreuses.

Je me suis senti soudain très fatigué. J'aurais pu m'allonger près du rescapé de l'espace, et ainsi veiller sur lui ; mais il semblait dormir très paisiblement maintenant, et n'avoir besoin de personne.

Alors, très péniblement, j'ai remonté la dune, et regagné mon sac de couchage. Une fois dedans, il ne m'a pas fallu plus de deux secondes pour sombrer à mon tour dans un sommeil profond.

Quand j'ai rouvert les yeux, il faisait jour, et un chaud soleil brillait haut dans le ciel.

Ce que j'avais vécu dans la nuit, m'est revenu aussitôt à l'esprit. Mais dans l'état de demi-sommeil où je me trouvais encore, j'étais persuadé que j'avais rêvé. Ce n'était pas possible, tout ce que j'avais cru voir : le disque lumineux, et le mystérieux spationaute, tout cela n'avait pu réellement exister.

Comme j'ai très vite eu l'impression qu'il y avait du monde sur le plage, je suis sorti de mon sac de couchage ; et, à quatre pattes, j'ai regardé en bas de la dune.

J'ai eu un choc quand j'ai découvert un homme vêtu de gris allongé au pied de la dune, et plusieurs personnes entièrement nues qui le fixaient.

J'étais à la fois amusé de m'être aventuré sans le savoir sur une plage naturiste, et abasourdi de devoir me rendre à l'évidence que la nuit dernière, j'avais bien assisté au débarquement d'extraterrestres, ramenant sur la terre un malheureux spationaute qu'ils avaient secouru, et gardé deux mois équivalant à 60 années terrestres sur leur planète.

Tout cela dépassait l'imagination, et une chose me chamboulait tout particulièrement : les Allemands avaient envoyé dans l'espace un homme en juillet 1943 ! Cela remettait toute l'histoire de la conquête spatiale telle qu'on la connaissait en question : l'envoi dans le cosmos de Spoutnick I en 1957, de Gagarine en 1961, qui de ce fait ne serait plus le premier homme a avoir voyagé dans l'espace, la place revenant à ce spationaute sans aucun doute involontaire. Mais ce vol ne pouvait apparaître comme un succès véritable ; la fusée n'étant jamais revenue sur la terre, et son passager 60 ans après dans des conditions bien particulières.

Je fus tiré d'un coup de mes réflexions, quand j'ai vu l'homme se lever, et regarder autour de lui. Manifestement, il semblait étonné, et les naturistes qui l'observaient tout autant. Il a paru hésiter un instant, puis après avoir récupéré son casque, s'est mis en route vers le sud de la plage.

Les naturistes parlaient entre eux ; mais d'après leur attitude, ils devaient tout simplement estimer que l'homme n'était pas souffrant comme il l'avait sans doute cru. Ou même, qu'il ne risquait plus maintenant d'attraper une insolation en restant allongé sous le soleil qui cognait de plus en plus fort. Ils sont très vite retournés à leurs occupations de plagistes, tandis que le spationaute marchait tranquillement sur le plage, et commençait à s'éloigner.

J'ai continué de le suivre des yeux, en songeant au destin incroyable de cet homme qui était un miraculé, ayant vécu sur une planète dont personne ne soupçonnait l'existence, et qui à cette heure avait sans doute tout oublié. Comme il l'avait laissé entendre cette nuit, il ne pouvait se souvenir que de son départ pour l'espace le 8 juillet 1943. Cet homme allait vivre avec un trou de soixante années dans sa vie. Mais pire, comment allait-il se débrouiller maintenant, étant complètement décalé, et de surcroît porté disparu depuis 1943 ? Après avoir été un naufragé de l'espace, il allait être un naufragé du temps, reprenant sa vie là où il l'avait laissée, quand il était âgé d'une quarantaine d'années, alors qu'il était un centenaire potentiel. Songer à toutes les difficultés qu'il ne pouvait que rencontrer, donnait le vertige.

Je l'ai alors encore regardé s'éloigner, avec mille pensées dans la tête.

 

***

 

 

C'est ainsi que John Wesling a terminé sa nouvelle, laissant ses éventuels lecteurs imaginer seuls ce que pourrait être l'avenir de son spationaute de "fiction".

***

En tout cas, voilà ce qu'il advint d'Émile Rivet. Comme on l'a déjà mentionné, il fut embauché dans l'entreprise de déménagement qui était géré par le petit-fils de son employeur de 1943. Au préalable, le maire de Belvédunes lui avait octroyé un logement communal. Ce fut avec plaisir qu'il se rendit chaque jour au travail, même si le temps passant, il avait de plus en plus de peine à manipuler des armoires ou autres meubles encombrants. Il faut dire que petit à petit, ses cheveux blanchissaient et son visage se ridait toujours plus, signe d'un vieillissement progressif. Son employeur et ses collègues de travail en vinrent à s'inquiéter. Mais Émile s'efforçait toujours de faire preuve d'un bel entrain, et en tout cas d'un inaltérable enthousiasme. Pourtant, au matin du 7 août, tout cela cessa, car l'intéressé fut terrassé par un terrible lumbago, alors qu'il portait une table d'un poids relativement raisonnable pour un déménageur professionnel.

Il fut transporté d'urgence à l'hôpital, où le médecin qui le reçut, fut étonné, en voyant cet homme au visage raviné par les années, au crâne presque entièrement dégarni, et aux membres déformés par les rhumatismes, d'apprendre qu'il exerçait encore à son âge déjà bien avancé, le métier de déménageur. En effet, les examens pratiqués dans les jours qui suivirent, confirmèrent que l'organisme d'Émile était bien désormais celui d'un vieillard de 74 ans.

Il avait donc vieilli de 30 ans en 30 jours. Alerté, le maire le fit admettre aussitôt dans une maison de retraite de la ville. La période de canicule qui a marqué le mois d'août 2003, commençait alors. Très vite, tout le monde : opinion publique, médias, hommes politiques furent accaparés par ce véritable cataclysme qui s'était abattu sur le pays, avec en premier lieu de nombreux décès parmi les personnes âgées. À Belvédunes, la brise marine qui fut omniprésente durant cette période, contribua à ce que l'on ne connût pas de situation catastrophique comme dans d'autres villes. Il n'y eut en tout et pour tout que cinq décès durant le mois d'août dans la commune, qui n'eurent rien à voir avec le phénomène de la canicule nationale.

Si bien qu'Émile Rivet qui continuait de vieillir tranquillement, mourut de sa belle mort le 6 septembre dans la soirée, soit très exactement 60 jours après son retour à Belvédunes. On s'abstint de pratiquer la moindre autopsie à la suite de son décès, car manifestement, cet homme qui était né le 15 mars 1899, avait tout à fait l'aspect d'un vieillard de 104 ans quand il avait rendu l'âme.

Il fut enterré trois jours plus tard, et sur sa tombe financée par la commune de Belvédunes, ce fut bien le 6 septembre 2003 qui y figura comme date de décès, faisant ainsi de lui un homme qui était mort à deux périodes différentes. En effet, une délibération du conseil municipal avait entériné le fait que l'on ne changerait pas l'inscription au monument aux morts.

Tout cela était bien sûr passé inaperçu ; ce que l'on avait appelé "le drame de la canicule", continuant toujours a d'accaparer les médias à l'automne 2003.

 

Lorsqu'Émile Rivet était mort, il y avait une infirmière de la maison de retraite à ses côtés. Plus tard, elle devait rapporter à des proches, qu'il avait quitté notre monde avec une très grande sérénité, laissant penser que cet homme avait réellement eu une vie très longue et d'une richesse exceptionnelle.

 

Ce que l'on pourrait encore ajouter, c'est qu'au cours de la nuit qui suivit le décès d'Émile, des personnes qui traînaient dans les environs de la plage de Belvédunes, auraient vu — ou cru voir—, une étrange clarté provenant de la mer.

 

FIN

Patrick S. VAST - Août 2005

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