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24/06/2011

Emma Song

Emma attendait sur sa chaise près du carrefour. On lui avait dit que c’était justement à un carrefour que Robert Johnson avait rencontré le Malin qui lui avait donné son talent. « Ton âme contre une bonne dose de blues que tu enverras partout où tu passeras ». Emma voulait vérifier ; mais surtout elle souhaitait se jouer du Malin. Elle ne l’aimait pas trop, elle le noyait dans tous ses chants de ferveur qu’elle libérait le dimanche à la messe. Non, Robert Johnson avait raconté des histoires. On ne rencontre pas le diable au carrefour. Au carrefour on passe ou l’on reste. Emma attendait sur sa chaise.

Joe s’était perdu dans un de ces coins de Paris qui rappelaient que la guerre n’était pas finie depuis si longtemps. Il errait dans la brume du jour, celle de son cerveau où le mal-être s’était installé à ses dépends. Il n’avait nulle part où aller, était perdu dans le petit matin fugace. Héros de mauvais polar déjanté, personnage de chanson de blues, il marchait de façon syncopée, comme une note bleue triturée. Il partit dans un long délire, mi-réel, mi-onirique. Il emprunta un métro sans un chat dedans, puis arriva à la gare Saint-Lazare où il se laissa tomber sur la banquette défoncée d’une troisième classe d’un train branlant qui partit sans siffler gare. Sur les quais du port du Havre, Joe se fit accoster par des marins ivres, des Américains qui parièrent de l’emmener de l’autre côté de l’Atlantique. Joe dut admettre qu’il avait perdu quand il se retrouva à New-York. Mais il battit au poker les marins qui n’arrivaient décidément pas à décoller des vapeurs de Bourbon, et ramassa un bon petit magot lui permettant d’acheter une Cadillac. Il roula longtemps avec sa voiture chromée sous le soleil et dans la poussière, jusqu’en Caroline du Sud où le moteur lâcha. Alors, il partit à pied parmi les champs de coton, et finit par arriver à un carrefour près duquel une Mama black attendait sur sa chaise.

En voyant Joe, Emma se leva et courut jusqu’à sa maison de planches qu’elle partageait avec Bill, son mari. Celui-ci avait sa guitare dans les mains, et jouait justement « Crossroads blues » de Robert Johnson. Emma lui demanda d’arrêter tout de suite, qu’il avait appelé le Malin, qu’elle l’avait vu au carrefour. Bill partit à rire, tandis qu’Emma trépignait de peur. Et elle se retint de ne pas hurler quand Joe apparut à la porte de la maison. Mais il afficha tout de suite un bon sourire, et dit tout simplement qu’il avait faim et soif, et qu’il accepterait volontiers une bonne bière fraîche et un hot-dog cuit à point.

Patrick S. VAST

 


Commentaires

Jolie petite nouvelle, c'est un extrait de quelque chose?

Écrit par : sister for ever | 29/06/2011

En fait, c'était suite à un appel à textes sur le site de Télérama. Il y avait deux photos, et à partir de cela, il fallait écrire un texte et le mettre en ligne. Je ne sais plus ce qu'il y avait à gagner. En tout cas, je n'ai pas gagné, mais il restait le texte qui demeurait inédit. Comme il parlait d'une chanson de Robert Johnson, je l'ai associée, mais dans la version de Clapton, plus moderne, en tout cas moins rustique.

Écrit par : Patrick Vast | 30/06/2011

Merci pour ces éclaircissements!

Écrit par : sister for ever | 01/07/2011

Les commentaires sont fermés.