Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

21/07/2007

La jeune femme au lapin

6f9ef51982890bbe73ad5d19ac41b22e.jpgM. Pic prit le train de 18 h 35 : comme tous les soirs de la semaine. Il n’y avait aucune raison que ça change. Il s’installa sur une banquette, et alors que le train redémarrait, il eut le regard attiré par la personne qui se trouvait sur sa gauche. C’était une jeune femme vêtue d’un jean, et d’un tee-shirt rouge. Il faisait chaud, et d’ailleurs M. Pic ne portait qu’une veste légère. Mais ce qui retint l’attention de ce voyageur, ce ne fut pas la tenue vestimentaire de la jeune femme dont les cheveux passés au henné lui tombaient sur les épaules, mais le fait qu’elle tenait serré contre elle un lapin. Oui, un gros lapin au poil brun, aux yeux fixes, mais au nez exagérément mobile.

M. Pic trouva cela tout à fait insolite. Mais plus insolite encore, était pour lui la façon qu’avait la jeune femme de passer d’un air rêveur la main sur le pelage du lapin, doucement, gracieusement, presque voluptueusement. M. Pic n’en revenait pas. Il aimait la norme, l’établi, les idées majoritairement admises. Cette jeune femme sortait complètement des critères retenus par l’ensemble des citoyens. Elle aurait dû à la rigueur caresser un chat. Mais un lapin ! D’ailleurs, que faisait un lapin dans un train ? Ce n’était nullement sa place. M. Pic était sûr et certain que s’il interrogeait mille, voire dix milles, voire, cent milles de ses contemporains, ils lui donneraient tous raison. Il n’y avait que peu de voyageurs dans la voiture qu’occupait M. Pic. Et de plus, ils étaient installés à l’avant, ne pouvant voir la jeune femme au lapin. Il eut quand même bien envie de les interpeller, afin d’agir, ou du moins de réagir à cette anomalie, d’une jeune femme caressant un lapin dans un train. Mais il y renonça, se disant que son trajet ne durait qu’un petit quart d’heure, ce qui ne l’obligeait à supporter cet affront fait au conformisme dont il était un fervent défenseur, que peu de temps.

Il arriva en effet assez vite à destination, et en ressentit un grand soulagement. Il descendit du train avec le sourire aux lèvres, et alors qu’il s’apprêtait à emprunter le passage souterrain pour gagner la gare, il regarda autour de lui. Il fut aussitôt stupéfait. Tous les voyageurs qui descendaient avec lui les marches menant au passage souterrain, avaient des têtes de… lapin. C’était effrayant de voir ces créatures incroyables dotées d’un corps d’Humain, et d’une tête, oui d’une tête de… lapin. M. Pic eut beau se frotter les yeux, secouer sa propre tête pour tenter de revenir dans la réalité, rien n’y fit ! Il était autant effrayé que chamboulé, si bien qu’il ne ressentait plus rien, se trouvant anesthésié. Et c’est dans ce no man’s land sensoriel qu'il entra dans la gare. Il y avait un grand miroir posé en plein milieu du hall. Il s’en approcha avec crainte et méfiance, et lorsqu’il s’aperçut qu’il avait gardé sa tête d’Humain, avec son visage chiffonné de quinquagénaire, et sa petite moustache grise qu’il taillait régulièrement, il se sentit horriblement isolé. D’ailleurs, tout autour, les têtes de lapin riaient de lui en découvrant leurs incisives.

Et soudain, quelqu’un l’interpella :

— Je peux vous aider, monsieur ?

M. Pic se retourna et vit un employé de la SNCF, dont la casquette était calée entre ses deux grandes oreilles.

— Heu… non, non, fit M. Pic.

— Ah bon, fit le cheminot, parce que vous me semblez étranger, pour ne pas dire étrange.

— Oui, oui, c’est vrai, reconnut M. Pic, désemparé.

Et alors il se précipita hors de la gare. Et là, le choc fut encore plus grand que sur le quai, quand il s’aperçut que tout le monde autour de lui avait de nouveau un aspect… normal. Mais M. Pic trouvait soudain ce terme insolite. Un comble pour quelqu’un qui ne jurait que par le conformisme à sa descente du train. Et c’est très dubitatif qu’il prit le chemin de son domicile.

***

 

Le lendemain, il monta de nouveau dans le train de 18 h 35. Et une fois à bord, il commença à explorer toutes les voitures.

Quand il rencontra le contrôleur, celui-ci lui demanda :

— Vous cherchez quelque chose, monsieur ?

— Oui, répondit M. Pic, la jeune femme au lapin.

Le contrôleur sourit.

— Vous êtes un original, fit-il.

— Oh oui ! fit M. Pic, manifestement en joie.

— Vous êtes vraiment très étrange, insista le contrôleur.

Alors, M. Pic haussa les épaules, et lâcha :

— Oh, vous savez, ce n’est qu’une question de situation. Croyez-en moi.

Dédié à Lewis Carol et au Jefferson Airplane, même si leur lapin n’était pas brun, mais blanc.

Commentaires

Bonjour

Ma mère a une phobie des lapins survenue vers l'âge de l'adolescence, qui la met en panique totale en présence de cet animal, si bien que j'aimerais savoir par quel processus une phobie s'installe.
Elle se serait sauvé vite fait du compartiment !

Bonne journée.

Écrit par : Sophie | 21/07/2007

Bonjour Sophie. Peut-être qu'elle se serait retrouvée transformée en lapin.

Écrit par : Patick S. VAST | 21/07/2007

Très original.

Écrit par : enriqueta | 22/07/2007

Derrière chaque lapin se cache un exemplaire du terrible monstre tueur de la caverne de Caerbannog (Monty Python, Sacré Graal)...
Méfions-nous des deux zoreilles !
Bonne journée Patrick (and co) :)

Écrit par : johal | 22/07/2007

Bonjour Enriqueta. L'original se trouve en fait dans notre quotidien qu'il faut emmener dans les sphères de l'imaginaire.

Écrit par : Patick S. VAST | 22/07/2007

Bonjour Johal. Le lapin que j'ai vu avait surtout deux yeux étrangement fixes, et des narines tout aussi étrangement mobiles.

Écrit par : Patick S. VAST | 22/07/2007

Excellent !
merci pour ce trés bon moment de lecture. On se croirait dans une scène d'Inland Empire de Lynch, celle avec les humains à tête de lapin sur une scène de théatre.

Écrit par : castor | 23/07/2007

Bonjour Castor. je suis content que le gros lapin que j'ai vu dans un TER lundi dernier, fasse son petit bonhomme de chemin. À bientôt.

Écrit par : Patick S. VAST | 23/07/2007

Les commentaires sont fermés.