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24/12/2007

Le grand trapèze céleste

Installée dans son fauteuil, la vieille dame au chignon de cheveux blancs, regarde par la fenêtre de la maison de retraite. Elle peut ainsi voir les habitations d’en face parées de décorations de Noël : des guirlandes et de la fausse neige aux fenêtres, des figurines de Pères Noël descendant des toits.

Mais la vieille dame a l’air rêveuse. Ce soir, il y aura un repas spécial ; elle se retrouvera avec les trente autres pensionnaires de la maison de retraite dans la grande salle à manger égayée par un sapin illuminé. Comme l’année dernière on fera peut-être venir un guitariste qui chantera des chansons anciennes, où comme il y a cinq ans, un duo qui jouera des sketches bon enfant. Puis, il y aura la distribution des cadeaux ; l’année dernière, la vieille dame a eu un petit flacon de lavande, comme d’ailleurs l’année précédente.

La vieille dame est un peu triste ; elle attend.

 

***

 

Triste, elle l’a encore été au cours de la soirée qui s’est déroulée comme prévue, si ce n’est que comme attraction, on a invité une jeune fille boutonneuse qui a récité des poèmes de sa composition.

La vieille dame est remontée dans sa chambre vers 22 h. Elle ne s’est pas couchée, mais s’est installée de nouveau dans son fauteuil, et a écouté les cris de joie, les clameurs de fête venant des habitations d’en face.

 

***

 

Maintenant, son regard est rivé sur les guirlandes des fenêtres, les lumières des sapins qui clignotent sur les vitres. Et soudain, il se passe quelque chose d’étrange. La vieille dame voit un chapiteau où une sarabande de lumières semble tournoyer dans l’espace. En fait, c’est elle qui virevolte après avoir lâché son trapèze. Dino, son partenaire, doit la rejoindre dans les airs ; mais voilà qu’à une fraction de seconde près, leurs mains ne se joignent pas. Le rendez-vous est manqué, pour la première fois de leur carrière. Elle se rattrape de justesse au trapèze de Dino, et sent que tout va basculer, dans sa vie, dans ce monde à l’écart duquel elle vivra désormais.

Dino s’est écrasé sur la piste ; il reste inerte, mort à 23 ans, en ce dernier Noël de sa carrière de saltimbanque, d’artiste de cirque.

La vieille dame ouvre les yeux ; s’est-elle assoupie ? a-t-elle rêvé ?

Une lumière laiteuse se répand dans la chambre ; elle se lève de son fauteuil, se retourne, et croit toujours rêver.

Au milieu de la chambre, se tient un jeune homme brun en habit de paillettes.

— Dino ? fait-elle.

— Oui, Gina, c’est bien moi, dit le jeune homme.

— Mais où étais-tu pendant tout ce temps ?

— Eh bien, sur le grand trapèze céleste. Et ce soir je suis venu te chercher, pour que l’on reprenne notre numéro.

— Sur le grand trapèze céleste ?

— Oui, là-bas.

— Mais je n’ai plus l’âge d’être trapéziste, voyons !

— Mais si, Gina, sur le grand trapèze céleste, il n’y a pas d’âge qui compte, le temps n’existe plus, on a l’éternité pour soi. Alors, tu viens ?

Gina se revoit à l’âge de Dino, en costume de paillettes comme lui. Elle sent qu’elle va dire oui.

 

****

 

Le lendemain à 9 h, une employée de la maison de retraite entra dans la chambre de la vieille dame.

— Joyeux Noël ! madame François, s’exclama-t-elle avec entrain.

La vieille dame ne répondit pas, et après avoir retapé rapidement son lit, l’employée s’en alla après avoir lancé :

— Bonne journée, madame François !

La vieille dame ne l’avait pas entendue, ne s’était même pas aperçue de sa présence. Elle paraissait regarder les habitations d’en face, un léger sourire dessiné sur son visage.

Mais en fait, elle ne regardait rien ; elle avait quitté la maison de retraite pour ne plus jamais y revenir, et virevoltait maintenant avec Dino, sur le grand trapèze céleste.

Patrick S. VAST - Décembre 2007

Commentaires

Quel joli conte... j'en ai les larmes aux yeux, et je pense à une personne très chère qui nous a quittés cette année.... elle elle fait peut-être du vélo sur la voûte céleste!
Merci Patrick pour ce beau texte.

Écrit par : sister for ever | 25/12/2007

Merci pour le commentaire. C'est une histoire que j'ai voulue simple, et à la fois pleine d'imprévu... comme une nuit de Noël finalement.

Écrit par : Patrick S. VAST | 26/12/2007

Elle est très émouvante celle-ci! La mort est douce pour cette vieille dame.
J'ai aussi beaucoup aimé La ville abandonnée mais je n'ai pas pu y laisser de commentaire. J'ai bien aimé le jeu entre l'imagination et la réalité.

Écrit par : enriqueta | 08/02/2008

Les commentaires sont fermés.