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31/12/2007

La ville abandonnée

L’homme descendit du TGV de 15 h 02. Il était grand, très pâle, vêtu chaudement, et tenait une valise à la main.

Il n’y avait personne sur le quai, ni d’ailleurs dans le hall de la gare.

L’homme pensa que l’on devait être certainement dimanche ; mais il ne savait pas trop. Après avoir passé plus de deux ans dans une maison de repos, il avait perdu la notion du temps. Il savait simplement que l’on était en décembre, et probablement au début de l’hiver. Il avait beaucoup de choses à réapprendre. C’est pour cela qu’il était venu dans cette ville où il avait vécu plus de trente ans. Il en gardait pas mal de souvenirs ; cela ne pouvait que lui être utile pour remettre de l’ordre dans ses idées.

Il se rappelait par exemple qu’il y avait un hôtel juste en face de la gare ; il avait prévu d’y prendre une chambre. Il n’eut pas de mal à traverser la chaussée pour s’y rendre, car aucun véhicule ne circulait ; il n’y avait pas non plus le moindre piéton qui traînait dans le coin.

L’homme s’approcha de la porte de l’hôtel, et à son grand désappointement, aperçut une pancarte : « Fermé ».

Il se dit qu’il allait en chercher un autre. Il commença à remonter une avenue étrangement déserte : toujours aucune voiture et aucun promeneur. Les magasins devant lesquels il passa étaient tous fermés comme l’hôtel. Soudain un étrange sentiment l’envahit, puis une pensée : « On dirait une ville abandonnée ». En laissant aller son imagination, on eût pu croire que toute la population avait fui, à cause d’un grand danger ; l’annonce d’une guerre, d’un cataclysme. L’homme qui connaissait bien l’Histoire de cette ville, savait qu’au Moyen Âge, elle avait subi une épidémie de peste, et que l’on murait les habitations des familles contaminées pour les empêcher de sortir et de répandre davantage la maladie. Ainsi les pestiférés se retrouvèrent-ils emmurés vivants chez eux, destinés à une mort lente et horrible. D’après les ouvrages qui rapportaient cet épisode dramatique, on les entendit hurler jusqu’à ce que la mort les délivre de leurs tourments.

L’homme se mit à tendre de plus en plus l’oreille au fur et à mesure qu’il passait devant des habitations : mais il ne perçut rien, pas même le moindre gémissement. La ville avait donc bien été entièrement abandonnée. Il en fut définitivement convaincu, une fois parvenu à la Grande Place, autour de laquelle existait un bon nombre de restaurants et deux hôtels, tous fermés.

Alors, l’homme continua quand même jusqu’à la rue où il avait vécu, et s’arrêta devant son ancienne maison.

D’un doigt un peu tremblant, il appuya sur la sonnette, et attendit, l’oreille aux aguets.

Il sentit son cœur battre lourdement dans sa poitrine quand il perçut ce qui devait être des semelles que l’on traînait avec nonchalance sur un carrelage.

Et il faillit s’enfuir lorsqu’il vit la poignée de la porte tourner tout doucement. Il se retint à temps, et alors, tout s’accéléra.

La porte s’ouvrit d’un coup, pour laisser apparaître un individu gras et bouffi, débraillé et mal rasé.

— C’est pourquoi ? fit celui-ci en libérant une haleine alcoolisée.

Très décontenancé, le voyageur dit :

— J’ai habité cette maison de nombreuses années.

— Ah bon, fit l’autre.

Puis il laissa échapper un immense bâillement.

— S’cusez-moi, reprit-il, mais je n’ai pas dormi de la nuit. Pas vous ?

— Heu non, fit le voyageur. Mais vous ne sauriez pas pourquoi la ville semble abandonnée ? Je n’ai même pas croisé un chat depuis la gare.

Alors l’autre le regarda d’un air ébahi, et dit avec un ton jovial :

— Mais d’où qu’vous sortez ? Z’êtes pas au courant qu’on est le 1er janvier aujourd’hui ? Tout le monde a réveillonné cette nuit, et est en train de récupérer en ce moment. C’que je devrais d’ailleurs faire, moi aussi. Si vous voulez bien m’excuser…

— Mais très certainement, dit le voyageur, rassuré sur le sort de la ville, et content de s’être en quelque sorte reconnecté à ses semblables.

Patrick S. VAST - Décembre 2007

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