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08/11/2008

La gare temporaire (6ème épisode)

Voir les épisodes précédents dans la rubrique "Feuilletons", colonne de gauche

***

Il se réveilla assez tard le lendemain, à la fois très ballonné et très content. En effet, il était qualifié pour la finale de son championnat culinaire qui devait avoir lieu le soir même dans un estaminet de Westouter en Belgique, après avoir réussi à ingurgiter la veille, pas moins de dix assiettes pleines de potje vleesh, aidé en cela, il est vrai, par moult bocks d'une bière provenant d'une abbaye renommée. Cet exploit, expliquait à la fois l'embarras gastrique et la relative sérénité de Théo.

Vers les 15 h, il prit un TER pour Dunkerque. Il faisait encore plus glacial que la veille ce 29 février, mais chaudement vêtu, Théo participa à Dunkerque à quelques réjouissances carnavalesques, qui l'amenèrent au début de la soirée, le temps pour lui de reprendre le train qui, comme la veille et quatre ans plus tôt, était à 18 h 58.

Il choisit une voiture où il était seul, ce qui avait toutes les chances de se prolonger, compte tenu qu'elle n'était pas chauffée et que l'on se serait cru dans un véritable congélateur.

Après un coup de sifflet de l'employé de quai et la sonnerie lugubre de la locomotive, les portes de la voiture se refermèrent automatiquement, puis le train se mit en branle à 18 h 58 précises, et commença à rouler dans la nuit épaisse et glaciale.

Malgré le froid, Théo sentit une suée le gagner, lorsqu'à l'arrêt de Coudekerque-Branche, il vit un jeune homme monter, et s'asseoir à trois banquettes devant lui. Le train redémarra très vite, roulant vers Bergues, où là encore, au grand désappointement de Théo, montèrent deux jeunes filles qui riaient aux éclats.

Lorsqu'elles furent assises, l'une d'elle s'exclama :

— Mais ça caille ici ! On devrait essayer une autre voiture.

Mais le train redémarra à ce moment-là.

Pour Théo, c'en était fini de ses chances de voir apparaître le fantôme du médecin. Il avait beau croire fermement aux revenants, la présence dans la voiture de trois éléments sans aucun doute imperméables aux manifestations irrationnelles, ne pouvait que compromettre l'apparition du médecin. Celui-ci serait bien évidemment présent, mais invisible, et le train passerait devant la gare du village disparu, sans que Théo puisse ne serait-ce que l'apercevoir, mais surtout se rendre compte que dans une autre dimension, il était à l'arrêt et qu'un homme en descendait.

Arrivé à Esquelbecq, Théo reprit un peu confiance en voyant le jeune homme se lever. Mais les deux jeunes filles continuaient de discuter et de ricaner entre elles. Non, décidément, Théo n'y croyait plus.

Et pourtant, le jeune homme venait d'ouvrir les deux portes de la voiture, lorsque l'une des deux jeunes filles se leva d'un coup.

— Vite ! s'exclama-t-elle en tirant sa copine par la manche de son manteau, on est arrivé, c'est Esquelbecq !

Théo souffla un grand coup ; il était enfin seul.

Le train redémarra, et très vite, il entendit des pas derrière lui. Un homme passa en le frôlant presque, et alla se poster devant les portes de la voiture. Il était grand comme le maire, vêtu d'un manteau et coiffé d'un melon. Il se tourna un instant vers Théo, et celui-ci put détailler sa moustache finement taillée, et les deux favoris qui lui mangeaient les joues. C'était effectivement le médecin du village disparu ; c'était bien ainsi qu'il était décrit dans la légende. Théo se demandait si pour le maire et lui, cette année allait être la bonne ; si les villageois allaient enfin les pardonner, leur permettant de trouver enfin le repos, quand le train commença à ralentir.

Pour Théo l'instant crucial était arrivé. Il savait qu'il lui fallait puiser dans ses convictions, ses inébranlables convictions à propos de l'existence des fantômes, pour pouvoir encore continuer maintenant dans une dimension supplémentaire, franchir le palier qui lui permettrait de suivre le médecin, sans connaître la funeste fin des cinq accidentés du Dunkerque-Arras. Car à son avis, si ceux-là croyaient bien aux fantômes, leurs convictions n'étaient toutefois pas suffisamment solides pour qu'ils ne ratent pas finalement le palier qui pouvait les faire pénétrer un peu plus en toute sécurité, dans le monde parallèle où évoluent les revenants. En tant que spécialiste en spectrologie, Théo estimait posséder toutes ses chances pour mener à bien son entreprise.

Il vit le médecin descendre du train, et lui emboîta le pas. Il lui semblait important également de se trouver au plus près derrière le fantôme au moment de la descente du train, ce qu'avaient certainement négligé de faire les autres. Lorsqu'il descendit le marchepied, il se dit qu'il abandonnait sans doute à cet instant, la finale du championnat de Flandre des mangeurs de potje vleesh à son vieil ami mais non moins concurrent Axel Van der Meulen ; mais au moins, ainsi, il faisait fi de toute frivolité, ce qui était préférable pour lui au cas où le fantôme serait vraiment malveillant envers toute personne un tant soit peu amusette.

Théo se retrouva bientôt sur le quai. L'air était glacial, et il voyait la buée de l'haleine du médecin qui le précédait, se mêler à la brume naissante. Le médecin entra très vite dans la gare, puis il en referma la porte derrière lui. Théo la rouvrit aussitôt, et pénétra dans la gare. Elle n'était pas très grande, éclairée par deux espèces de lanternes fixées à un mur, et dans un coin il y avait ce qui paraissait être un guichet, par ailleurs manifestement abandonné. Les lanternes diffusaient une lumière hésitante, qui conférait aux lieux un aspect sinistre.

Le médecin ouvrit une autre porte, et sortit de la gare après l'avoir reclaquée derrière lui.

Ce fut alors que l'on entendit de drôles de craquements. Théo sentit son coeur s'accélérer quand il vit les murs se lézarder. Il leva la tête, et s'aperçut qu'il en était de même du plafond.

Rendez-vous samedi prochain pour le dernier épisode !!!

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