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15/11/2008

La gare temporaire (dernier épisode)

 

Épisodes précédents dans la rubrique "Feuilletons", colonne de gauche

Il lui revint aussitôt à l'esprit un élément et non des moindres de la légende qui le fit frémir. C'était à propos de la gare. Il était mentionné qu'il s'agissait d'une gare temporaire, devant s'écrouler après le passage du médecin.

La gare allait donc s'écrouler comme le voulait la légende. Les fissures étaient devenues des failles, et des pans de murs commençaient à se détacher en produisant un horrible bruit.

Une des théories qu'avait principalement développées Théo dans son traité de spectrologie, concernait bien sûr la force de conviction ; cette force qui, lorsqu'elle est suffisamment développée, peut fournir à tout élément immatériel, la consistance du réel. Ainsi, Théo qui avait justement développé au maximum sa force de conviction pour pouvoir descendre du train et suivre le médecin dans son univers parallèle, avait-il permis que les pans de briques ainsi que les morceaux de plafond qui allaient s'abattre d'une seconde à l'autre, pèsent en tout des tonnes. Paralysé d'effroi, incapable de bouger, Théo dut se résigner à attendre d'être écrasé par la gare temporaire qui allait entièrement s'écrouler sur lui.

 

***

 

Il faisait un froid sibérien ce 1er mars à 9 h du matin, dans le champ bordant les voies de chemin de fer. C'était le propriétaire du champ, un certain Maxence Dehouck qui avait découvert le cadavre de Théo Van der Broucke. Ce n'était pas par ailleurs son premier. C'était lui qui avait découvert celui de Marc Decool quatre ans plus tôt, ainsi que celui de l'accidenté de 1992. Pour celui de 1968, il était en compagnie de son père qui avait trouvé seul celui de 1932. Quant à celui de 1928, c'était le grand-père de Maxence qui y avait eu droit.

Maxence, un grand gaillard quinquagénaire, chaudement vêtu et chaussé de bottes en caoutchouc, avait tout de suite appelé du secours.

Les gendarmes étaient très vite arrivés, précédés de l'ambulance des pompiers. Mais il n'y avait plus rien à faire, l'homme était bien mort, et en plus il se trouvait dans un sale état.

C'était ce que répétait depuis qu'il avait posé ses bottes dans le champ, l'adjudant de gendarmerie, un trentenaire grand et sec dans sa tenue d'hiver, à l'agriculteur qui hochait vaguement la tête.

— Incroyable, dit-il une fois encore. Dans quel état il est le bonhomme ! Il faudra un certain temps pour pouvoir l'identifier. D'autant qu'il n'avait apparemment aucun papier sur lui.

L'agriculteur jeta un vague coup d'oeil au brancard recouvert d'une bâche qui était posé à proximité, tandis que des gendarmes tentaient de relever d'éventuels indices aux alentours.

— Oui, c'est incroyable, confirma l'agriculteur. D'habitude, les gars s'étaient juste tordus le cou en tombant du train. C'était pas trop vilain à voir. Tandis que là, on dirait bien qu'une bâtisse entière lui est tombée dessus. Il est complètement écrabouillé. De la vraie bouillie !

— Incroyable, répéta encore l'adjudant. Et pourtant, là, dans ce champ, il n'y a ni briques ni parpaings. Tout juste quelques pierres, alors...

— Bah, fit l'agriculteur, il ne faut pas oublier la légende... Je ne sais pas si vous êtes du coin, mon adjudant ?

L'autre sourit.

— Je pense bien, dit-il, je suis natif de Cassel, ce n'est pas si loin d'ici. Mais quand même, vous y croyez, vous, à cette légende à propos d'un village disparu en 1896 ? Et puis, quel rapport avec tous ces accidentés depuis 1928, et surtout celui-là réduit à l'état de bouillie ?

L'agriculteur hocha la tête en disant :

— Bah, que peut-on jamais vraiment savoir ?

Et son regard se porta au loin. Mais si dans un premier temps il sembla errer dans le vague, bientôt il parut fixer quelque chose avec attention.

Et alors, on eût pu croire que l'agriculteur ne voyait pas seulement que de la terre gelée par un hiver particulièrement rude, là bas, à une petite centaine de mètres, où la brume matinale s'étiolait.

 

FIN

 

Patrick S. VAST - Août 2005

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