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28/08/2007

Maxima lex, sed lex !

7707201c11655bf04d2306343074d701.jpgComme tous les mercredis à 15 h, le Haut Tribunal était réuni pour juger des affaires criminelles.

Dans la salle d’audience, étaient installés derrière leur pupitre, le Juge suprême et ses deux assesseurs, tous trois vêtus de leur toge noire et portant leur perruque blanche. Juste à côté, se tenait assis sur une chaise, l’avocat de la défense dans sa toge verte. Un peu plus loin, il y avait le box des jurés qui comprenaient deux femmes et deux hommes à l’air humble et besogneux. Et juste en face, on trouvait le box des accusés, qui pour l’instant, n’était occupé que par deux tréteaux que gardaient deux agents des forces spéciales, casqués et tenant leur arme de combat à la main. Dans le public il y avait les familles des victimes, celles des inculpés ne se déplaçant presque jamais, mais surtout des journalistes munis de caméras et de micros.

Une porte du fond s’ouvrit, et apparurent quatre individus vêtus de blanc, portant à l’épaule un cercueil de chêne.

Ils marchèrent ainsi jusqu’au box des accusés, et allèrent y déposer délicatement le cercueil sur les deux tréteaux.

Ceci fait, ils repartirent, et les deux agents des forces spéciales se montrèrent encore plus sur leur garde.

Alors, le Juge suprême frappa avec un petit maillet sur son pupitre, et annonça que le Haut Tribunal pouvait siéger.

Tout de suite, il lut l’énoncé de la première affaire. Il s’agissait d’un certain Ivan Borek, qui avait assassiné sa petite amie avec une arme à ultrasons. On avait bien évidemment affaire à un crime passionnel, comme on en connaissait encore en ce 31ème siècle.

Le Juge suprême donna la parole à l’avocat de la défense qui se leva, et proclama :

— Mon client ne peut pas être coupable, puisqu’il n’a jamais reconnu les faits !

Le Juge suprême donna un virulent coup de maillet sur son pupitre, et répliqua :

— Votre client n’a pas pu reconnaître les faits, puisque après avoir commis son crime, il a retourné son arme contre lui. Il a cru, en se suicidant, pouvoir échapper à la justice et au jugement qu’il méritait. Mais c’était oublier une loi déjà très ancienne, qui oblige tout criminel à être jugé, quelles que soient les circonstances ! Autre chose à ajouter ?

— Non, rien à ajouter, fit l’avocat de la défense, très penaud.

Puis, il se rassit, et le Juge suprême précisa que les analyses avaient conclu que c’était la même arme qui avait servi aussi bien au crime qu’au suicide. Et il déclara que de toute façon, en se suicidant, le prévenu avait signé son acte.

Les jurés furent alors invités à se retirer durant une demi-heure pour délibérer, après que le Juge suprême eut requis la peine maximale contre le prévenu.

 

***

Au bout d’une demi-heure, une sonnerie retentit, et les quatre jurés revinrent dans la salle d’audience. L’un d’eux alla porter une feuille au Juge suprême qui la lut à voix basse.

Puis après que les jurés eurent tous repris leur place, celui-ci annonça que le dénommé Ivan Borek avait été jugé entièrement responsable de son crime, qu’il ne bénéficiait d’aucune circonstance atténuante, et était de ce fait condamné à mort, la sentence devant être exécutée dans les plus brefs délais.

Les journalistes se précipitèrent aussitôt sur la famille de la victime afin de recueillir ses impressions, tandis que les quatre individus de tout à l’heure vinrent rechercher le cercueil.

Un petit quart d’heure plus tard, on put passer à l’affaire suivante.

 

***

 

Mais celle concernant Ivan Borek connut vraiment son dénouement le lendemain à 9 h, lorsque sur tous les écrans de la Nation, apparut le présentateur vedette de la télévision gouvernementale.

Celui-ci arborait comme d’habitude son sourire radieux, et après avoir affirmé que la journée serait ensoleillée, annonça qu’à 4 h précises, le cercueil du criminel Ivan Borek avait été déposé sur la chaise électrique, où on lui avait administré une décharge de 100000 volts.

Et le présentateur vedette de conclure avec toujours son légendaire sourire :

Maxima lex, sed lex !

25/08/2007

Le vigile

1cba22eb1e3cca19834f4e968473fe22.jpgVoici ma nouvelle « Le vigile » qui après avoir été programmé dans le numéro 8 du fanzine fantastique québécois Nocturne en 2007, a d'abord été mis dans la rubrique "Mes nouvelles en ligne", puis a finalement intégré la rubrique des publications dans les revues et fanzines suite a sa parution en 2008 dans Nocturne.

Alors, le vigile en question s’appelle Jack, et c’est un brave gars qui adore son métier, au point d’accepter toutes les propositions de son patron. Oui, mais… la suite en PDF, en cliquant juste en dessous :

vigile.pdf

11/08/2007

Le clown d'Amsterdam

7a3d707c8a4aea59e0abe25d442632fe.jpgLe port d’Amsterdam scintillait de ses mille lumières nocturnes sous un ciel étoilé, trop large pour une lune d’été. L’air était moite et empreint de toutes les senteurs des étals des vendeurs de beignets.

Un homme marchait parmi des assoiffés qui étaient seuls dans leur ivresse lourde.

Il portait un costume de clown ; celui du clown blanc : la veste et le pantalon bouffant en strass, le tout souligné par un visage de plâtre.

Il arriva bientôt à hauteur d’un marin à la barbe grise, une casquette noire vissée sur le crâne.

— Goedenavond ! lança celui-ci.

— Bonsoir, répondit le clown.

— Ah, vous êtes Français, fit le marin. Moi, je suis Belge. Je comprends très bien votre langue, même si je suis d’Ostende.

Tous deux s’étaient arrêtés à côté d’un bar dont la porte était ouverte, et laissait s’échapper plein pot de la musique sur le quai.

— Oh, ça, c’est Amsterdam, par David Bowie, fit le marin. Voilà qui me rappelle bien des souvenirs.

— À moi aussi, fit le clown.

Le marin plissa les yeux.

— Vraiment ? fit-il. Voilà qui m’étonne ; ce soir je n’ai presque pas bu, et avec toutes ces lumières on y voit parfaitement sur ce quai. Alors, malgré votre maquillage, et vu votre allure, je suis prêt à parier que vous n’étiez pas encore né en 1973, quand Bowie a sorti ce truc-là.

Le clown se contenta de sourire, illuminant ainsi son visage de plâtre.

— Vous m’êtes bien sympathique, déclara le marin. Venez, on va entrer dans ce bar, et je vous offre une pinte.

Le clown accepta, et ils pénétrèrent dans une véritable caverne surchauffée et enfumée, où une foule électrique de garçons et de filles transpirant à grosses gouttes dans leur cuir noir, vidaient des grands bocks de bière.

Ils s’installèrent au comptoir, juste en face d’un téléviseur fixé en hauteur, qui diffusait le clip de Bowie déclamant la complainte des hommes perdus, avec un visage fardé de couleurs vives.

À une extrémité du comptoir, il y avait un vieux marin balafré qui avait sursauté en voyant le clown. Maintenant, il gardait la tête baissée, et sa main qui tenait son bock, tremblait légèrement.

Le clown et son compagnon de rencontre commandèrent deux bières, et fixèrent le téléviseur qui soudain se brouilla. Mais cela ne gêna personne. Tous les clients baignaient dans leurs vapeurs d’alcool et de chanvre indien.

Une image en noir et blanc finit par apparaître, et un présentateur d’aspect austère annonça qu’un jeune clown avait été repêché dans les eaux du port. Sur le côté droit de l’écran, figurait ce qui était censé être la date du jour : le 13 juillet 1973.

Le marin regarda le clown d’un air ébahi, mais il y eut d’un coup un grand murmure, et un attroupement se forma près de l’endroit où se tenait le balafré.

Le marin se fraya un passage jusque-là, et sursauta quand il le vit allongé par terre, les yeux figés dans une expression de terreur. Il semblait se mourir.

Alors, instinctivement, le marin chercha le clown ; mais celui-ci avait disparu.

 

***

 

Il était dehors dans la légère brume nocturne qui avait envahi le port d’Amsterdam.

Le 12 juillet 1973, il se promenait au même endroit. Le cirque stationnait pour deux jours dans la ville. Après le spectacle, il avait eu envie de faire un tour, sans même se débarrasser de son maquillage et de sa tenue de clown, et ses pas l’avaient guidé jusqu’au port. Son destin avait croisé une bande de marins ivres qui l’avaient pris à partie. Sa vie, c’était de rire et de faire rire, même si le clown blanc doit toujours modérer l’impétuosité de l’Auguste

Les soûlards avaient bien eu envie de rire, mais à ses dépens. Ils l’avaient bousculé, puis un balafré l’avait poussé dans l’eau du port.

Il savait jongler ; faire du trapèze aussi, mais n’avait jamais eu le temps d’apprendre à nager. Il avait coulé ; s’était noyé.

On avait repêché son corps le lendemain. Comme tout cela s’était passé dans un coin isolé du port, il n’y avait pas eu de témoin ; on n’avait jamais retrouvé le coupable.

 

***

 

Le clown était triste ; il était revenu parmi les vivants pour confondre son assassin ; et n’avait fait que le conduire vers la mort. Il n’avait pas mieux agi que lui. Il lui restait à retourner vers les dimensions invisibles, en proie à un doute mélancolique. Il lui fallait repartir vers l’au-delà ; quitter son enveloppe charnelle pour toujours, pour de bon ; il valait mieux.

Sur le port, la voix de Bowie retentissait en écho au blues du clown blanc :

 

In the port of Amsterdam

There's a sailor who dies

Full of beer, full of cries


Dans le port d’Amsterdam

Il y a un marin qui meurt

Plein de bière, plein de pleurs

 

Et un clown lunaire qui marchait vers un matin diaphane.

04/08/2007

Une haine éternelle

630b79ad857082b9cfc49e7407d8de9b.jpg1953

C’était un petit patelin de Géorgie ; du Sud profond ; celui qui arborait le Dixie flag, et vénérait encore et toujours Robert Lee, le général confédéré.

Et pour garder la tradition ségrégationniste, il y avait le KKK local, le Ku Klux Klan dirigé par Rob Wilson, le shérif, avec comme bras droit, Ted Williams. Ce dernier était un gars de 25 ans, camionneur de métier, mais qui ne pouvait garder un job très longtemps à cause des litres de Budweiser qu’il avalait chaque jour, et qui lui avaient valu plusieurs accidents sérieux. Mais il n’avait jamais eu vraiment d’ennuis grâce aux bons offices du shérif.

Ce Ted Williams en voulait tout particulièrement au Barrel club, et avait d’ailleurs menacé de le faire sauter plusieurs fois. Il faut dire que c’était un endroit fréquenté pratiquement que par les Noirs de la ville, et où se produisaient des artistes appartenant à cette communauté.

Il y avait pourtant un jeune Blanc qui s’y rendait régulièrement ; un dénommé Rudy Camps, qui n’avait même pas atteint ses 18 ans, mais que le portier de la boîte laissait entrer quand même, trop content de voir un blanc-bec qui s’était entiché du blues.

Mais en vérité, plus encore que de la musique dont il était, il est vrai, plutôt dingue, Rudy s’était surtout entiché de Wanda Clay, la chanteuse qui se produisait au Barrel depuis plusieurs semaines.

Il avait poussé l’audace jusqu’à aller lui déclarer sa flamme, ce qui avait bien fait rire Wanda, qui elle avait 22 ans, et se demandait ce qu’elle pourrait bien faire d’un jeune blanc-bec. D’autant que les parents de Rudy étaient des ségrégationnistes convaincus, et que Ted Williams voyait d’un très mauvais œil que le descendant d’un colonel sudiste, face du gringue à une chanteuse de blues noire.

Et ce samedi soir-là, tandis qu’il marchait vers le Barrel, Rudy tomba sur Ted qui était accompagné d’une dizaine de ses comparses dans leur tenue de fantôme de carnaval, l’uniforme du Klan, dans lequel il y avait peu, certains avaient pendu des Noirs sans défense aux branches d’un arbre.

Ted pria Rudy de dégager s’il tenait à sa peau. Comme ses sbires encagoulés et portant leur chasuble blanche tenaient fermement dans leurs mains des battes de bass-ball, Rudy préféra ne pas insister.

Mais il resta toutefois dans le coin, ce qui lui permit un petit quart d’heure plus tard, d’entendre une terrible explosion.

Il se dépêcha d'aller voir ce qui se passait, mais tomba très vite sur la bande de Ted Williams qui partait en courant. Il comprit tout de suite que l’amateur de Budweiser avait mis sa menace à exécution, et il se jeta sur lui en l’insultant.

Mais Ted qui était un colosse, se dégagea sans peine, et l’envoya rouler par terre, tout en ordonnant à sa bande de lui faire sa fête.

Alors, les coups de battes se mirent à pleuvoir sur Rudy, et ça ne s’arrêta que lorsqu’il cessa de se plaindre.

Ted qui avait le sourire, le perdit cependant assez vite, quand il put constater que Rudy baignait inerte dans une mare de sang, et qu’il était tout ce qu’il y a de plus mort.

Il leva les yeux, et vit tout près, un jeune Noir d’une dizaine d’années, qui avait suivi la scène, et restait maintenant complètement tétanisé. Ted qui avait fiché pratiquement tous les Noirs de la ville, reconnut Charly, le plus jeune frère de Wanda, la chanteuse de blues.

Il plongea la main sous son blouson, et sortit un colt. Le jeune Noir partit en courant, tandis que Ted tendait le bras pour le viser. Mais un bruit de sirène qui était à coup sûr celle de la police appelée à cause de l’explosion, lui fit renoncer à abattre le gosse.

Il estimait que lui et sa bande avaient fait assez de conneries pour ce soir, et qu’il valait mieux ne pas créer trop d’embarras à son copain le shérif.

 

****

 

Mais celui-ci s’en tira fort bien. Pour l’explosion du Barrel club qui avait fait cinq morts et une cinquantaine de blessés, dont le chanteur qui remplaçait Wanda ce soir-là, il mit cela sur le compte d’un conflit entre deux bandes rivales de malfrats noirs. Et pour Rudy, il dit que ce devait certainement être des extrémistes qui avaient voulu se venger en s’en prenant au descendant d’un brillant soldat de l’armée confédérée.

Pour les deux affaires, il n’alla pas jusqu’à arrêter des innocents, comme cela lui était déjà arrivé, mais il promit de s’activer pour dénicher les coupables.

Les parents de Rudy enterrèrent leur fils, et devinrent plus racistes que jamais, en prenant bien soin de saluer Ted Williams à chaque fois qu’ils le voyaient, compte tenu des paroles de réconfort qu’il avait eues pour eux lors de la cérémonie à l’église de la ville.

Et quant à Wanda, après que son petit frère lui eut tout raconté, elle avait éclaté en sanglots, en pensant avec tristesse à Rudy, qui aurait été capable de l’écouter chanter le blues pendant toute une nuit.

Puis elle avait serré son petit frère contre elle, consciente qu’ils étaient tous deux des miraculés de cette maudite soirée de haine.

 

****

 

1963

Ça tirait dur dans les rizières. L’Amérique avait envoyé ses Boys se battre contre le communisme qui, selon ses dirigeants, menaçait d’envahir la planète Terre.

Charly, le frère de Wanda, avait maintenant 20 ans. Il n’était pas là par conviction, mais comme beaucoup, par obligation.

Ces derniers temps, il s’était intéressé aux différents mouvements oeuvrant pour la communauté noire. Il avait écouté Martin Luther King, mais aussi Malcom X et Angela Davis et ses Black Panthers. Tout cela avait fait que le shérif l’avait compromis dans une embrouille à laquelle il était complètement étranger, pour le forcer à signer pour le Vietnam. Il avait essayé de fuir au Canada, mais la tentative avait échoué, et on lui avait donné à choisir entre les rizières et Alcatraz. Alors, il s’était résigné.

Cela faisait maintenant six mois qu’il pataugeait dans cette guerre qui n’était pas la sienne. Parmi ceux qui crapahutaient dans les marécages avec lui, il y en avait certains qui étaient au contraire bien convaincus. Charly les évitait, ne voulait même pas les voir. Il aurait sans doute dû agir autrement, cela lui aurait peut-être sauvé la vie.

En effet, un matin, tandis que ça canardait de tous les côtés, il fut fauché par une rafale de fusil-mitrailleur. L’homme qui avait tiré, avait le visage barbouillé de suie ; c’étaient les consignes de camouflage. Charly n’avait pas voulu se prêter à ce qu’il considérait comme une mascarade. Et c’est ainsi qu’il avait pu être reconnu par Ted Williams, qui lui était resté un parfait anonyme.

Quand ce dernier regarda le cadavre de Charly baignant dans l’eau au milieu de nénuphars, une effroyable expression de haine et de joie brilla dans son regard. Cela faisait dix ans qu’il attendait cet instant, depuis qu’il avait dû baisser son colt et ne pas tirer pour ne pas trop créer d’ennuis à son copain Rob Wilson.

C’était pourtant celui-ci qui l’avait obligé à s’engager dan l’armée, après que lui et ses acolytes eurent lynché toute une famille de Noirs habitant à l’écart de la ville, y compris le grand-père tétraplégique.

Le shérif avait expliqué au buveur de Budweiser, qu’avec Kennedy, les Noirs étaient de plus en plus protégés, et qu’il risquait bien cette fois-ci d’avoir quand même quelques ennuis.

 

***

 

Charly fut enterré avec les honneurs militaires, et le shérif qui avait pris place à côté du maire de la ville au cimetière, suivit la cérémonie avec un grand recueillement.

Wanda pleura beaucoup ce jour-là, mais après la bénédiction à l’église, elle avait préféré rentrer dans la maison de bois qui appartenait à sa famille depuis pratiquement un siècle, depuis qu’elle avait été donnée à son ancêtre tout juste affranchi.

 

****

 

1973

Le Barrel club avait été reconstruit depuis longtemps, et Wanda s’y produisait de temps en temps.

C’était le cas ce soir-là. La boîte était de plus en plus fréquentée par des Blancs, des vétérans du Vietnam pour la plupart. Aussi, le portier avait-il l’habitude de voir se pointer des quadragénaires chevelus et barbus, poussant les roues de leur fauteuil roulant.

Et quand Ted Williams arriva avec le sien, le portier accepta sans problème son billet de 1 $, et le laissa entrer.

Ted Williams avait sauté sur une mine vietcong peu de temps après avoir descendu Charly dans le dos. À croire qu’il existe peut-être une justice immanente. De se retrouver sans ses deux jambes l’avait terriblement déprimé, et ce n’étaient pas toutes les médailles qu’il avait reçues pour actes de bravoure qui lui avaient rendu son moral. Cela faisait donc 10 ans maintenant qu’il s’alcoolisait et se droguait à la cocaïne. Ce régime avait pour effet de ramollir son cerveau, et en plus, il lui arrivait de se retrouver avec un bras ou une main complètement paralysé.

Il y avait belle lurette qu’il avait envie de venir au club régler un ultime compte. Il n’avait plus rien à perdre maintenant, et n’attendait plus rien de la vie, mais plutôt de la mort.

À l’intérieur du club, il faisait un peu sombre, mais on y voyait suffisamment quand même.

Il s’approcha avec son chariot de la scène où Wanda, dans une robe de strass, chantait le blues en fermant les yeux.

Tranquillement, il plongea sa main droite à l’intérieur de son blouson, et en sortit un colt. Alors, il tendit le bras, et visa Wanda qui gardait les yeux fermés. Mais quand il voulut appuyer sur la détente, son index n’obéit pas, il était bloqué.

Il se mit à transpirer abondamment, jura à s’en damner, mais soudain, tout cessa pour lui. Un coup de feu retentit ; il tressauta, puis lâcha son colt, et demeura immobile dans son fauteuil.

Celui qui avait tiré, était un jeune Noir qui s’enfuit aussitôt. Il savait très bien qu’il venait d’empêcher le meurtre de Wanda, que c’était un cas de légitime défense. Mais avec un oncle qui avait été pendu à la fin des années 50 par des membres du Klan, et peu de temps avant, un ami qui avait fini sur la chaise électrique parce qu’il avait tué un Blanc qui voulait braquer sa boutique, il préférait ne pas essayer de plaider sa cause.

 

***

 

Wanda descendit de la scène, et se précipita sur Ted.

Alors, elle tressaillit, et commença à sangloter, en proie à une infinie tristesse.

Car bien plus que le fait que cet homme ait voulu la tuer, ce qui la troublait au plus profond de son être, c’était son regard. Bien que mort, il la regardait avec une horrible expression de haine. Oui, de l’enfer où Wanda pensait qu’il devait déjà se trouver, Ted Williams lui envoyait de la haine, une inextinguible haine, une haine éternelle.