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28/02/2009

Le spationaute (dernier épisode)

Épisodes précédents dans la rubrique "Feuilletons", colonne de gauche

 

***

 

J'avais roulé toute la journée avec ma bicyclette. Je suis arrivé en début de soirée dans une station balnéaire. Par une petite route, j'ai gagné un endroit à la fois étrange et très prenant. C'était à l'extrémité nord de la plage. Il y avait un bâtiment en ruine dans les dunes, entouré de blockhaus également très endommagés. Il n'y avait plus personne sur la plage ; il faut dire qu'il était déjà près de 21 h. Je me suis installé avec ma bicyclette en haut d'une dune, et j'ai pique-niqué. Ensuite, je suis resté à contempler le coucher de soleil. C'était à la fois poétique et magique. Je suis resté ainsi, contemplatif, presque méditatif, pendant au moins deux heures. Puis, je me suis glissé dans mon sac de couchage, et me suis très vite endormi.

Je ne sais pas combien de temps exactement j'ai dormi d'un sommeil paisible ; mais j'ai été réveillé par un léger sifflement. J'ai ouvert les yeux, et à ma grande surprise, je me suis aperçu qu'on y voyait comme en plein jour. Mais ce qui m'a le plus surpris encore, ce fut de découvrir une sorte de disque qui arrivait de la mer ; un disque lumineux qui était la cause de cette incroyable clarté qui régnait alors alentour. Le disque s'est approché des dunes, et il m'est apparut immense, énorme. Il s'est immobilisé au dessus de la plage, puis j'ai pu distinguer une échelle qui sortait du dessous du disque pour atteindre le sable. Bientôt, j'ai vu des individus descendre par cette échelle. Ils était quatre, et commencèrent à s'affairer au pied de la dune en haut de laquelle j'étais perché, observant médusé ce qui se passait depuis mon sac de couchage. J'ai vu alors trois des quatre individus qui étaient descendus du disque lumineux, y remonter par l'échelle. Puis, il y eut un bruit très strident, et le mystérieux disque a repris la direction de la mer.

Mais il laissait derrière lui une longue et large traînée lumineuse qui permettait encore de voir pratiquement comme en plein jour. Ce fut ce qui me permit de découvrir une forme humaine allongée au pieds de la dune. Je suis prestement sorti de mon sac de couchage, et J'ai descendu la dune. J'ai rejoint en quelques secondes ce qui était un individu vêtu d'une étrange combinaison de couleur grise, le visage dissimulé par un casque dont la visière était baissée.

Dès que je fus près de lui, l'individu s'est redressé, puis s'est assis, et a aussitôt enlevé son casque. Je m'attendais à découvrir quelque chose d'incroyable, mais ce ne fut guère le cas. L'homme avait les cheveux coupés très courts, et son nez était aplati comme peuvent l'être ceux des boxeurs. C'était assurément un Terrien, qui me regardait avec un peu de crainte dans les yeux.

Je me suis efforcé aussitôt de le rassurer, et comme j'étais en France, ce fut dans la langue de ce pays que je me suis exprimé.

— Ne craignez rien, lui ai-je dit, je ne vous veux aucun mal.

L'homme a alors hoché la tête ; il m'avait compris.

— D'où venez-vous ainsi ? ai-je poursuivi.

L'homme a eu l'air troublé.

— De loin, de très loin, a-t-il répondu.

— D'une autre planète ? ai-je insisté.

L'homme a secoué la tête, et a bredouillé :

— Je... je ne sais pas, je ne sais plus. Enfin, plus très bien.. je dois oublier tout... je...

— Mais comment êtes-vous parti de la terre ? ai-je encore insisté.

L'homme a porté la main à son front.

— Avec la fusée... oui, la fusée des Allemands, a-t-il dit en hésitant.

J'ai continué :

— Mais quand êtes-vous parti ?

L'homme avait l'air épuisé, mais il a fait un effort pour répondre :

— En... en 1943.

Je n'en revenais pas.

— Mais que s'est-il passé après votre départ ? me suis-je presque écrié.

L'homme a secoué la tête pour déclarer :

— J'ai été sauvé... par... par… mais je ne sais plus, je ne me souviens plus.

J'ai alors tenté :

— Vous avez été envoyé dans l'espace, puis vous vous êtes retrouvé en difficulté, et des extraterrestres sont venus à votre secours, c'est cela ?

— Des extraterrestres ? s'est étonné l'homme.

Il m'a regardé alors, l'air complètement perdu, puis a recommencé :

— Je... je ne sais plus. Je... je dois tout oublier... oublier.

Une chose qui m'étonnait le plus, c'était que cet homme paraissait une quarantaine d'années. Or, il devait bien en avoir une vingtaine quand on l'avait envoyé dans l'espace, et donc être âgé d'au moins 80 ans maintenant.

— Mais combien de temps êtes vous resté parti ? ai-je hasardé.

Il a semblé faire un effort surhumain pour réponde :

— 60 jours.

— 60 jours ! me suis-je exclamé. Mais soixante ans ont passé depuis 1943. Nous sommes en 2003.

L'homme a presque réussi à sourire pour m'annoncer :

— Là où j'étais, une année terrestre dure un jour seulement.

— Vous n'avez donc vieilli que de 60 jours depuis votre départ, ai-je conclu.

L'homme a doucement hoché la tête.

C'était évident vu son aspect. Il avait donc déjà une quarantaine d'années en 1943.

Il fallait que j'en sache plus encore. J'ai donc repris :

— Mais où vous étiez, c'était une planète, c'est cela ?

L'homme n'a alors pu que dire :

— Oublier... je dois oublier. Très fatigué, je suis très fatigué. Je suis parti le 8 juillet 1943 dans la fusée, puis... je suis revenu, aujourd'hui.

— Et entre les deux ? ai-je tenté.

Comme je le craignais, il a répondu :

— Oublié... tout oublié maintenant.

Puis, il s'est allongé sur le sable et a sombré dans un sommeil profond.

J'ai regardé vers la mer ; le disque disparaissait à l'horizon. En même temps la nuit revenait, et bientôt on ne fut plus éclairé que par la pleine lune et les étoiles qui étaient très nombreuses.

Je me suis senti soudain très fatigué. J'aurais pu m'allonger près du rescapé de l'espace, et ainsi veiller sur lui ; mais il semblait dormir très paisiblement maintenant, et n'avoir besoin de personne.

Alors, très péniblement, j'ai remonté la dune, et regagné mon sac de couchage. Une fois dedans, il ne m'a pas fallu plus de deux secondes pour sombrer à mon tour dans un sommeil profond.

Quand j'ai rouvert les yeux, il faisait jour, et un chaud soleil brillait haut dans le ciel.

Ce que j'avais vécu dans la nuit, m'est revenu aussitôt à l'esprit. Mais dans l'état de demi-sommeil où je me trouvais encore, j'étais persuadé que j'avais rêvé. Ce n'était pas possible, tout ce que j'avais cru voir : le disque lumineux, et le mystérieux spationaute, tout cela n'avait pu réellement exister.

Comme j'ai très vite eu l'impression qu'il y avait du monde sur le plage, je suis sorti de mon sac de couchage ; et, à quatre pattes, j'ai regardé en bas de la dune.

J'ai eu un choc quand j'ai découvert un homme vêtu de gris allongé au pied de la dune, et plusieurs personnes entièrement nues qui le fixaient.

J'étais à la fois amusé de m'être aventuré sans le savoir sur une plage naturiste, et abasourdi de devoir me rendre à l'évidence que la nuit dernière, j'avais bien assisté au débarquement d'extraterrestres, ramenant sur la terre un malheureux spationaute qu'ils avaient secouru, et gardé deux mois équivalant à 60 années terrestres sur leur planète.

Tout cela dépassait l'imagination, et une chose me chamboulait tout particulièrement : les Allemands avaient envoyé dans l'espace un homme en juillet 1943 ! Cela remettait toute l'histoire de la conquête spatiale telle qu'on la connaissait en question : l'envoi dans le cosmos de Spoutnick I en 1957, de Gagarine en 1961, qui de ce fait ne serait plus le premier homme a avoir voyagé dans l'espace, la place revenant à ce spationaute sans aucun doute involontaire. Mais ce vol ne pouvait apparaître comme un succès véritable ; la fusée n'étant jamais revenue sur la terre, et son passager 60 ans après dans des conditions bien particulières.

Je fus tiré d'un coup de mes réflexions, quand j'ai vu l'homme se lever, et regarder autour de lui. Manifestement, il semblait étonné, et les naturistes qui l'observaient tout autant. Il a paru hésiter un instant, puis après avoir récupéré son casque, s'est mis en route vers le sud de la plage.

Les naturistes parlaient entre eux ; mais d'après leur attitude, ils devaient tout simplement estimer que l'homme n'était pas souffrant comme il l'avait sans doute cru. Ou même, qu'il ne risquait plus maintenant d'attraper une insolation en restant allongé sous le soleil qui cognait de plus en plus fort. Ils sont très vite retournés à leurs occupations de plagistes, tandis que le spationaute marchait tranquillement sur le plage, et commençait à s'éloigner.

J'ai continué de le suivre des yeux, en songeant au destin incroyable de cet homme qui était un miraculé, ayant vécu sur une planète dont personne ne soupçonnait l'existence, et qui à cette heure avait sans doute tout oublié. Comme il l'avait laissé entendre cette nuit, il ne pouvait se souvenir que de son départ pour l'espace le 8 juillet 1943. Cet homme allait vivre avec un trou de soixante années dans sa vie. Mais pire, comment allait-il se débrouiller maintenant, étant complètement décalé, et de surcroît porté disparu depuis 1943 ? Après avoir été un naufragé de l'espace, il allait être un naufragé du temps, reprenant sa vie là où il l'avait laissée, quand il était âgé d'une quarantaine d'années, alors qu'il était un centenaire potentiel. Songer à toutes les difficultés qu'il ne pouvait que rencontrer, donnait le vertige.

Je l'ai alors encore regardé s'éloigner, avec mille pensées dans la tête.

 

***

 

 

C'est ainsi que John Wesling a terminé sa nouvelle, laissant ses éventuels lecteurs imaginer seuls ce que pourrait être l'avenir de son spationaute de "fiction".

***

En tout cas, voilà ce qu'il advint d'Émile Rivet. Comme on l'a déjà mentionné, il fut embauché dans l'entreprise de déménagement qui était géré par le petit-fils de son employeur de 1943. Au préalable, le maire de Belvédunes lui avait octroyé un logement communal. Ce fut avec plaisir qu'il se rendit chaque jour au travail, même si le temps passant, il avait de plus en plus de peine à manipuler des armoires ou autres meubles encombrants. Il faut dire que petit à petit, ses cheveux blanchissaient et son visage se ridait toujours plus, signe d'un vieillissement progressif. Son employeur et ses collègues de travail en vinrent à s'inquiéter. Mais Émile s'efforçait toujours de faire preuve d'un bel entrain, et en tout cas d'un inaltérable enthousiasme. Pourtant, au matin du 7 août, tout cela cessa, car l'intéressé fut terrassé par un terrible lumbago, alors qu'il portait une table d'un poids relativement raisonnable pour un déménageur professionnel.

Il fut transporté d'urgence à l'hôpital, où le médecin qui le reçut, fut étonné, en voyant cet homme au visage raviné par les années, au crâne presque entièrement dégarni, et aux membres déformés par les rhumatismes, d'apprendre qu'il exerçait encore à son âge déjà bien avancé, le métier de déménageur. En effet, les examens pratiqués dans les jours qui suivirent, confirmèrent que l'organisme d'Émile était bien désormais celui d'un vieillard de 74 ans.

Il avait donc vieilli de 30 ans en 30 jours. Alerté, le maire le fit admettre aussitôt dans une maison de retraite de la ville. La période de canicule qui a marqué le mois d'août 2003, commençait alors. Très vite, tout le monde : opinion publique, médias, hommes politiques furent accaparés par ce véritable cataclysme qui s'était abattu sur le pays, avec en premier lieu de nombreux décès parmi les personnes âgées. À Belvédunes, la brise marine qui fut omniprésente durant cette période, contribua à ce que l'on ne connût pas de situation catastrophique comme dans d'autres villes. Il n'y eut en tout et pour tout que cinq décès durant le mois d'août dans la commune, qui n'eurent rien à voir avec le phénomène de la canicule nationale.

Si bien qu'Émile Rivet qui continuait de vieillir tranquillement, mourut de sa belle mort le 6 septembre dans la soirée, soit très exactement 60 jours après son retour à Belvédunes. On s'abstint de pratiquer la moindre autopsie à la suite de son décès, car manifestement, cet homme qui était né le 15 mars 1899, avait tout à fait l'aspect d'un vieillard de 104 ans quand il avait rendu l'âme.

Il fut enterré trois jours plus tard, et sur sa tombe financée par la commune de Belvédunes, ce fut bien le 6 septembre 2003 qui y figura comme date de décès, faisant ainsi de lui un homme qui était mort à deux périodes différentes. En effet, une délibération du conseil municipal avait entériné le fait que l'on ne changerait pas l'inscription au monument aux morts.

Tout cela était bien sûr passé inaperçu ; ce que l'on avait appelé "le drame de la canicule", continuant toujours a d'accaparer les médias à l'automne 2003.

 

Lorsqu'Émile Rivet était mort, il y avait une infirmière de la maison de retraite à ses côtés. Plus tard, elle devait rapporter à des proches, qu'il avait quitté notre monde avec une très grande sérénité, laissant penser que cet homme avait réellement eu une vie très longue et d'une richesse exceptionnelle.

 

Ce que l'on pourrait encore ajouter, c'est qu'au cours de la nuit qui suivit le décès d'Émile, des personnes qui traînaient dans les environs de la plage de Belvédunes, auraient vu — ou cru voir—, une étrange clarté provenant de la mer.

 

FIN

Patrick S. VAST - Août 2005

26/02/2009

Dernier épisode du "Spationaute"

C'est pour ce samedi 28 février. Le der des der. Enfin, en ce qui concerne ce texte.

Qu'est-il arrivé à notre héros (pour employer la formule consacrée des feuilletons d'antan") ?

Réponse ici même, samedi à 6 h du matin.

Faites sonner votre réveil !!! 

24/02/2009

Sur un air des Platters

« Twilight Time » des Platters. Pour Tom, cela évoquait les plages de Miami ou de la West Coast. Le sable chaud, l’ambre solaire et les vagues. Un hymne chaloupé comme des pin-ups fifties léchant leur glace à la fraise.

Tom en rêvait de soleil et de nuits moites sous les palmiers.

Mais en guise de moiteur, il avait droit à la lourde ambiance étouffante d’un bastringue enfumé du Bronx : un affreux bouge irrespirable où dans un pogo chronométrique, des punks s’excitaient au son d’un groupe au rythme saturé.

New-York, les junkies, les punks… Tom en avait la nausée. Il rêvait de « Twilight Time », des Platters. Sortir du trou, sortir de son trou puant le chanvre, s’extirper d’une nuit no way out.

Il passa sa main sous son blouson de cuir bon marché, et sentit que ça poissait. En même temps, un vertige accéléra le rythme de son cœur en un mouvement tatychardique.

Il voulut se lever de sa chaise. Pour cela, il dut faire un violent effort qui l’obligea à serrer les dents.

Il parvint à se soulever, chancela, et s’écroula d’un coup sur le plancher graisseux du bouge.

Le groupe punk continuait de marteler son hymne métronomique, mais Tom ne l’entendait plus.

Dans sa tête coulait une douce mélodie, une harmonie de voix, les Platters dans une synchronie musicale.

Allongé sur le sol, Tom écouta religieusement « Twilight Time ».

Quand le morceau se termina, il avait oublié la ruelle sombre encombrée de poubelles puantes où il avait reçu un coup de couteau par un junky au bout du rouleau. Il voyait une vague venir s’échouer sur le sable doré d’une plage de Californie. Et c’est avec le sourire qu’il s’en alla s’échouer dans le monde de l’invisibilité, bercé par un air des Platters.

 

Patrick S. VAST - février 2009

 

NB : pour la version avec son et images, veuillez cliquer ici. 

21/02/2009

Le spationaute (7ème épisode)

Épisodes précédents dans la rubrique "Feuilletons", colonne de gauche

— Incroyable ! commença le général d'armée de terre, alors, ainsi, les Allemands auraient envoyé un homme dans l'espace 18 ans avant Gagarine !

 — Il faut le croire, soupira le général d'aviation, en tout cas, on n'a pas retrouvé la fusée.

— Oui, reprit le général d'armée de terre, mais d'après les renseignements collectés, il y aurait bien eu une fusée qui aurait été lancée à Belvédunes le 8 juillet 1943 au matin.

— Oui, repartit le général d'aviation, et apparemment ce n'était ni une V1 ou une V2.

— Mais alors, intervint l'homme à la fine moustache, les Allemands étaient donc arrivés à un développement technologique aussi important en matière de fusée ?

— C'est fort probable, répondit l'homme des services secrets. N'oublions pas que dans les années 60, les Américains avaient pris pas mal de retard par rapport aux Soviétiques. Or, ce retard a été vite comblé. Et même, le premier pas d'un Américain sur la lune prévu à l'origine pour l'année 2000, a eu lieu en fait en juillet 1969, grâce à Werner Von Braun, père des V1 et des V2, que les Américains avaient pris soin de récupérer à la fin de la guerre.

— Vous voulez dire, reprit le général d'aviation, que Von Braun possédait, dirons-nous, une sorte de botte secrète, dont l'origine serait peut-être l'envoi d'Émile Rivet dans l'espace le 8 juillet 1943 ?

— Qui sait ? fit l'homme des services secrets.

— En tout cas, repartit le général d'armée de terre, c'est quand même étonnant que les Allemands aient choisi Belvédunes pour faire leur expérience. Ils n'étaient situés qu'à une petite quarantaine de kilomètres de l'Angleterre, et la RAF aurait très bien pu bombarder leurs installations, voire leur précieuse fusée.

— Oui, mais ça se comprend, intervint l'amiral. N'oublions que les expériences spatiales de Von Braun ont été, paraît-il, effectuées en cachette des dignitaire du IIIème Reich. Hitler lui-même, n'aurait été au courant de rien. Alors, on peut imaginer qu'à l'origine, cette usine de Belvédunes devait servir de base aux lancements des premier V1 construits dans des endroits mieux protégés, probablement souterrains. Sa situation géographique, justement très proche de l'Angleterre, devant leur permettre de frapper durement ce pays. Von Braun ou l'un de ses collaborateurs, a peut-être profité des installations pour, dès 1943, expérimenter un programme spatial.

— Hum, fit le général d'armée de terre, ça me paraît quand même étonnant.

— Oui, mais, reprit l'amiral, d'après les renseignements recueillis, le 8 juillet 1943 au matin, il y avait un tas de navires de guerre allemands qui croisaient en Manche. À mon avis, cela aurait pu suffire pour stopper une incursion des avions de la RAF. Et d'une manière générale, la DCA était très active dans ce secteur.

— En tout cas, intervint l'homme des services secrets, d'après Émile Rivet, l'homme qu'il a rencontré, cet individu portant monocle, n'était pas Werner Von Braun. Ce n'est pas à cela qu'il ressemblait.

— Non, fit d'un ton moqueur l'homme à la fine moustache, celui-ci ressemblerait plutôt à un personnage de film des années trente ; une sorte d'Erich Von Stroheim tel qu‘il apparaît dans « La grande illusion », vous ne trouvez pas ?

— Peut-être, fit l'homme des services secrets, mais on ne peut pas mettre en doute la parole d'Émile Rivet. Il lui est bien arrivé quelque chose d'extraordinaire. Il n'a pas pu en tout cas se cacher durant 60 longues années et réapparaître avec l’aspect qu'il avait en juillet 1943 !

— Non, soupira l'homme à la fine moustache ; et c'est bien pour cela qu'après tout, l'important dans cette affaire, n'est pas tellement de savoir si oui ou non les Allemands ont été capables d'envoyer un homme dans l'espace en 1943 ; mais plutôt de parvenir à comprendre comment leur spationaute nous retombe dessus en 2003 sans sa fusée, avec la même tête qu'il y a 60 ans ; mais avec une autre combinaison spatiale ; et pour finir, persuadé que le 8 juillet 1943, c'était il y a seulement quelques jours !

— Au fait, demanda le général d'aviation, qu'ont donné les analyses de sa tenue, mais aussi ses examens médicaux ?

— Eh bien, soupira de plus belle l'homme à la fine moustache, tous les examens tendent à prouver que notre homme n'a toujours pas plus de 44 ans d'âge, et qu'il est en parfaite forme physique. Pour ce qui est du psychisme, c'est un peu moins brillant ; mais cela est bien évidemment la conséquence de ce qui lui arrive. N'importe qui serait un tant soit peu troublé en pareil cas.

Puis l'homme à la fine moustache s'interrompit quelques secondes avant de reprendre :

— Par contre, pour ce qui est de son équipement, c'est le trou total.

— C'est à dire ? s'enquit l'amiral.

L'homme à la fine moustache hésita encore, puis lâcha :

— Il semblerait que la matière ou même les matières le constituant, proviennent à la base de fibres, de roches, ou encore de produits de synthèse, totalement inconnus sur notre planète.

— Vous voulez dire, commença le général d'aviation avec un certain air moqueur, qu'Émile Rivet aurait...

— Je ne veux rien dire du tout ! le coupa sèchement l'homme à la fine moustache. En tout cas, il est bien certain que tout cela doit rester absolument secret. Il ne faut surtout pas ennuyer ni le président de la République, ni le Premier ministre avec ces histoires. La cellule de l'Elysée ainsi que celle de Matignon y veillent.

— Hum, fit l'amiral très dubitatif, il me semble que vous êtes plutôt optimiste.

— Optimiste ? s'étonna l'homme à la fine moustache.

— Oui, reprit l'amiral, comment voulez-vous garder secrète une pareille affaire ? Des gens vont parler, et les médias vont s'emparer de tout cela. Vous pensez bien, en été, une info de cette qualité, ils vont faire mousser au maximum.

— Ils ne feront rien mousser, car ils ne sauront rien, répliqua l'homme à la fine moustache.

— J'en doute, déclara le général d'aviation.

— Non, insista l'homme à la fine moustache. Émile Rivet va être prié de garder le silence, et il le fera, j'en suis sûr. Les deux policiers qui l'ont ramassé ont reçu des ordres de leur hiérarchie. Quant à son ancien voisin et les personnes qui occupent maintenant ce qui était sa maison, le maire de Belvédunes s'est chargé d'obtenir leur discrétion.

— À voir, fit l'homme des services de renseignement.

— Il l'obtiendra, s'obstina l'homme à la fine moustache.

— Mais, repartit le général d'armée de terre, il s'est paraît-il réveillé sur une plage où il y avait, je crois, pas mal de monde !

L'homme à la fine moustache fit un vague mouvement de la main, pour dire :

— Oh, c'était une plage naturiste. Les gens qui fréquentent ce genre d'endroit ne sont pas enclins à se mêler de ce qui ne les regarde pas. Seul les intéresse de pouvoir se prélasser nus au soleil. De plus, toujours d'après les renseignements recueillis, ils s'étaient juste un peu inquiétés en le découvrant, craignant qu'il n'ait eu un malaise.

— Mais il s'est promené... enfin, on l'a vu toute la journée dans Belvédunes, repartit l'amiral.

— Oui, mais ça n'a pas choqué quiconque, répliqua l'homme à la fine moustache. Après tout il n'avait jamais que l'aspect d'un banal motard avec sa combinaison et son casque. Même si comme je vous l'ai dit, tous deux n'ont pu être confectionnés sur la Terre.

— Bon, intervint le général d'aviation, si vraiment tout cela peut rester secret, c'est parfait... parfait pour tout le monde.

— Et que va devenir cet homme ? demanda d'un coup le général d'aviation.

— Émile Rivet ? fit l'homme à la fine moustache.

— Bien évidemment, répliqua le général d'aviation.

— Il voudrait retrouver son emploi de déménageur qu'il se sent parfaitement capable de reprendre, annonça l'homme des services secrets. Et le maire de Belvédunes s'est engagé à l'aider pour cela.

— Eh bien, qu'il redevienne un déménageur, conclut l'homme à la fine moustache. Et quant à nous, mettons un terme à cette réunion que nous oublierons, bien évidemment, sitôt sortis de cette pièce.

Tout le monde acquiesça de la tête, et l'homme à la fine moustache leva la séance.

 

***

"Qu'il redevienne un déménageur", avait déclaré l'homme à la fine moustache dont il n'est pas possible de divulguer l'identité. Et ce fut ce qu'Émile Rivet redevint. Le petit-fils de son employeur de 1943 qui avait repris l'entreprise familiale, cherchait justement à ce moment-là du personnel. À la demande du maire de Belvédunes, il l'embaucha, et Émile commença le travail deux jours seulement après que se fut tenue la mystérieuse réunion à Paris.

Nous étions donc à la mi-juillet, et les journaux locaux qui n'avaient pas eu vent de cette étrange affaire, n'en parlèrent absolument pas, se concentrant sur les diverses tournées d'été de cars-podium, transbahutant de plage en plage des starlettes d'émissions télévisuelles institutionnalisées, et sur les préparatifs de la fête des fleurs du mois d'août, l'un des temps forts de la saison estivale à Belvédunes.

De ce fait, on est amené à prendre en considération une nouvelle de science-fiction écrite par un certain John Wesling de Folkestone, et publiée trois mois après ces faits mystérieux dans une revue diffusée dans une petite partie du Comté du Kent.

Il s'agit a priori d'une œuvre de fiction dans le plus pur style des histoires d'anticipation des années 50/60, portant un titre absolument kitsch :  Des extraterrestres dans la dune. Comme on l'a déjà dit, "l'affaire Émile Rivet" n'a pas été divulguée par la presse, et encore moins la presse britannique ; ce qui fait que John Wesling n'a pas pu en avoir connaissance, pas plus d'ailleurs que quelqu’un d'autre. Par contre, on sait que l'intéressé a l'habitude de voyager l'été avec uniquement sa bicyclette, et qu'il s'est justement rendu dans le nord-ouest de la France en juillet 2003.

À partir de tout cela, il est fort tentant de trouver dans la nouvelle, Des extraterrestres dans la dune, une explication, ou tout au moins une partie non négligeable d'explication à "l'affaire Émile Rivet".

Voici la traduction de cette nouvelle, en plus écrite à la première personne, qui commence ainsi :

 

(dernier épisode samedi prochain)

19/02/2009

Polarité

Toujours plus de polars sur Vast in Black.

17/02/2009

L'homme immobile

Il y a une trentaine d’années, j’ai passé un hiver à Avignon. J’habitais dans la vielle ville, derrière la place Pie, près de la rue de la Pyramide.

Je louais un studio dans un immeuble ancien. Et lorsque j’en sortais, je voyais toujours, se tenant immobile sous le porche de celui d’en face, un homme d’une quarantaine d’années, à la chevelure brune assez fournie, vêtu d’un manteau chiné.

Il avait une attitude pour le moins singulière. Il semblait attendre, tout en gardant les yeux rivés au sol. Il se tenait là par n’importe quel temps, et l’on eût pu croire qu’il ne quittait jamais cet endroit.

Plusieurs fois j’ai été tenté de l’aborder, mais je n’ai jamais osé. J’ai quitté Avignon à l’arrivée du printemps, et je me souviens que le jour de mon départ, l’homme étrange se tenait comme toujours à son poste.

Par la suite, j’ai souvent pensé à lui, m’interrogeant à son sujet.

Or, il se trouve que j’ai eu l’occasion de retourner à Avignon il y a un mois afin d’y accomplir une démarche. Après m’être acquitté de celle-ci, mes pas m’ont amené presque automatiquement jusqu’à la rue où j’avais vécu. J’ai tout de suite reconnu l’immeuble où j’avais séjourné, mais aussi celui d’en face.

L’homme mystérieux ne se trouvait plus devant, ce qui m’a paru presque insolite dans un premier temps. Je suis resté immobile, comme si j’attendais qu’il sorte, et se place sous le porche, les yeux fixant le macadam du trottoir. Au bout de peut-être cinq minutes, ça a été plus fort que moi ; j’ai traversé la rue, et ai poussé la porte de l’immeuble. Je suis arrivé dans une entrée où se répandait une odeur de renfermé. Et comme si quelque force étrange m’avait guidé, j’ai sonné à une porte se trouvant sur ma gauche.

Je suis alors demeuré à attendre, un peu oppressé. J’ai fini par entendre un grincement produit de toute évidence par une clé tournant dans la serrure qui avait fait son temps. La porte s’est d’abord entrouverte, puis petit à petit, est apparu le visage d’une vieille dame aux cheveux de neige.

— Ah, c’est vous, entrez donc, m’a-t-elle dit.

Sans chercher à comprendre, je me suis exécuté. Je suis entré dans une pièce parfaitement en ordre, où régnait une forte odeur d’encaustique. D’après l’ameublement, il s’agissait du séjour.

J’ai regardé la vieille dame qui était largement octogénaire, et j’ai demandé :

— Mais vous semblez me connaître ?

La vieille dame a hoché la tête.

— Bien sûr, je vous ai souvent vu sortir de l’immeuble d’en face.

Je n’en revenais pas.

— Mais cela fait au moins trente ans que j’en suis parti.

— Je sais, mais je ne vous ai pas oublié. Comme je n’ai pas oublié tous ceux qui habitent aux alentours. Après tout, il faut que je reste bien attentive, que j’observe et que j’enregistre tout. On ne sait jamais.

J’étais à la fois perdu et angoissé. Alors, comme pour m’apaiser, je suis allé droit au but :

— Au fait, le monsieur qui se tenait toujours sous le porche…

— Léon ? a fait la vieille dame.

— Heu… oui.

La vielle dame a soupiré :

— Il a disparu il y a plus de vingt ans. À mon avis, il s’est aventuré dans la rue, a quitté le porche. Il ne fallait pas, il ne fallait surtout pas !

— Mais pourquoi ?

— Parce que c’était un ordre !

— Mais un ordre de qui ?

— De ceux qui sont venus… une nuit.

— Mais de qui me parlez-vous exactement ?

— Eh bien, des créatures. Des créatures venues sans doute de très loin.

— Quand même pas d’une autre planète ! ai-je tenté de plaisanter.

La vieille dame a hoché de nouveau la tête.

— Allez donc savoir…

Puis un silence pesant s’est abattu dans la pièce, et je l’ai rompu en demandant :

— Mais, vous n’avez pas prévenu la police de la disparition de… Léon ?

La vieille dame a eu un air affolé.

— Mais vous n’y pensez pas ! Jamais on ne m’aurait cru, et j’aurais été prise pour une folle. Vous savez, lorsqu’on a vécu certains événements, il faut savoir se taire, tout garder pour soi. Sinon, on s’expose à de graves ennuis.

Puis la vieille dame m’a regardé avec une certaine compassion, et m’a dit :

— Vous n’auriez pas dû venir. Puis, je n’aurais pas dû vous ouvrir. Et surtout, je n’aurais pas dû vous parler de tout cela.

— Mais pourquoi ?

La lèvre inférieure de la vieille dame s’est mise à trembler.

— Parce qu’il risque de vous arriver ce qui est arrivé à Léon, bien sûr !

Je me suis senti blêmir. Puis j’ai décidé de prendre congé, et me suis hâté de sortir.

J’ai traversé l’entrée sentant le renfermé, et ai ouvert la porte de l’immeuble.

Alors, tout naturellement, je suis demeuré immobile sous le porche, fixant le macadam du trottoir. Je ne sais pendant combien de temps je suis resté ainsi, mais soudain, je me suis arraché à ma torpeur, et usant de toute ma volonté, j’ai décidé de traverser la rue, d’oser m’aventurer hors du porche.

Je ne puis exactement décrire ce que j’ai ressenti à ce moment-là. Enfin, si ; je dirai simplement que ça fait une sale impression de sentir son cœur s’arrêter de battre.

 

 

Patrick S. VAST - février 2009