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14/02/2009

Le spationaute (6ème épisode)

Épisodes précédents, rubrique "Feuilletons", colonne de gauche

Émile se redressa brusquement, puis presque automatiquement se mit en position assise sur le banc.

Il faisait jour, le soleil commençait à chauffer, et en face de lui il y avait deux individus coiffés d'une casquette noire, qui le regardaient durement.

En un éclair, tout lui revint en mémoire, du moins ce qui s'était passé la veille, et également le 8 juillet 1943.

— Police ! s'exclama alors l'un des deux individus à casquette, un grand mince au visage anguleux. Vous avez vos papiers ?

— Heu... non, je ne les ai pas, avoua Émile qui se les étaient fait confisquer soixante ans plus tôt par les soldats allemands venus l'arrêter.

—Vous ne les avez pas ? fit le policier, c'est très embêtant ça. Et vous habitez où ?

— 3, rue des platanes, répliqua aussitôt Émile.

Le deuxième policier, un petit rondouillard qui comme son collègue était vêtu d'un pantalon noir et d'une chemisette bleu pâle, intervint :

— Alors comme ça, vous habitez cette ville, et vous venez passer la nuit sur un banc ! Car je vous signale qu'il n'est que 6 h du matin. Apparemment, vous avez bien dormi sur ce banc ?

— Heu... oui, fit Émile qui ne pouvait rien dire de plus.

Il n'était bien sûr pas question qu'il raconte son incroyable aventure ; du moins pas maintenant. Il verrait par la suite, selon la tournure que prendraient les événements.

Les deux policiers se regardèrent, puis, comme s'il leur suffisait de communiquer par la pensée, ils hochèrent en même temps la tête, et ce fut celui au visage anguleux qui annonça :

— Bon, on va vérifier cela, vous allez nous suivre.

— D'accord, fit Émile, très coopérant.

Il se leva du banc, et suivit les deux policiers jusqu'à une voiture blanche qui était garée juste à côté.

Il prit place à l'arrière, et la voiture démarra. Émile n'eut pas besoin de les guider, ils connaissaient forcément la ville. Par contre, ce fut lui qui ne reconnut pas son quartier, ni même la rue des platanes, ces derniers ayant par ailleurs disparu. La voiture de police s'arrêta devant une maison qu'il reconnut toutefois comme étant bien celle où il avait vécu 44 ans de sa vie. Il en fut de même pour celles de ses voisins de gauche et de droite. Mais, pour ce qui était de celle de son voisin d'en face qu'il avait soupçonné en... 1943, d'être celui qui l'avait dénoncé, elle n'existait plus. À la place, il y avait un petit immeuble de trois étages. Mais ce genre d’habitation semblait avoir cours dans cette rue, et avait remplacé plusieurs des maisons d'autrefois. En sortant de la voiture de police, Émile put s'apercevoir qu'il y en avait par ailleurs quatre qui occupaient l'ancien pré où avait atterri le parachutiste anglais soixante ans plus tôt, constituant ainsi une petite résidence.

Ce ne fut donc pas sans un pincement au coeur qu'Émile poussa la barrière de sa maison, et marcha sur les dalle qui traversaient le devant agrémenté de graviers rouges, et menait jusqu'à la porte dont la sonnette n'avait pas changé malgré toutes les années écoulées.

Il appuya sur cette sonnette sous l'œil intrigué des deux policiers, sans même penser à la suite des événements qui risquaient fort d'être rocambolesques. Pour l'instant, il était trop ému par ce retour chez lui, pour seulement réfléchir au fait qu'il ne pouvait plus être accueilli qu'en parfait étranger.

Ce fut en effet le cas quand la porte s'ouvrit, et qu'apparut en robe de chambre, une femme brune et bien en chair d'une cinquantaine d'années, qui ne devait pas être réveillée depuis longtemps.

Elle regarda Émile d'un air étonné, et demanda :

— C'est pourquoi, monsieur ?

Le policier au visage anguleux intervint aussitôt.

— Ce monsieur nous a déclaré qu'il habitait ici, dit-il à la femme qui écarquilla les yeux.

— Comment ? s'étonna-t-elle. Mais je ne le connais pas. Par contre, je peux vous certifier que mon mari et moi-même avons acheté cette maison il y a trente ans.

— À qui ? s'enquit aussitôt Émile.

— Eh bien, à un certain monsieur Sajot.

— Sajot ! s'exclama Émile, mais c'était, enfin c'est le nom de mes cousins qui habitaient vers Paris. Forcément, après ma disparition, la maison a dû leur revenir.

Le policier au visage anguleux mit alors sa main sur l'épaule d'Émile.

— Bon, ça va comme ça, fit-il. Vous allez venir avec nous au poste !

Émile tenta de s'expliquer :

— Mais, mais, je suis monsieur Rivet, Émile Rivet ! s'écria-t-il.

— Rivet ? fit la femme, ah, ça me dit vaguement quelque chose ce nom... mais quoi, exactement ?

— Ne vous cassez pas la tête avec ça, madame, fit le policier au visage anguleux, monsieur va nous suivre au poste.

Désespéré, Émile s'apprêtait à obtempérer docilement, quand il entendit crier :

— Monsieur Rivet, mais c'est pas possible, c'est monsieur Rivet !

Tout le monde sursauta, et Émile vit dans la cour de la maison de droite, séparée de la sienne par un simple grillage, un vieillard d'au moins 80 ans qui se tapait le front d'incrédulité.

— Vous connaissez ce monsieur ? demanda le policier au visage anguleux.

— Mais oui, fit le vieillard. C'est monsieur Rivet. Mais... mais, monsieur Rivet, tout le monde a cru que les Allemands vous avaient fusillé en 1943. Il y a même votre nom sur le monument aux morts : "Émile Rivet, mort pour la France, fusillé par les Allemands le 8 juillet 1943". Ça a fait tout juste soixante ans hier. Mais comment êtes-vous vivant ? Et en plus avec la même tête qu'en 1943 ! Je vous ai tout de suite reconnu. Vous paraissez toujours avoir 44 ans, alors que vous en avez...

— 104, fit Émile, non sans émotion. Et au fait, si je peux me permettre, monsieur, vous êtes...

— Gilbert Vilbert, le fils de Joseph Vilbert avec qui vous étiez très ami. J'avais 22 ans en 1943. J'ai hérité de la maison de mes parents après la mort de ma mère il y a 15 ans ; mon père, lui, est mort en 1977.

— Ah oui, fit Émile en regardant le vieillard de 82 ans, voûté, perclus de rhumatisme qui lui parlait, et en essayant de se remémorer le jeune homme de 22 ans qu'il avait très bien connu en... 1943.

Les deux policiers paraissaient totalement déphasés, compte tenu des événements. Mais le grand au visage anguleux reprit assez vite en main la situation en déclarant au vieillard :

— Bon, monsieur, je crois que vous allez devoir nous accompagner également au poste.

Puis, revenant à la femme brune qui paraissait égarée, il dit :

— Vous aussi, madame, vous allez venir avec nous, pour... une simple vérification.

— Mais attendez donc que je me prépare, fit la femme brune.

Le policier secoua la tête.

— Non, madame, vu la gravité de la situation, vous pouvez venir en robe de chambre.

Comme la femme tentait de protester, le petit gros vint au secours de son collègue en déclarant :

— Oui, madame, la situation est plus que grave, elle est extrêmement grave ; alors, il vous faut venir immédiatement, si besoin en robe de chambre.

 

***

L'interrogatoire d'Émile, de son voisin et de la propriétaire de ce qui avait été sa maison, dura toute la matinée. Pour cela, se relayèrent tour à tour, un commissaire, deux lieutenants de police, et trois agents.

Et dès l'après-midi, il y eut une réunion dans le bureau du commissaire qui était entouré des deux lieutenants ayant participé à l'interrogatoire, avec le maire de Belvédunes à propos de l'incroyable affaire qui concernait sa commune.

— Eh bien, il ne manquait plus que cela, soupira le maire, un sexagénaire de forte corpulence, d'habitude très jovial, mais qui pour l'heure était plutôt taciturne. Quand je pense qu'il a son nom sur le monument aux morts ! Comment faire maintenant ?

— Ce n'est peut-être pas là le plus important, hasarda le commissaire, un homme frisant la cinquantaine, aux cheveux gominés et aux sourcils broussailleux. Le fait qu'il nous arrive d'un coup de 1943 après être monté dans une fusée allemande, c'est quand même quelque chose de beaucoup plus embarrassant.

Le maire haussa doucement les épaules.

— Que voulez-vous que je vous dise ? fit-il comme anéanti par mille malheurs. Il y a bien des archives à la mairie faisant état de travaux mystérieux qui auraient été entrepris par les Allemands dans ce qui était à l'époque l'usine des Dunes. Il y a bien également le témoignage de quelques personnes qui auraient justement vu le 8 juillet 1943 aux alentours de 10 h du matin, un drôle d'engin s'élever vers le ciel du côté de "Terminus". Mais à ce propos, on avait toujours pensé qu'il s'agissait de l'expérimentation d'une V1 ou même d'une V2, ces terribles engins qui ont causé bien des dégâts en Angleterre dès l'année suivante.

Le commissaire s'agaça.

— Bon, concrètement, fit-il d'une voix excédée, que comptez-vous faire ?

Le maire haussa de nouveau ses épaules.

— Je pense, souffla-t-il, qu'il faut s'en remettre à la voie hiérarchique. Prévenir le sous-préfet, qui préviendra le préfet, qui préviendra...

— Qui préviendra le ministre, coupa le commissaire, qui préviendra le Premier ministre, et ainsi de suite...

— Que voulez-vous faire d'autre ? dit le maire en haussant pour la troisième fois ses épaules.

Le commissaire acquiesça, ainsi que ses deux lieutenant .

 

***

Émile passa cette nuit-là au commissariat. Il avait pu prendre un repas en découvrant que la cuisine des années 2000 était en tout point semblable à celle des années 40, le rationnement en moins. À ce propos, on lui apprit que la Seconde Guerre mondiale s'était terminée en 1945, qu'il y avait eu un débarquement en Normandie et non pas dans le Nord-Pas-de-Calais en juin 1944, et que suite à cela, Belvédunes avait été libérée le 3 octobre de la même année.

On avait logé Émile le mieux qu'on l'avait pu, et au petit matin, on lui dit que l'on allait le conduire à Paris. Une automobile arriva en effet dans le milieu de la matinée, avec à son bord, deux individus qui ne lui adressèrent pratiquement pas la parole de tout le voyage. Une fois à Paris, on le conduisit d'abord dans un grand bâtiment où plusieurs personnes l'interrogèrent pendant une bonne heure, et ensuite à un hôpital où, comme en 1943, on pratiqua sur lui un tas d'examens.

 

Trois jours plus tard, dans un lieu secret de la capitale, se déroula une réunion qui fit se rassembler un général d'armée de terre, un général d'aviation, un amiral, un agent des services secrets, et un mystérieux individu, petit, au crâne dégarni, et à la fine moustache rousse.

Tous ces personnages étaient réunis autour d'une table rectangulaire dans une pièce austère, assez sombre, car d'épais rideaux avaient été tirés devant chaque fenêtre.

(la suite samedi prochain)

11/02/2009

Conception d'une nouvelle

Vous avez peut-être déjà lu ma nouvelle "Le manuscrit de Walter Ashleigh". Pour savoir comment cette nouvelle a été conçue, avec photos à l'appui, cliquez ici. 

09/02/2009

Une histoire de consommation

Pouvoir d'achat, travail, emploi, que de mots qui nous tournent autour. Acheter, produire, dépenser, l'univers de rêve, la société idéale.

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07/02/2009

Le spationaute (5ème épisode)

Épisodes précédents, colonne de gauche, rubrique "Feuilletons"

 

1987 ! Nous étions en 1987 ! Ce qu'Émile s'était efforcé depuis son réveil de ne pas croire, s'imposait à lui maintenant. Il avait fait un saut dans le temps, de 44 ans dans le futur. Et peut-être plus, car d'après son état, le petit panneau avait dû être fixé sur le blockhaus depuis plusieurs années.

Ainsi, cette satanée fusée ne l'avait pas réduit en bouillie comme il s'y attendait, mais l'avait fait voyager dans le temps. Mais où pouvait-elle bien se trouver ?

Émile reprit sa marche sur la plage, et vit bientôt des estivants qui, contrairement à ceux qu'il avait laissés derrière lui, n'étaient pas nus ; enfin pas tout à fait. Les hommes portaient des slips de bain de très petite taille qui cachaient à peine leurs parties intimes, et les femmes juste des petites culottes et des soutiens-gorge qui dévoilaient quand même considérablement leur corps. Par rapport aux années 40, les tenues de plage étaient bien singulières. Il était vrai que pour Émile, cela valait toujours mieux que de s'exhiber sans aucune retenue comme c'était apparemment autorisé sur la portion de plage qu'il venait de quitter. Jamais dans les années 40 on aurait pu imaginer que cela aurait été un jour possible à Belvédunes.

En voyant tous ces gens qui s'ébattaient sur la plage avec une manifeste joie de vivre, il en conclut que les Allemands avaient certainement été chassés de France, du moins de Belvédunes. En tout cas, on ne voyait aucun soldat à l'horizon.

Émile continua d'avancer, et constata bientôt que d'importants travaux avaient été entrepris depuis le mois de juillet 1943. En effet, à l'époque, l'avenue qui longeait la plage était au même niveau que celle-ci. Ce n'était plus le cas désormais. On l'avait rehaussée, afin de construire une digue de béton qui pouvait retenir le sable lors des grandes tempêtes hivernales, et éviter que les rues jouxtant la plage soient envahies. Émile aperçut bien vite des immeubles en front de mer qui avaient, à son grand regret, remplacé les chalets de bois qui faisaient tant le charme de Belvédunes. Il emprunta un escalier pour quitter la plage, et arriva sur un large et long trottoir où un tas de gens déambulaient tranquillement dans des tenues décontractées. Oui, la guerre était sans aucun doute terminée.

Émile commença à marcher sur ce trottoir qui conduisait jusqu'à l'hôpital de la Plage qui, à sa grande satisfaction, n'avait pas été détruit ou remplacé, et se dressait au loin dans son habit de briques rouges. Il y avait pas mal de voitures qui circulaient sur la route entre le large trottoir et celui d'en face qui bordait les bâtiments ayant remplacé les chalets de bois, et dont les rez-de-chaussée étaient occupés par des boutiques de toutes sortes. Émile ne reconnaissait aucune de ces voitures ; et pour cause, elles appartenaient à une autre époque que la sienne. Beaucoup de gens étaient assis sur un petit muret que l'on avait construit au sommet de la digue, et qui courait tout le long du large trottoir. Mais il y avait aussi des bancs en bois au dossier incliné qui étaient orientés vers la plage, et Émile décida de s'y asseoir pour souffler un coup, mais aussi se remettre de ses émotions.

Il y était installé depuis environ cinq minutes, quand un individu sans âge précis, mal rasé, vêtu d'un pantalon et d'une chemise très élimés, et chaussé de savates en bout de course, vint s'asseoir à côté de lui.

— Eh ben, t'as un sacré beau costard, mon pote ! dit-il d'un ton enjoué.

Surpris, Émile lui adressa un sourire coincé, et l'autre reprit :

— C'est que quand on a les moyens de s'payer un chouette costard comme ça, on a forcément 1 ou 2 euros à m'filer, pas vrai ?

— 1 ou 2, quoi ? demanda Émile.

— 1 ou 2 euros, répéta l'autre.

Émile prit alors un air franchement perdu.

— Mais... mais qu'est-ce que c'est que ça, un euro ? bredouilla-t-il.

L'autre prit un air agressif.

— Tu te fous de moi ou quoi ? fit-il d'un ton hargneux. Un euro, c'est du fric bien sûr. L'euro, c'est ce qui a remplacé les francs depuis le 1er janvier 2002 ; tu sais ça, quand même ?

Dans la tête d'Émile, ça semblait gamberger.

— Depuis le 1er janvier 2002, répéta-t-il. Mais alors, on est le combien aujourd'hui ?

— Oh, mon gars, tu veux jouer avec mes nerfs, dit l'autre. Aujourd'hui, on est le 8 juillet 2003.

8 juillet 2003 ! Émile n'en revenait pas : 60 ans s'étaient écoulés depuis tout à l'heure, et non pas 44 comme il l'avait d'abord cru ; 60 ans depuis qu'il était monté dans la fusée et qu'il avait décollé de la Terre !

Il regarda celui qui lui demandait 1 ou 2 euros, puis, contre toute attente, il dit :

— Et les Allemands, ils ont quitté Belvédunes quand ? Au fait, ils sont bien partis au moins ? Je ne vois plus aucun soldat, ils sont donc bien partis...

L'autre prit un air affolé, se leva du banc, puis sans se gêner, s'adressant à un jeune couple en chemisette et short avec une poussette d'enfant qui arrivait vers lui, leur dit en montrant bien Émile du doigt :

— Faites gaffe en passant près de ce banc, le type qui y est assis est complètement cinglé !

Puis il partit d'un bon pas.

Au lieu de s'effrayer, le couple adressa au contraire à Émile un large sourire, le considérant certainement comme quelqu'un qui avait eu recours à une bien bonne ruse pour se débarrasser d'un casse-pieds.

Émile répondit à leur sourire, puis se mit à penser à sa situation qui était pour le moins inquiétante.

Il resta pour l'instant à contempler de son banc la mer qui montait, se rapprochant du sable sec de la plage comme soixante ans plus tôt, quand il avait pris le chemin de la fusée. Puis, il finit par se lever, et marcha jusqu'à l'hôpital. Celui-ci n'avait plus l'air en très bon état ; en tout cas, ses briques rouges n'avaient plus l'éclat qu'elles possédaient jadis. Émile décida alors d'aller faire un tour dans le centre-ville, de redécouvrir la cité où il était né. Il était quand même intrigué par tous les gens qu'il croisait. Ils n'avaient plus rien à voir avec les estivants des années 20, 30 ou même 40. Leur allure, leurs vêtements, tout était différent. Et puis, il y avait toutes les voitures étranges qui circulaient un peu partout en faisant beaucoup de bruit.

Les gens ne prêtaient pas spécialement attention à Émile, ne trouvant a priori rien de particulier à son allure générale. Mais il comprit très vite pourquoi quand il vit un couple qui s'affairait autour d'une énorme moto aux chromes rutilants. Comme pour les voitures, Émile ne connaissait pas la marque de cet engin impressionnant. Par contre, les deux motards portaient une tenue et un casque très proches de son équipement. À tel point que lorsqu'il passa près d'eux, ils lui firent un signe de la main, le considérant comme l'un des leurs. Voilà pourquoi personne ne s'étonnait de son apparence ; il ressemblait ni plus ni moins à un motard des années 2000.

Il gagna bientôt la rue Carnot, l'artère principale et commerçante de Belvédunes. À cet endroit, les voitures ne circulaient plus, et une foule de gens avançaient non seulement sur les trottoirs, mais aussi en plein milieu de la route. Émile trouva une explication à ce phénomène grâce à un panneau qui indiquait : "rue piétonne". Bien que cela n'existât pas en 1943, Émile n'eut pas de mal à comprendre de quoi il s'agissait exactement, en constatant que les piétons étaient vraiment maîtres des lieux.

Les boutiques qui agrémentaient la rue étaient assez différentes de celles du passé. Dans les années 20, 30 ou 40, il s'agissait surtout de magasins de luxe. Alors que maintenant on trouvait un peu de tout, même des magasins d'alimentation, et notamment des charcuteries qui répandaient des odeurs prenantes dans toute la rue. C'était principalement le cas de l'une d'entre elles qui avait mis en exposition sur le trottoir un étrange appareil, dans lequel des poulets littéralement empalés par des tiges de métal, semblaient se laisser dorer en tournant tout doucement. Ce genre d'appareil n'existait bien sûr pas du temps d'Émile qui trouva néanmoins cette invention fort judicieuse.

Il avança encore un peu plus dans la rue, et dans un recoin il découvrit un autre étrange appareil : une sorte de cabine munie d'un rideau sur laquelle était écrit PHOTOMATON. Toutes sortes de photos étaient exposées derrière une vitre à l'extérieur du photomaton. Étant donné celles-ci et le nom de l'étrange appareil, Émile en déduisit qu'il devait s'agir tout simplement d'une machine à se faire photographier.

Il y avait une glace près du rideau qui était tiré. Émile ne put s'empêcher de se regarder dedans, et blêmit. Le visage que lui renvoyait la glace, était en tout point semblable à celui qu'il avait vu le matin même dans celle de sa chambre d'hôpital, juste avant d'en sortir. C'était le même visage que celui de 1943. Or nous étions le 8 juillet 2003 ; Emile qui était né le 15 mars 1899, avait donc 104 ans. Pourtant, ce faciès de boxeur qu'il voyait dans la glace, était bien celui d'un homme de 44 ans ; c'était son visage du 8 juillet 1943. Émile avait fait un saut de 60 ans dans le futur sans gagner plus de rides qu'il n'en avait en 1943, sans que ses cheveux ne présentent la moindre trace de gris, ou même que son crâne ne se soit dégarni. Mais il en vint très vite à se dire que cela n'était finalement pas étonnant. Il était un voyageur du temps qui avait fait une incursion en 2003. Il était censé pouvoir repartir en 1943, sa véritable époque, celle de ses 44 ans. Mais de quelle manière pouvait-il entreprendre le voyage à l'envers ? Et de toute façon, ne valait-il pas mieux se retrouver à errer dans le futur, plutôt que de regagner une époque de guerre épouvantable ?

À la pensée de tout cela, Émile en eut le tournis, et crut qu'il allait avoir un malaise, d'autant qu'il marchait maintenant parmi une foule bruyante d'estivants. Mais il parvint à se reprendre, et arriva au bout de la rue Carnot. Il prit alors à droite ce qui était jadis la rue de la gare de chemin de fer, et arriva bientôt devant un bâtiment qui avait gardé malgré toutes les années passées exactement l'aspect de celle-ci, mais était devenu un casino. C'était du moins ce que l'enseigne qui s'étalait sur la façade de briques très XIXème siècle, annonçait.

Émile se demanda ce qu'était devenu le casino qu'il avait connu et qui se trouvait quelques rues plus loin. Mais il n'alla pas vérifier, et décida plutôt de repartir vers la plage. Il emprunta une rue qui le ramena au large trottoir, et à un panneau qui indiquait : Esplanade Guillaume Dutrel. En dessous il était mentionné deux dates : 1880 - 1959 ; puis encore en dessous était précisé : Maire de Belvédères - 1934 - 1953.

Émile se souvenait très bien de lui. Il en déduisit grâce à ce panneau que ce large trottoir portait le nom d'esplanade : encore un terme inconnu de lui.

Il reprit place sur un banc, et se mit à regarder les estivants passer. Il ne savait ce qu'il allait devenir. Il n'osait pas se rendre à son ancienne demeure. Existait-elle encore ? Et dans ce cas, qui pouvait bien y habiter ? Peut-être était-elle restée à l'abandon et était tombée en ruine comme l'ancienne usine ?

Émile se sentit soudain gagné par la faim. Il n'avait pas mangé depuis tôt ce matin... enfin le matin du 8 juillet 1943. Il resta à attendre ne sachant pas trop quoi. Il attendait en quelque sorte que le temps passe, ce temps qui s'était emballé pour le faire arriver en quelques minutes, peut-être quelques secondes en... 2003.

Il attendit ; et la journée passa, jusqu'à ce que l'obscurité arrive, jusqu'à ce que la soirée commence.

La journée avait été belle, chaude, comme l'avait été celle du 8 juillet 1943. Émile s'était distrait en regardant passer les gens, craignant à chaque fois qu'il voyait des motards, qu'ils viennent lui parler. Il y eut toutefois deux choses qui retinrent particulièrement son attention. La première fut que beaucoup de gens portaient cet espèce de pantalon de travail américain en toile bleue que l'on appelait blue-jean. Dans les années 40, ce type de vêtement était très peu usité à Belvédunes, alors que maintenant, tout le monde, femmes, hommes et enfants, semblaient l'avoir adopter pour simplement se promener. Ce qui l'étonna en second, et là, il eut vraiment de mal à en revenir, fut le fait suivant : il s'aperçut que beaucoup de personnes marchaient en gesticulant et en parlant seules, sans que quiconque aux alentours ne s'affole. Autrefois, un tel comportement aurait plus qu'inquiété ; alors qu'en 2003, cela paraissait absolument normal. Il était vrai que ces personnes au comportement étrange pour Émile, étaient toutes munies d'un petit appareil qu'elles tenaient tout contre une oreille. Émile en était venu à se dire que c'était peut-être là la clé de l'énigme que posaient pour lui ces individus très bizarres.

Il y eut beaucoup de monde qui défila sur l'esplanade alors que la nuit était tombée depuis longtemps. Puis, soudain, ce fut le désert ; Émile se retrouva seul sur son banc, complètement affamé, après avoir passé sa première journée de "vagabond du temps".

Heureusement pour lui, la fatigue fut bientôt plus forte que la faim. Alors, il se coucha sur le banc, comme tout vagabond, et s'endormit profondément sous un ciel admirablement étoilé, avec en fond sonore le bruissement de la mer.

 

***

 

Il fut cette fois réveillé sans ménagement par quelqu'un qui lui secouait l'épaule.

— Allez, debout ! fit une voix aux intonations rudes.

(la suite samedi prochain)

04/02/2009

2ème anniversaire

 Eh oui, le blog a tout juste deux ans aujourd’hui. C’est en effet le 4 février 2007 que j’ai posté la première note que vous pouvez retrouver en cliquant ici.

Pendant un an, le programme était assez varié : textes perso, littérature, musique, société, divers…

Puis en mars dernier, j’ai décidé que le blog ne serait consacré qu’à mes écrits. Une façon comme une autre de bien les faire connaître.

Depuis, il y a eu mon blog polar, et celui consacré à mon roman fantastique aux mille péripéties, dont celle d’avoir perdu son éditeur.

À ce propos, j’ai remis ça, et c’est à découvrir dans la note « Une bouteille à la mer », en cliquant là.