Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

07/03/2009

L'assassin habite au 41

 

Dédié à Stanislas-André Steeman

 

La station L’Arche orbitant à 1000 kilomètres au-dessus de la Terre, était considérée depuis trois décennies comme un véritable havre de paix. Ce fut lors de la propagation sur toute la planète d’un virus criminogène, que l’on avait décidé d’envoyer vivre dans l’espace cinquante familles à bord d’une structure prévue à l’origine pour diverses études scientifiques.

Le but était bien sûr de préserver quelques échantillons d’humains ; les perspectives les plus alarmistes circulant alors quant à la contamination massive des Terriens.

Heureusement, d’éminents chercheurs étaient parvenus relativement rapidement à isoler le virus, à découvrir des médicaments permettant de le combattre, mais surtout un vaccin afin de s’en prémunir.

Quoi qu’il en soit, les cinquante familles mises en orbite ayant été gagnées par une suspicion maladive, avaient demandé à ne plus quitter la station. Les autorités avaient répondu positivement à la condition qu’elles acceptent pour une simple raison de place, de renoncer à la procréation. Tout manquement à ce principe fondamental eût été aussitôt suivi d’un rapatriement de l’ensemble des familles, mais chacun avait respecté à la lettre la recommandation, et ainsi ce fut une population vieillissant au fil des années qui continua de vivre dans l’espace.

Le ravitaillement venait bien sûr de la Terre, et les Intervenants étaient sommés de passer impérativement par un sas de décontamination avant toute introduction à bord de la station.

Il semblait donc impossible que la moindre particule criminogène puisse s’immiscer dans ce petit monde protégé ; aussi quand un soir, la patrouille sécuritaire qui d’ordinaire faisait sa ronde sans avoir à intervenir, trouva un corps étendu dans le couloir d’accès aux appartements, juste devant la porte du numéro 50, la surprise fut très grande.

Le chef de patrouille pointa son indentifieur sur la personne qui avait été de toute évidence étranglée, et annonça aux trois hommes qui l’accompagnaient :

— Il habitait bien au 50. Il venait très probablement de sortir de chez lui.

Puis il pianota sur le cadran de son identifieur, et fronça les sourcils.

— Apparemment, dit-il au bout d’un instant, l’assassin habite au 41 !

Il emmena ses hommes jusque-là, et frappa à la porte de l’appartement.

L’homme qui ouvrit la porte, un vieillard à la longue chevelure et à la barbe lui arrivant en bas du ventre, vêtu d’une longue tunique blanche, prit un air effrayé en découvrant les membres de la patrouille sécuritaire, casqués et vêtus de cuir noir.

Le chef de la patrouille ne tenta pas de le rassurer, puisqu’il déclara tout de go :

— Un Résident a été étranglé, et il s’avère que l’assassin provient de votre appartement ! Vous êtes le Patriarche des lieux ?

— Heu… oui, fit le vieillard d’une voix tremblante. Mais personne n’est sorti du 41. Nous étions en train de lire en famille sur écran un ouvrage de Théophile Gautier, un écrivain du XIXème siècle terrien.

— Nous pouvons entrer ? fit le chef de patrouille.

Le Patriarche acquiesça de la tête, et laissa entrer les agents sécuritaires.

Bientôt ceux-ci arrivèrent dans le sas de culturation de l’appartement où se trouvaient les autres membres de la famille : 5 hommes et 6 femmes entre une soixantaine et une trentaine d’années. Comme le Patriarche, les hommes étaient chevelus et barbus ; quant aux femmes, leurs cheveux leur arrivaient au bas du dos, et tout le monde était vêtu de longues tuniques blanches.

L’émotion fut énorme quand ces Résidents du 41 apprirent de la bouche de leur Patriarche ce qui se passait.

Mais très vite, le chef de la patrouille leur ordonna de se soumettre au détecteur criminatif, un petit boîtier sur lequel il suffisait de poser les doigts.

Quand tous les membres de la famille se furent acquittés de ce qui pour eux ne pouvait que représenter une terrible épreuve, le chef de patrouille fut très soucieux, et soupira :

— Bon, il semblerait que l’assassin ne se trouve pas ici.

— Bien sûr, s’empressa de dire le Patriarche, puisque nous nous cantonnons tous depuis quatre heures dans notre sas de culturation, en exercice de lecture familiale. Puis, vous savez bien qu’il est impossible qu’il y ait un criminel à bord de L’Arche !

Le chef de patrouille passa outre ce qui venait d’être dit, et annonça à ses hommes :

— Bon, il ne reste plus qu’à prévenir le Coordinateur de la station.

Celui-ci, un homme de 80 ans, arriva bientôt. Après avoir écouté le rapport du chef de patrouille, il demanda :

— La localisation criminative était de forte intensité ?

Le chef de patrouille prit un air embarrassé.

— Justement non, elle était curieusement de très faible intensité.

— Alors, fit le Coordinateur, il nous faut solliciter la Sécurité Centralisée Terrienne.

Il tapota aussitôt sur son avertisseur qu’il portait au poignet, puis déclara :

— Il ne nous reste plus qu’à attendre. Espérons que l’on nous enverra vite quelqu’un.

 

****

Une petite heure plus tard, l’arrivée de deux hommes fut annoncée, et après être passés par le sas de décontamination, ceux-ci gagnèrent l’appartement 41.

Il s’agissait d’un individu très grand à la chevelure rousse et abondante, et d’un second tout aussi grand, mais complètement chauve. Ils portaient tous deux la combinaison grise de leur Unité.

— Je suis le commissaire Steeman, annonça le chevelu.

Puis, montrant du doigt le chauve, il poursuivit :

— Et voici mon assistant, le lieutenant R-Snew.

L’androïde hocha la tête, et le commissaire pria le Coordinateur de lui exposer la situation.

Quand cela fut fait, il demanda à visiter l’appartement. Celui-ci comprenait en plus du sas de culturation, des espaces de repos, de sustentation, d’hygiène et d’évacuations naturelles, ainsi que des placards où étaient entreposés divers encombrants, dans l’attente d’être ramassés par des Intervenants.

Et en passant devant la porte de l’un d’eux, le commissaire Steeman remarqua un petit trou dans le métal qui la constituait.

— Qu’est-ce que c’est que ça ? demanda-t-il.

Le Patriarche intervint aussitôt :

— Alors, ça ! je me le demande bien ! Il ne s’est rien passé de particulier, si ce n’est que cette porte a justement été changée depuis peu.

— Et il n’y avait pas ce trou dedans ? interrogea le commissaire.

— Absolument pas ! affirma le Patriarche.

Le commissaire se tourna alors vers le Coordinateur.

— Vous savez où a été fabriquée cette porte ?

— À l’usine universelle B’, je suppose, répondit l’interpellé.

— Qui se trouve dans le déserte de Gobi ?

— Heu… oui.

Le commissaire prit un air entendu, puis s’adressant cette fois au lieutenant R-Snew, il dit :

— Bon, lieutenant, préparez donc votre spectrozeur.

R-Snew hocha la tête, et sortit d’une poche de sa combinaison un appareil de forme allongée, ressemblant vaguement à un pistolet des temps anciens.

Alors, le commissaire Steeman demanda au Coordinateur et aux quatre agents sécuritaires de les suivre, lui et son adjoint.

Tout ce petit monde commença à patrouiller le long des couloirs de la station. Les agents sécuritaires et le Coordinateur se demandaient bien ce qui allait se passer, quand soudain le couloir s’éteignit, et que juste devant eux, se dressa une colonne de fumée d’un jaune phosphorescent qui se mit à onduler. Il ne fallut que quelques secondes pour que l’on devine une forme humaine à l’intérieur. Très vite, cette dernière prit de l’ampleur, et quand la fumée eut disparu d’un coup, ce fut un véritable colosse à la face de brute qui se planta devant les policiers, les agents sécuritaires et le Coordinateur dans le couloir de nouveau éclairé.

Le colosse commença à avancer de façon menaçante, mais le lieutenant braqua son spectrozeur sur lui, et aussitôt un éclair bleuté en sortit. Le colosse se figea dans une expression de surprise, puis commença à se disloquer ; et bientôt, à sa place, une nouvelle colonne de fumée jaune ondula depuis le sol. La fumée se dissipa en quelques secondes, et aux quatre agents sécuritaires et au Coordinateur, le commissaire Steeman déclara :

— Il y a peu encore, nous devions avoir recours à des spirites pour parvenir à ce résultat. Mais des scientifiques ont mis en équation des données ésotériques spécifiques, et élaboré le spectrozeur. Il était temps, car les spirites sont devenus une denrée rare de nos jours. Il doit en rester encore deux ou trois, mais dans un état physique et psychique très affaibli. Vu leur moyenne d’âge de 120 ans, ça peut se comprendre.

Les quatre agents sécuritaires et le Coordinateur étaient plus qu’ébahis, aussi le commissaire leur dit-il :

— Bon, messieurs, je vous dois quelques explications, alors pour cela, nous allons retourner au 41.

Toute la petite troupe s’y rendit, et en arrivant dans le sas de culturation que tous les Résidents avaient rejoint, le commissaire annonça :

— L’affaire est résolue, le criminel est hors d’état de nuire.

Le commissaire marqua alors une courte pause, et poursuivit :

— Voilà ce qui s’est passé. La porte du placard a été fabriquée à l’usine universelle B’ se trouvant dans le désert de Gobi. Or, dans le voisinage de cette usine, il y a un pénitencier qui a la particularité d’accueillir des criminels des plus coriaces, réfractaires à tout remède. Depuis longtemps, de nombreux détenus finissent leurs jours dans ce pénitencier, et un cimetière a été créé à proximité. À une certaine époque, on avait pris l’habitude de puiser dans l’organisme des détenus décédés, des substances fondamentales telles que le fer ou le zinc, afin de réaliser des alliages nécessaires à la fabrication industrielle. J’en déduis donc que dans votre porte, se trouvent des substances fondamentales, et selon ce qui me paraît évident, il y en avait certaines contenant des particules criminogènes qui se sont en quelque sorte réveillées, suite probablement à des frictions magnétiques. Cela a entraîné une réaction ectoplasmique, et la partie incriminée de ce qui ne semblait être qu’une simple porte s’est détachée de l’ensemble pour arriver jusqu’à l’appartement 50. Là, l’ectoplasme a repris consistance, et a libéré toute la matérialité du criminel qu’il contenait, le rendant à son état initial d’humain intégral prêt à tuer. Une fois le crime exécuté, le coupable est revenu à l’état ectoplasmique, puis a atteint le stade de l’invisibilité. Autant vous dire qu’il risquait de tuer de nouveau à tout moment et sans problème. Donc l’assassin habitait bien au 41, mais de façon très particulière. C’est d’ailleurs ce qui explique que la localisation criminative ait été de faible intensité.

— Mais comment pouvez-vous être sûr de tout cela ? demanda le Coordinateur.

Le commissaire afficha un air dégagé pour répondre :

— La lecture assidue et conjointe d’ouvrages de physique-chimie et de sciences occultes, me permet de tenir ce raisonnement comme fiable.

— Et nous ne craignons vraiment plus rien ? s’enquit le Patriarche.

— A priori non, fit le commissaire, puisque le coupable a été à la fois découvert et annihilé grâce au spectrozeur du lieutenant R-Snew. Mais il serait quand même utile de faire vérifier au plus vite l’ensemble de la station. Qui sait si un autre dangereux criminel ne se cache pas à l’état de métal ou autres, dans une porte, un plafond ou je ne sais quoi encore ! Il vous faudrait revoir également le fonctionnement de votre sas de décontamination, qui n’a apparemment été d’aucun effet sur la porte lors de son introduction à bord.

Le Coordinateur se crispa, mais prit toutefois bonne note des conseils du commissaire.

Quand ce dernier s’apprêta à partir, le Patriarche lui dit :

— Au fait, vous vous appelez bien Steeman ?

— Oui, répondit l’intéressé.

Et l’autre de continuer :

— Lors de nos lectures, ma famille et moi, nous avons découvert un ouvrage d’un certain Steeman, Stanislas-André Steeman, très exactement. C’est un parent à vous ?

Le commissaire hocha la tête.

— Oui, il s’agit d’un de mes très lointains ancêtres qui a vécu, je crois, au XXème siècle terrien. On en parle encore dans ma famille. Il a écrit un roman qui s’appelle, si j’ai bonne mémoire, L’assassin habite au… au… ah, tiens, il me semble bien justement que c’est au 41...

— Au 21 ! rectifia le Patriarche.

— Ah, oui, vous avez raison, c’est le 21, et non pas le 41 ! dit en riant le commissaire Steeman.

 

Patrick S. VAST - novembre 2008

05/03/2009

Pas d'abonné au 41

Les résultats se suivent mais ne se ressemblent pas. Vendredi dernier j’apprenais que ma nouvelle « L’affaire Nokobva » (voir note précédente), faisait partie des 10 sélectionnées pour le recueil édité par les Éditions Saint-Martin, et lundi je découvrais que je n’étais pas retenu pour le concours 41 organisé par la revue de SF, Galaxies.

Le thème était donc 41, comme « Ali Baba et les 41 voleurs », « La 41ème heure », « Les 41 dalmatiens », 41 de fièvre, jouer au 4x41… etc…

Après avoir laissé reposer ce chiffre dans ma tête, m’est venu très vite le titre « L’assassin habite au 41 », détournement de « L’assassin habite au 21 », roman de l’auteur belge, Stanislas-André Steeman, mais aussi film de Henri-Georges Clouzot.

Comme il devait s’agir d’une nouvelle de science-fiction, j’ai transformé la pension de famille propre aussi bien au roman qu’au film, en station orbitale, et c’était parti.

Et histoire de faire quand même un peu dans l’humour, j’ai appelé le commissaire qui enquête, Steeman, et son assistant, un parfait androïde, R-Snew ; ce qui donne une fois remis à l’endroit, Wens, soit le nom du célèbre policier créé par Stanislas-André Steeman.

Bon, OK, ça ne fait pas partie tout ça des sélectionnés, mais j’ai participé, et comme dirait un certain baron que l’on évoque toujours en pareil cas...

En tout cas, peu importe, grâce au oueb, plus d’écrits qui restent dans les tiroirs désormais, et donc je vais me faire un fringant plaisir de mettre en ligne « L’assassin habite au 41 » dès samedi à l’aube.

Faites donc sonner votre réveil pour ce jour-là !!!

PS : vous noterez que question titre des notes, je me maintiens dans la téléphonie.

02/03/2009

Le téléphone a bien sonné

Souvenez-vous, j'avais mis en ligne une note à propos d'un concours organisé par les Éditons Saint-Martin, dont vous retrouverez les modalités ici, ainsi que (hé hé, le palamarès).

Évidemment, une histoire de téléphone trouvé dans une broquante, et qui se met à sonner une fois chez l'acheteur alors qu'il n'est relié par aucun fil, tout ça entrait parfaitement dans mes thèmes de prédilection, dans mon domaine d'expression.

Alors, j'ai écrit "L'affaire Nokobva", et j'ai concouru avec. Et si vous avez lu le palmarès grâce au lien ci-dessus, vous avez vu que mon texte fait partie des 10 sélectionnés.

Ces nouvelles vont donner lieu à la publication par les Éditions Saint-Martin d'un recueil devant paraître vers la fin mars, ou le début avril.

Je vous tiendrez bien évidemment au courant de la suite.

28/02/2009

Le spationaute (dernier épisode)

Épisodes précédents dans la rubrique "Feuilletons", colonne de gauche

 

***

 

J'avais roulé toute la journée avec ma bicyclette. Je suis arrivé en début de soirée dans une station balnéaire. Par une petite route, j'ai gagné un endroit à la fois étrange et très prenant. C'était à l'extrémité nord de la plage. Il y avait un bâtiment en ruine dans les dunes, entouré de blockhaus également très endommagés. Il n'y avait plus personne sur la plage ; il faut dire qu'il était déjà près de 21 h. Je me suis installé avec ma bicyclette en haut d'une dune, et j'ai pique-niqué. Ensuite, je suis resté à contempler le coucher de soleil. C'était à la fois poétique et magique. Je suis resté ainsi, contemplatif, presque méditatif, pendant au moins deux heures. Puis, je me suis glissé dans mon sac de couchage, et me suis très vite endormi.

Je ne sais pas combien de temps exactement j'ai dormi d'un sommeil paisible ; mais j'ai été réveillé par un léger sifflement. J'ai ouvert les yeux, et à ma grande surprise, je me suis aperçu qu'on y voyait comme en plein jour. Mais ce qui m'a le plus surpris encore, ce fut de découvrir une sorte de disque qui arrivait de la mer ; un disque lumineux qui était la cause de cette incroyable clarté qui régnait alors alentour. Le disque s'est approché des dunes, et il m'est apparut immense, énorme. Il s'est immobilisé au dessus de la plage, puis j'ai pu distinguer une échelle qui sortait du dessous du disque pour atteindre le sable. Bientôt, j'ai vu des individus descendre par cette échelle. Ils était quatre, et commencèrent à s'affairer au pied de la dune en haut de laquelle j'étais perché, observant médusé ce qui se passait depuis mon sac de couchage. J'ai vu alors trois des quatre individus qui étaient descendus du disque lumineux, y remonter par l'échelle. Puis, il y eut un bruit très strident, et le mystérieux disque a repris la direction de la mer.

Mais il laissait derrière lui une longue et large traînée lumineuse qui permettait encore de voir pratiquement comme en plein jour. Ce fut ce qui me permit de découvrir une forme humaine allongée au pieds de la dune. Je suis prestement sorti de mon sac de couchage, et J'ai descendu la dune. J'ai rejoint en quelques secondes ce qui était un individu vêtu d'une étrange combinaison de couleur grise, le visage dissimulé par un casque dont la visière était baissée.

Dès que je fus près de lui, l'individu s'est redressé, puis s'est assis, et a aussitôt enlevé son casque. Je m'attendais à découvrir quelque chose d'incroyable, mais ce ne fut guère le cas. L'homme avait les cheveux coupés très courts, et son nez était aplati comme peuvent l'être ceux des boxeurs. C'était assurément un Terrien, qui me regardait avec un peu de crainte dans les yeux.

Je me suis efforcé aussitôt de le rassurer, et comme j'étais en France, ce fut dans la langue de ce pays que je me suis exprimé.

— Ne craignez rien, lui ai-je dit, je ne vous veux aucun mal.

L'homme a alors hoché la tête ; il m'avait compris.

— D'où venez-vous ainsi ? ai-je poursuivi.

L'homme a eu l'air troublé.

— De loin, de très loin, a-t-il répondu.

— D'une autre planète ? ai-je insisté.

L'homme a secoué la tête, et a bredouillé :

— Je... je ne sais pas, je ne sais plus. Enfin, plus très bien.. je dois oublier tout... je...

— Mais comment êtes-vous parti de la terre ? ai-je encore insisté.

L'homme a porté la main à son front.

— Avec la fusée... oui, la fusée des Allemands, a-t-il dit en hésitant.

J'ai continué :

— Mais quand êtes-vous parti ?

L'homme avait l'air épuisé, mais il a fait un effort pour répondre :

— En... en 1943.

Je n'en revenais pas.

— Mais que s'est-il passé après votre départ ? me suis-je presque écrié.

L'homme a secoué la tête pour déclarer :

— J'ai été sauvé... par... par… mais je ne sais plus, je ne me souviens plus.

J'ai alors tenté :

— Vous avez été envoyé dans l'espace, puis vous vous êtes retrouvé en difficulté, et des extraterrestres sont venus à votre secours, c'est cela ?

— Des extraterrestres ? s'est étonné l'homme.

Il m'a regardé alors, l'air complètement perdu, puis a recommencé :

— Je... je ne sais plus. Je... je dois tout oublier... oublier.

Une chose qui m'étonnait le plus, c'était que cet homme paraissait une quarantaine d'années. Or, il devait bien en avoir une vingtaine quand on l'avait envoyé dans l'espace, et donc être âgé d'au moins 80 ans maintenant.

— Mais combien de temps êtes vous resté parti ? ai-je hasardé.

Il a semblé faire un effort surhumain pour réponde :

— 60 jours.

— 60 jours ! me suis-je exclamé. Mais soixante ans ont passé depuis 1943. Nous sommes en 2003.

L'homme a presque réussi à sourire pour m'annoncer :

— Là où j'étais, une année terrestre dure un jour seulement.

— Vous n'avez donc vieilli que de 60 jours depuis votre départ, ai-je conclu.

L'homme a doucement hoché la tête.

C'était évident vu son aspect. Il avait donc déjà une quarantaine d'années en 1943.

Il fallait que j'en sache plus encore. J'ai donc repris :

— Mais où vous étiez, c'était une planète, c'est cela ?

L'homme n'a alors pu que dire :

— Oublier... je dois oublier. Très fatigué, je suis très fatigué. Je suis parti le 8 juillet 1943 dans la fusée, puis... je suis revenu, aujourd'hui.

— Et entre les deux ? ai-je tenté.

Comme je le craignais, il a répondu :

— Oublié... tout oublié maintenant.

Puis, il s'est allongé sur le sable et a sombré dans un sommeil profond.

J'ai regardé vers la mer ; le disque disparaissait à l'horizon. En même temps la nuit revenait, et bientôt on ne fut plus éclairé que par la pleine lune et les étoiles qui étaient très nombreuses.

Je me suis senti soudain très fatigué. J'aurais pu m'allonger près du rescapé de l'espace, et ainsi veiller sur lui ; mais il semblait dormir très paisiblement maintenant, et n'avoir besoin de personne.

Alors, très péniblement, j'ai remonté la dune, et regagné mon sac de couchage. Une fois dedans, il ne m'a pas fallu plus de deux secondes pour sombrer à mon tour dans un sommeil profond.

Quand j'ai rouvert les yeux, il faisait jour, et un chaud soleil brillait haut dans le ciel.

Ce que j'avais vécu dans la nuit, m'est revenu aussitôt à l'esprit. Mais dans l'état de demi-sommeil où je me trouvais encore, j'étais persuadé que j'avais rêvé. Ce n'était pas possible, tout ce que j'avais cru voir : le disque lumineux, et le mystérieux spationaute, tout cela n'avait pu réellement exister.

Comme j'ai très vite eu l'impression qu'il y avait du monde sur le plage, je suis sorti de mon sac de couchage ; et, à quatre pattes, j'ai regardé en bas de la dune.

J'ai eu un choc quand j'ai découvert un homme vêtu de gris allongé au pied de la dune, et plusieurs personnes entièrement nues qui le fixaient.

J'étais à la fois amusé de m'être aventuré sans le savoir sur une plage naturiste, et abasourdi de devoir me rendre à l'évidence que la nuit dernière, j'avais bien assisté au débarquement d'extraterrestres, ramenant sur la terre un malheureux spationaute qu'ils avaient secouru, et gardé deux mois équivalant à 60 années terrestres sur leur planète.

Tout cela dépassait l'imagination, et une chose me chamboulait tout particulièrement : les Allemands avaient envoyé dans l'espace un homme en juillet 1943 ! Cela remettait toute l'histoire de la conquête spatiale telle qu'on la connaissait en question : l'envoi dans le cosmos de Spoutnick I en 1957, de Gagarine en 1961, qui de ce fait ne serait plus le premier homme a avoir voyagé dans l'espace, la place revenant à ce spationaute sans aucun doute involontaire. Mais ce vol ne pouvait apparaître comme un succès véritable ; la fusée n'étant jamais revenue sur la terre, et son passager 60 ans après dans des conditions bien particulières.

Je fus tiré d'un coup de mes réflexions, quand j'ai vu l'homme se lever, et regarder autour de lui. Manifestement, il semblait étonné, et les naturistes qui l'observaient tout autant. Il a paru hésiter un instant, puis après avoir récupéré son casque, s'est mis en route vers le sud de la plage.

Les naturistes parlaient entre eux ; mais d'après leur attitude, ils devaient tout simplement estimer que l'homme n'était pas souffrant comme il l'avait sans doute cru. Ou même, qu'il ne risquait plus maintenant d'attraper une insolation en restant allongé sous le soleil qui cognait de plus en plus fort. Ils sont très vite retournés à leurs occupations de plagistes, tandis que le spationaute marchait tranquillement sur le plage, et commençait à s'éloigner.

J'ai continué de le suivre des yeux, en songeant au destin incroyable de cet homme qui était un miraculé, ayant vécu sur une planète dont personne ne soupçonnait l'existence, et qui à cette heure avait sans doute tout oublié. Comme il l'avait laissé entendre cette nuit, il ne pouvait se souvenir que de son départ pour l'espace le 8 juillet 1943. Cet homme allait vivre avec un trou de soixante années dans sa vie. Mais pire, comment allait-il se débrouiller maintenant, étant complètement décalé, et de surcroît porté disparu depuis 1943 ? Après avoir été un naufragé de l'espace, il allait être un naufragé du temps, reprenant sa vie là où il l'avait laissée, quand il était âgé d'une quarantaine d'années, alors qu'il était un centenaire potentiel. Songer à toutes les difficultés qu'il ne pouvait que rencontrer, donnait le vertige.

Je l'ai alors encore regardé s'éloigner, avec mille pensées dans la tête.

 

***

 

 

C'est ainsi que John Wesling a terminé sa nouvelle, laissant ses éventuels lecteurs imaginer seuls ce que pourrait être l'avenir de son spationaute de "fiction".

***

En tout cas, voilà ce qu'il advint d'Émile Rivet. Comme on l'a déjà mentionné, il fut embauché dans l'entreprise de déménagement qui était géré par le petit-fils de son employeur de 1943. Au préalable, le maire de Belvédunes lui avait octroyé un logement communal. Ce fut avec plaisir qu'il se rendit chaque jour au travail, même si le temps passant, il avait de plus en plus de peine à manipuler des armoires ou autres meubles encombrants. Il faut dire que petit à petit, ses cheveux blanchissaient et son visage se ridait toujours plus, signe d'un vieillissement progressif. Son employeur et ses collègues de travail en vinrent à s'inquiéter. Mais Émile s'efforçait toujours de faire preuve d'un bel entrain, et en tout cas d'un inaltérable enthousiasme. Pourtant, au matin du 7 août, tout cela cessa, car l'intéressé fut terrassé par un terrible lumbago, alors qu'il portait une table d'un poids relativement raisonnable pour un déménageur professionnel.

Il fut transporté d'urgence à l'hôpital, où le médecin qui le reçut, fut étonné, en voyant cet homme au visage raviné par les années, au crâne presque entièrement dégarni, et aux membres déformés par les rhumatismes, d'apprendre qu'il exerçait encore à son âge déjà bien avancé, le métier de déménageur. En effet, les examens pratiqués dans les jours qui suivirent, confirmèrent que l'organisme d'Émile était bien désormais celui d'un vieillard de 74 ans.

Il avait donc vieilli de 30 ans en 30 jours. Alerté, le maire le fit admettre aussitôt dans une maison de retraite de la ville. La période de canicule qui a marqué le mois d'août 2003, commençait alors. Très vite, tout le monde : opinion publique, médias, hommes politiques furent accaparés par ce véritable cataclysme qui s'était abattu sur le pays, avec en premier lieu de nombreux décès parmi les personnes âgées. À Belvédunes, la brise marine qui fut omniprésente durant cette période, contribua à ce que l'on ne connût pas de situation catastrophique comme dans d'autres villes. Il n'y eut en tout et pour tout que cinq décès durant le mois d'août dans la commune, qui n'eurent rien à voir avec le phénomène de la canicule nationale.

Si bien qu'Émile Rivet qui continuait de vieillir tranquillement, mourut de sa belle mort le 6 septembre dans la soirée, soit très exactement 60 jours après son retour à Belvédunes. On s'abstint de pratiquer la moindre autopsie à la suite de son décès, car manifestement, cet homme qui était né le 15 mars 1899, avait tout à fait l'aspect d'un vieillard de 104 ans quand il avait rendu l'âme.

Il fut enterré trois jours plus tard, et sur sa tombe financée par la commune de Belvédunes, ce fut bien le 6 septembre 2003 qui y figura comme date de décès, faisant ainsi de lui un homme qui était mort à deux périodes différentes. En effet, une délibération du conseil municipal avait entériné le fait que l'on ne changerait pas l'inscription au monument aux morts.

Tout cela était bien sûr passé inaperçu ; ce que l'on avait appelé "le drame de la canicule", continuant toujours a d'accaparer les médias à l'automne 2003.

 

Lorsqu'Émile Rivet était mort, il y avait une infirmière de la maison de retraite à ses côtés. Plus tard, elle devait rapporter à des proches, qu'il avait quitté notre monde avec une très grande sérénité, laissant penser que cet homme avait réellement eu une vie très longue et d'une richesse exceptionnelle.

 

Ce que l'on pourrait encore ajouter, c'est qu'au cours de la nuit qui suivit le décès d'Émile, des personnes qui traînaient dans les environs de la plage de Belvédunes, auraient vu — ou cru voir—, une étrange clarté provenant de la mer.

 

FIN

Patrick S. VAST - Août 2005

26/02/2009

Dernier épisode du "Spationaute"

C'est pour ce samedi 28 février. Le der des der. Enfin, en ce qui concerne ce texte.

Qu'est-il arrivé à notre héros (pour employer la formule consacrée des feuilletons d'antan") ?

Réponse ici même, samedi à 6 h du matin.

Faites sonner votre réveil !!! 

24/02/2009

Sur un air des Platters

« Twilight Time » des Platters. Pour Tom, cela évoquait les plages de Miami ou de la West Coast. Le sable chaud, l’ambre solaire et les vagues. Un hymne chaloupé comme des pin-ups fifties léchant leur glace à la fraise.

Tom en rêvait de soleil et de nuits moites sous les palmiers.

Mais en guise de moiteur, il avait droit à la lourde ambiance étouffante d’un bastringue enfumé du Bronx : un affreux bouge irrespirable où dans un pogo chronométrique, des punks s’excitaient au son d’un groupe au rythme saturé.

New-York, les junkies, les punks… Tom en avait la nausée. Il rêvait de « Twilight Time », des Platters. Sortir du trou, sortir de son trou puant le chanvre, s’extirper d’une nuit no way out.

Il passa sa main sous son blouson de cuir bon marché, et sentit que ça poissait. En même temps, un vertige accéléra le rythme de son cœur en un mouvement tatychardique.

Il voulut se lever de sa chaise. Pour cela, il dut faire un violent effort qui l’obligea à serrer les dents.

Il parvint à se soulever, chancela, et s’écroula d’un coup sur le plancher graisseux du bouge.

Le groupe punk continuait de marteler son hymne métronomique, mais Tom ne l’entendait plus.

Dans sa tête coulait une douce mélodie, une harmonie de voix, les Platters dans une synchronie musicale.

Allongé sur le sol, Tom écouta religieusement « Twilight Time ».

Quand le morceau se termina, il avait oublié la ruelle sombre encombrée de poubelles puantes où il avait reçu un coup de couteau par un junky au bout du rouleau. Il voyait une vague venir s’échouer sur le sable doré d’une plage de Californie. Et c’est avec le sourire qu’il s’en alla s’échouer dans le monde de l’invisibilité, bercé par un air des Platters.

 

Patrick S. VAST - février 2009

 

NB : pour la version avec son et images, veuillez cliquer ici.