21/02/2009
Le spationaute (7ème épisode)
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— Incroyable ! commença le général d'armée de terre, alors, ainsi, les Allemands auraient envoyé un homme dans l'espace 18 ans avant Gagarine !
— Il faut le croire, soupira le général d'aviation, en tout cas, on n'a pas retrouvé la fusée.
— Oui, reprit le général d'armée de terre, mais d'après les renseignements collectés, il y aurait bien eu une fusée qui aurait été lancée à Belvédunes le 8 juillet 1943 au matin.
— Oui, repartit le général d'aviation, et apparemment ce n'était ni une V1 ou une V2.
— Mais alors, intervint l'homme à la fine moustache, les Allemands étaient donc arrivés à un développement technologique aussi important en matière de fusée ?
— C'est fort probable, répondit l'homme des services secrets. N'oublions pas que dans les années 60, les Américains avaient pris pas mal de retard par rapport aux Soviétiques. Or, ce retard a été vite comblé. Et même, le premier pas d'un Américain sur la lune prévu à l'origine pour l'année 2000, a eu lieu en fait en juillet 1969, grâce à Werner Von Braun, père des V1 et des V2, que les Américains avaient pris soin de récupérer à la fin de la guerre.
— Vous voulez dire, reprit le général d'aviation, que Von Braun possédait, dirons-nous, une sorte de botte secrète, dont l'origine serait peut-être l'envoi d'Émile Rivet dans l'espace le 8 juillet 1943 ?
— Qui sait ? fit l'homme des services secrets.
— En tout cas, repartit le général d'armée de terre, c'est quand même étonnant que les Allemands aient choisi Belvédunes pour faire leur expérience. Ils n'étaient situés qu'à une petite quarantaine de kilomètres de l'Angleterre, et la RAF aurait très bien pu bombarder leurs installations, voire leur précieuse fusée.
— Oui, mais ça se comprend, intervint l'amiral. N'oublions que les expériences spatiales de Von Braun ont été, paraît-il, effectuées en cachette des dignitaire du IIIème Reich. Hitler lui-même, n'aurait été au courant de rien. Alors, on peut imaginer qu'à l'origine, cette usine de Belvédunes devait servir de base aux lancements des premier V1 construits dans des endroits mieux protégés, probablement souterrains. Sa situation géographique, justement très proche de l'Angleterre, devant leur permettre de frapper durement ce pays. Von Braun ou l'un de ses collaborateurs, a peut-être profité des installations pour, dès 1943, expérimenter un programme spatial.
— Hum, fit le général d'armée de terre, ça me paraît quand même étonnant.
— Oui, mais, reprit l'amiral, d'après les renseignements recueillis, le 8 juillet 1943 au matin, il y avait un tas de navires de guerre allemands qui croisaient en Manche. À mon avis, cela aurait pu suffire pour stopper une incursion des avions de la RAF. Et d'une manière générale, la DCA était très active dans ce secteur.
— En tout cas, intervint l'homme des services secrets, d'après Émile Rivet, l'homme qu'il a rencontré, cet individu portant monocle, n'était pas Werner Von Braun. Ce n'est pas à cela qu'il ressemblait.
— Non, fit d'un ton moqueur l'homme à la fine moustache, celui-ci ressemblerait plutôt à un personnage de film des années trente ; une sorte d'Erich Von Stroheim tel qu‘il apparaît dans « La grande illusion », vous ne trouvez pas ?
— Peut-être, fit l'homme des services secrets, mais on ne peut pas mettre en doute la parole d'Émile Rivet. Il lui est bien arrivé quelque chose d'extraordinaire. Il n'a pas pu en tout cas se cacher durant 60 longues années et réapparaître avec l’aspect qu'il avait en juillet 1943 !
— Non, soupira l'homme à la fine moustache ; et c'est bien pour cela qu'après tout, l'important dans cette affaire, n'est pas tellement de savoir si oui ou non les Allemands ont été capables d'envoyer un homme dans l'espace en 1943 ; mais plutôt de parvenir à comprendre comment leur spationaute nous retombe dessus en 2003 sans sa fusée, avec la même tête qu'il y a 60 ans ; mais avec une autre combinaison spatiale ; et pour finir, persuadé que le 8 juillet 1943, c'était il y a seulement quelques jours !
— Au fait, demanda le général d'aviation, qu'ont donné les analyses de sa tenue, mais aussi ses examens médicaux ?
— Eh bien, soupira de plus belle l'homme à la fine moustache, tous les examens tendent à prouver que notre homme n'a toujours pas plus de 44 ans d'âge, et qu'il est en parfaite forme physique. Pour ce qui est du psychisme, c'est un peu moins brillant ; mais cela est bien évidemment la conséquence de ce qui lui arrive. N'importe qui serait un tant soit peu troublé en pareil cas.
Puis l'homme à la fine moustache s'interrompit quelques secondes avant de reprendre :
— Par contre, pour ce qui est de son équipement, c'est le trou total.
— C'est à dire ? s'enquit l'amiral.
L'homme à la fine moustache hésita encore, puis lâcha :
— Il semblerait que la matière ou même les matières le constituant, proviennent à la base de fibres, de roches, ou encore de produits de synthèse, totalement inconnus sur notre planète.
— Vous voulez dire, commença le général d'aviation avec un certain air moqueur, qu'Émile Rivet aurait...
— Je ne veux rien dire du tout ! le coupa sèchement l'homme à la fine moustache. En tout cas, il est bien certain que tout cela doit rester absolument secret. Il ne faut surtout pas ennuyer ni le président de la République, ni le Premier ministre avec ces histoires. La cellule de l'Elysée ainsi que celle de Matignon y veillent.
— Hum, fit l'amiral très dubitatif, il me semble que vous êtes plutôt optimiste.
— Optimiste ? s'étonna l'homme à la fine moustache.
— Oui, reprit l'amiral, comment voulez-vous garder secrète une pareille affaire ? Des gens vont parler, et les médias vont s'emparer de tout cela. Vous pensez bien, en été, une info de cette qualité, ils vont faire mousser au maximum.
— Ils ne feront rien mousser, car ils ne sauront rien, répliqua l'homme à la fine moustache.
— J'en doute, déclara le général d'aviation.
— Non, insista l'homme à la fine moustache. Émile Rivet va être prié de garder le silence, et il le fera, j'en suis sûr. Les deux policiers qui l'ont ramassé ont reçu des ordres de leur hiérarchie. Quant à son ancien voisin et les personnes qui occupent maintenant ce qui était sa maison, le maire de Belvédunes s'est chargé d'obtenir leur discrétion.
— À voir, fit l'homme des services de renseignement.
— Il l'obtiendra, s'obstina l'homme à la fine moustache.
— Mais, repartit le général d'armée de terre, il s'est paraît-il réveillé sur une plage où il y avait, je crois, pas mal de monde !
L'homme à la fine moustache fit un vague mouvement de la main, pour dire :
— Oh, c'était une plage naturiste. Les gens qui fréquentent ce genre d'endroit ne sont pas enclins à se mêler de ce qui ne les regarde pas. Seul les intéresse de pouvoir se prélasser nus au soleil. De plus, toujours d'après les renseignements recueillis, ils s'étaient juste un peu inquiétés en le découvrant, craignant qu'il n'ait eu un malaise.
— Mais il s'est promené... enfin, on l'a vu toute la journée dans Belvédunes, repartit l'amiral.
— Oui, mais ça n'a pas choqué quiconque, répliqua l'homme à la fine moustache. Après tout il n'avait jamais que l'aspect d'un banal motard avec sa combinaison et son casque. Même si comme je vous l'ai dit, tous deux n'ont pu être confectionnés sur la Terre.
— Bon, intervint le général d'aviation, si vraiment tout cela peut rester secret, c'est parfait... parfait pour tout le monde.
— Et que va devenir cet homme ? demanda d'un coup le général d'aviation.
— Émile Rivet ? fit l'homme à la fine moustache.
— Bien évidemment, répliqua le général d'aviation.
— Il voudrait retrouver son emploi de déménageur qu'il se sent parfaitement capable de reprendre, annonça l'homme des services secrets. Et le maire de Belvédunes s'est engagé à l'aider pour cela.
— Eh bien, qu'il redevienne un déménageur, conclut l'homme à la fine moustache. Et quant à nous, mettons un terme à cette réunion que nous oublierons, bien évidemment, sitôt sortis de cette pièce.
Tout le monde acquiesça de la tête, et l'homme à la fine moustache leva la séance.
***
"Qu'il redevienne un déménageur", avait déclaré l'homme à la fine moustache dont il n'est pas possible de divulguer l'identité. Et ce fut ce qu'Émile Rivet redevint. Le petit-fils de son employeur de 1943 qui avait repris l'entreprise familiale, cherchait justement à ce moment-là du personnel. À la demande du maire de Belvédunes, il l'embaucha, et Émile commença le travail deux jours seulement après que se fut tenue la mystérieuse réunion à Paris.
Nous étions donc à la mi-juillet, et les journaux locaux qui n'avaient pas eu vent de cette étrange affaire, n'en parlèrent absolument pas, se concentrant sur les diverses tournées d'été de cars-podium, transbahutant de plage en plage des starlettes d'émissions télévisuelles institutionnalisées, et sur les préparatifs de la fête des fleurs du mois d'août, l'un des temps forts de la saison estivale à Belvédunes.
De ce fait, on est amené à prendre en considération une nouvelle de science-fiction écrite par un certain John Wesling de Folkestone, et publiée trois mois après ces faits mystérieux dans une revue diffusée dans une petite partie du Comté du Kent.
Il s'agit a priori d'une œuvre de fiction dans le plus pur style des histoires d'anticipation des années 50/60, portant un titre absolument kitsch : Des extraterrestres dans la dune. Comme on l'a déjà dit, "l'affaire Émile Rivet" n'a pas été divulguée par la presse, et encore moins la presse britannique ; ce qui fait que John Wesling n'a pas pu en avoir connaissance, pas plus d'ailleurs que quelqu’un d'autre. Par contre, on sait que l'intéressé a l'habitude de voyager l'été avec uniquement sa bicyclette, et qu'il s'est justement rendu dans le nord-ouest de la France en juillet 2003.
À partir de tout cela, il est fort tentant de trouver dans la nouvelle, Des extraterrestres dans la dune, une explication, ou tout au moins une partie non négligeable d'explication à "l'affaire Émile Rivet".
Voici la traduction de cette nouvelle, en plus écrite à la première personne, qui commence ainsi :
(dernier épisode samedi prochain)
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19/02/2009
Polarité
Toujours plus de polars sur Vast in Black.
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17/02/2009
L'homme immobile
Il y a une trentaine d’années, j’ai passé un hiver à Avignon. J’habitais dans la vielle ville, derrière la place Pie, près de la rue de la Pyramide.
Je louais un studio dans un immeuble ancien. Et lorsque j’en sortais, je voyais toujours, se tenant immobile sous le porche de celui d’en face, un homme d’une quarantaine d’années, à la chevelure brune assez fournie, vêtu d’un manteau chiné.
Il avait une attitude pour le moins singulière. Il semblait attendre, tout en gardant les yeux rivés au sol. Il se tenait là par n’importe quel temps, et l’on eût pu croire qu’il ne quittait jamais cet endroit.
Plusieurs fois j’ai été tenté de l’aborder, mais je n’ai jamais osé. J’ai quitté Avignon à l’arrivée du printemps, et je me souviens que le jour de mon départ, l’homme étrange se tenait comme toujours à son poste.
Par la suite, j’ai souvent pensé à lui, m’interrogeant à son sujet.
Or, il se trouve que j’ai eu l’occasion de retourner à Avignon il y a un mois afin d’y accomplir une démarche. Après m’être acquitté de celle-ci, mes pas m’ont amené presque automatiquement jusqu’à la rue où j’avais vécu. J’ai tout de suite reconnu l’immeuble où j’avais séjourné, mais aussi celui d’en face.
L’homme mystérieux ne se trouvait plus devant, ce qui m’a paru presque insolite dans un premier temps. Je suis resté immobile, comme si j’attendais qu’il sorte, et se place sous le porche, les yeux fixant le macadam du trottoir. Au bout de peut-être cinq minutes, ça a été plus fort que moi ; j’ai traversé la rue, et ai poussé la porte de l’immeuble. Je suis arrivé dans une entrée où se répandait une odeur de renfermé. Et comme si quelque force étrange m’avait guidé, j’ai sonné à une porte se trouvant sur ma gauche.
Je suis alors demeuré à attendre, un peu oppressé. J’ai fini par entendre un grincement produit de toute évidence par une clé tournant dans la serrure qui avait fait son temps. La porte s’est d’abord entrouverte, puis petit à petit, est apparu le visage d’une vieille dame aux cheveux de neige.
— Ah, c’est vous, entrez donc, m’a-t-elle dit.
Sans chercher à comprendre, je me suis exécuté. Je suis entré dans une pièce parfaitement en ordre, où régnait une forte odeur d’encaustique. D’après l’ameublement, il s’agissait du séjour.
J’ai regardé la vieille dame qui était largement octogénaire, et j’ai demandé :
— Mais vous semblez me connaître ?
La vieille dame a hoché la tête.
— Bien sûr, je vous ai souvent vu sortir de l’immeuble d’en face.
Je n’en revenais pas.
— Mais cela fait au moins trente ans que j’en suis parti.
— Je sais, mais je ne vous ai pas oublié. Comme je n’ai pas oublié tous ceux qui habitent aux alentours. Après tout, il faut que je reste bien attentive, que j’observe et que j’enregistre tout. On ne sait jamais.
J’étais à la fois perdu et angoissé. Alors, comme pour m’apaiser, je suis allé droit au but :
— Au fait, le monsieur qui se tenait toujours sous le porche…
— Léon ? a fait la vieille dame.
— Heu… oui.
La vielle dame a soupiré :
— Il a disparu il y a plus de vingt ans. À mon avis, il s’est aventuré dans la rue, a quitté le porche. Il ne fallait pas, il ne fallait surtout pas !
— Mais pourquoi ?
— Parce que c’était un ordre !
— Mais un ordre de qui ?
— De ceux qui sont venus… une nuit.
— Mais de qui me parlez-vous exactement ?
— Eh bien, des créatures. Des créatures venues sans doute de très loin.
— Quand même pas d’une autre planète ! ai-je tenté de plaisanter.
La vieille dame a hoché de nouveau la tête.
— Allez donc savoir…
Puis un silence pesant s’est abattu dans la pièce, et je l’ai rompu en demandant :
— Mais, vous n’avez pas prévenu la police de la disparition de… Léon ?
La vieille dame a eu un air affolé.
— Mais vous n’y pensez pas ! Jamais on ne m’aurait cru, et j’aurais été prise pour une folle. Vous savez, lorsqu’on a vécu certains événements, il faut savoir se taire, tout garder pour soi. Sinon, on s’expose à de graves ennuis.
Puis la vieille dame m’a regardé avec une certaine compassion, et m’a dit :
— Vous n’auriez pas dû venir. Puis, je n’aurais pas dû vous ouvrir. Et surtout, je n’aurais pas dû vous parler de tout cela.
— Mais pourquoi ?
La lèvre inférieure de la vieille dame s’est mise à trembler.
— Parce qu’il risque de vous arriver ce qui est arrivé à Léon, bien sûr !
Je me suis senti blêmir. Puis j’ai décidé de prendre congé, et me suis hâté de sortir.
J’ai traversé l’entrée sentant le renfermé, et ai ouvert la porte de l’immeuble.
Alors, tout naturellement, je suis demeuré immobile sous le porche, fixant le macadam du trottoir. Je ne sais pendant combien de temps je suis resté ainsi, mais soudain, je me suis arraché à ma torpeur, et usant de toute ma volonté, j’ai décidé de traverser la rue, d’oser m’aventurer hors du porche.
Je ne puis exactement décrire ce que j’ai ressenti à ce moment-là. Enfin, si ; je dirai simplement que ça fait une sale impression de sentir son cœur s’arrêter de battre.
Patrick S. VAST - février 2009
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14/02/2009
Le spationaute (6ème épisode)
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Émile se redressa brusquement, puis presque automatiquement se mit en position assise sur le banc.
Il faisait jour, le soleil commençait à chauffer, et en face de lui il y avait deux individus coiffés d'une casquette noire, qui le regardaient durement.
En un éclair, tout lui revint en mémoire, du moins ce qui s'était passé la veille, et également le 8 juillet 1943.
— Police ! s'exclama alors l'un des deux individus à casquette, un grand mince au visage anguleux. Vous avez vos papiers ?
— Heu... non, je ne les ai pas, avoua Émile qui se les étaient fait confisquer soixante ans plus tôt par les soldats allemands venus l'arrêter.
—Vous ne les avez pas ? fit le policier, c'est très embêtant ça. Et vous habitez où ?
— 3, rue des platanes, répliqua aussitôt Émile.
Le deuxième policier, un petit rondouillard qui comme son collègue était vêtu d'un pantalon noir et d'une chemisette bleu pâle, intervint :
— Alors comme ça, vous habitez cette ville, et vous venez passer la nuit sur un banc ! Car je vous signale qu'il n'est que 6 h du matin. Apparemment, vous avez bien dormi sur ce banc ?
— Heu... oui, fit Émile qui ne pouvait rien dire de plus.
Il n'était bien sûr pas question qu'il raconte son incroyable aventure ; du moins pas maintenant. Il verrait par la suite, selon la tournure que prendraient les événements.
Les deux policiers se regardèrent, puis, comme s'il leur suffisait de communiquer par la pensée, ils hochèrent en même temps la tête, et ce fut celui au visage anguleux qui annonça :
— Bon, on va vérifier cela, vous allez nous suivre.
— D'accord, fit Émile, très coopérant.
Il se leva du banc, et suivit les deux policiers jusqu'à une voiture blanche qui était garée juste à côté.
Il prit place à l'arrière, et la voiture démarra. Émile n'eut pas besoin de les guider, ils connaissaient forcément la ville. Par contre, ce fut lui qui ne reconnut pas son quartier, ni même la rue des platanes, ces derniers ayant par ailleurs disparu. La voiture de police s'arrêta devant une maison qu'il reconnut toutefois comme étant bien celle où il avait vécu 44 ans de sa vie. Il en fut de même pour celles de ses voisins de gauche et de droite. Mais, pour ce qui était de celle de son voisin d'en face qu'il avait soupçonné en... 1943, d'être celui qui l'avait dénoncé, elle n'existait plus. À la place, il y avait un petit immeuble de trois étages. Mais ce genre d’habitation semblait avoir cours dans cette rue, et avait remplacé plusieurs des maisons d'autrefois. En sortant de la voiture de police, Émile put s'apercevoir qu'il y en avait par ailleurs quatre qui occupaient l'ancien pré où avait atterri le parachutiste anglais soixante ans plus tôt, constituant ainsi une petite résidence.
Ce ne fut donc pas sans un pincement au coeur qu'Émile poussa la barrière de sa maison, et marcha sur les dalle qui traversaient le devant agrémenté de graviers rouges, et menait jusqu'à la porte dont la sonnette n'avait pas changé malgré toutes les années écoulées.
Il appuya sur cette sonnette sous l'œil intrigué des deux policiers, sans même penser à la suite des événements qui risquaient fort d'être rocambolesques. Pour l'instant, il était trop ému par ce retour chez lui, pour seulement réfléchir au fait qu'il ne pouvait plus être accueilli qu'en parfait étranger.
Ce fut en effet le cas quand la porte s'ouvrit, et qu'apparut en robe de chambre, une femme brune et bien en chair d'une cinquantaine d'années, qui ne devait pas être réveillée depuis longtemps.
Elle regarda Émile d'un air étonné, et demanda :
— C'est pourquoi, monsieur ?
Le policier au visage anguleux intervint aussitôt.
— Ce monsieur nous a déclaré qu'il habitait ici, dit-il à la femme qui écarquilla les yeux.
— Comment ? s'étonna-t-elle. Mais je ne le connais pas. Par contre, je peux vous certifier que mon mari et moi-même avons acheté cette maison il y a trente ans.
— À qui ? s'enquit aussitôt Émile.
— Eh bien, à un certain monsieur Sajot.
— Sajot ! s'exclama Émile, mais c'était, enfin c'est le nom de mes cousins qui habitaient vers Paris. Forcément, après ma disparition, la maison a dû leur revenir.
Le policier au visage anguleux mit alors sa main sur l'épaule d'Émile.
— Bon, ça va comme ça, fit-il. Vous allez venir avec nous au poste !
Émile tenta de s'expliquer :
— Mais, mais, je suis monsieur Rivet, Émile Rivet ! s'écria-t-il.
— Rivet ? fit la femme, ah, ça me dit vaguement quelque chose ce nom... mais quoi, exactement ?
— Ne vous cassez pas la tête avec ça, madame, fit le policier au visage anguleux, monsieur va nous suivre au poste.
Désespéré, Émile s'apprêtait à obtempérer docilement, quand il entendit crier :
— Monsieur Rivet, mais c'est pas possible, c'est monsieur Rivet !
Tout le monde sursauta, et Émile vit dans la cour de la maison de droite, séparée de la sienne par un simple grillage, un vieillard d'au moins 80 ans qui se tapait le front d'incrédulité.
— Vous connaissez ce monsieur ? demanda le policier au visage anguleux.
— Mais oui, fit le vieillard. C'est monsieur Rivet. Mais... mais, monsieur Rivet, tout le monde a cru que les Allemands vous avaient fusillé en 1943. Il y a même votre nom sur le monument aux morts : "Émile Rivet, mort pour la France, fusillé par les Allemands le 8 juillet 1943". Ça a fait tout juste soixante ans hier. Mais comment êtes-vous vivant ? Et en plus avec la même tête qu'en 1943 ! Je vous ai tout de suite reconnu. Vous paraissez toujours avoir 44 ans, alors que vous en avez...
— 104, fit Émile, non sans émotion. Et au fait, si je peux me permettre, monsieur, vous êtes...
— Gilbert Vilbert, le fils de Joseph Vilbert avec qui vous étiez très ami. J'avais 22 ans en 1943. J'ai hérité de la maison de mes parents après la mort de ma mère il y a 15 ans ; mon père, lui, est mort en 1977.
— Ah oui, fit Émile en regardant le vieillard de 82 ans, voûté, perclus de rhumatisme qui lui parlait, et en essayant de se remémorer le jeune homme de 22 ans qu'il avait très bien connu en... 1943.
Les deux policiers paraissaient totalement déphasés, compte tenu des événements. Mais le grand au visage anguleux reprit assez vite en main la situation en déclarant au vieillard :
— Bon, monsieur, je crois que vous allez devoir nous accompagner également au poste.
Puis, revenant à la femme brune qui paraissait égarée, il dit :
— Vous aussi, madame, vous allez venir avec nous, pour... une simple vérification.
— Mais attendez donc que je me prépare, fit la femme brune.
Le policier secoua la tête.
— Non, madame, vu la gravité de la situation, vous pouvez venir en robe de chambre.
Comme la femme tentait de protester, le petit gros vint au secours de son collègue en déclarant :
— Oui, madame, la situation est plus que grave, elle est extrêmement grave ; alors, il vous faut venir immédiatement, si besoin en robe de chambre.
***
L'interrogatoire d'Émile, de son voisin et de la propriétaire de ce qui avait été sa maison, dura toute la matinée. Pour cela, se relayèrent tour à tour, un commissaire, deux lieutenants de police, et trois agents.
Et dès l'après-midi, il y eut une réunion dans le bureau du commissaire qui était entouré des deux lieutenants ayant participé à l'interrogatoire, avec le maire de Belvédunes à propos de l'incroyable affaire qui concernait sa commune.
— Eh bien, il ne manquait plus que cela, soupira le maire, un sexagénaire de forte corpulence, d'habitude très jovial, mais qui pour l'heure était plutôt taciturne. Quand je pense qu'il a son nom sur le monument aux morts ! Comment faire maintenant ?
— Ce n'est peut-être pas là le plus important, hasarda le commissaire, un homme frisant la cinquantaine, aux cheveux gominés et aux sourcils broussailleux. Le fait qu'il nous arrive d'un coup de 1943 après être monté dans une fusée allemande, c'est quand même quelque chose de beaucoup plus embarrassant.
Le maire haussa doucement les épaules.
— Que voulez-vous que je vous dise ? fit-il comme anéanti par mille malheurs. Il y a bien des archives à la mairie faisant état de travaux mystérieux qui auraient été entrepris par les Allemands dans ce qui était à l'époque l'usine des Dunes. Il y a bien également le témoignage de quelques personnes qui auraient justement vu le 8 juillet 1943 aux alentours de 10 h du matin, un drôle d'engin s'élever vers le ciel du côté de "Terminus". Mais à ce propos, on avait toujours pensé qu'il s'agissait de l'expérimentation d'une V1 ou même d'une V2, ces terribles engins qui ont causé bien des dégâts en Angleterre dès l'année suivante.
Le commissaire s'agaça.
— Bon, concrètement, fit-il d'une voix excédée, que comptez-vous faire ?
Le maire haussa de nouveau ses épaules.
— Je pense, souffla-t-il, qu'il faut s'en remettre à la voie hiérarchique. Prévenir le sous-préfet, qui préviendra le préfet, qui préviendra...
— Qui préviendra le ministre, coupa le commissaire, qui préviendra le Premier ministre, et ainsi de suite...
— Que voulez-vous faire d'autre ? dit le maire en haussant pour la troisième fois ses épaules.
Le commissaire acquiesça, ainsi que ses deux lieutenant .
***
Émile passa cette nuit-là au commissariat. Il avait pu prendre un repas en découvrant que la cuisine des années 2000 était en tout point semblable à celle des années 40, le rationnement en moins. À ce propos, on lui apprit que la Seconde Guerre mondiale s'était terminée en 1945, qu'il y avait eu un débarquement en Normandie et non pas dans le Nord-Pas-de-Calais en juin 1944, et que suite à cela, Belvédunes avait été libérée le 3 octobre de la même année.
On avait logé Émile le mieux qu'on l'avait pu, et au petit matin, on lui dit que l'on allait le conduire à Paris. Une automobile arriva en effet dans le milieu de la matinée, avec à son bord, deux individus qui ne lui adressèrent pratiquement pas la parole de tout le voyage. Une fois à Paris, on le conduisit d'abord dans un grand bâtiment où plusieurs personnes l'interrogèrent pendant une bonne heure, et ensuite à un hôpital où, comme en 1943, on pratiqua sur lui un tas d'examens.
Trois jours plus tard, dans un lieu secret de la capitale, se déroula une réunion qui fit se rassembler un général d'armée de terre, un général d'aviation, un amiral, un agent des services secrets, et un mystérieux individu, petit, au crâne dégarni, et à la fine moustache rousse.
Tous ces personnages étaient réunis autour d'une table rectangulaire dans une pièce austère, assez sombre, car d'épais rideaux avaient été tirés devant chaque fenêtre.
(la suite samedi prochain)
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11/02/2009
Conception d'une nouvelle
Vous avez peut-être déjà lu ma nouvelle "Le manuscrit de Walter Ashleigh". Pour savoir comment cette nouvelle a été conçue, avec photos à l'appui, cliquez ici.
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09/02/2009
Une histoire de consommation
Pouvoir d'achat, travail, emploi, que de mots qui nous tournent autour. Acheter, produire, dépenser, l'univers de rêve, la société idéale.
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