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07/10/2008

Nouvelles automnales

Ça y est, j'ai envoyé le manus de mon roaman policier. Wait and see now !

En tout cas, ce qui est concret, ce sont les deux numéros (le 8 et le 9) de Nocturne, le fanzine culte que j'ai reçus. Dans le numéro 8, il y a ma nouvelle "Le vigile" qu'une coquille a attribué à un collègue, mais bon, il y aura un erratum dans le numéro 10. Et dans le numéro 9, il y a "Le crabe". Ainsi, ce qui avait été programmé pour 2007, a vu le jour en 2008 avec la nouvelle équipe et la réorganisation du fanzine.

Et ce n'est pas tout, j'ai une autre nouvelle intitulée "Funéria" qui est programmée pour un numéro ultérieur. Ma contribution à cette revue québécoise  se monte donc à 4 textes depuis "La clinique" fin 2006.

Je ne puis que vous encourager à lire, à commander, à vous abonner à Nocturne, la revue fantastique et horrifique de nos cousins et cousines d'outre-Atlantique, et d'encourager ainsi la francophonie. Pour recueillir toute les informations utiles, veuillez cliquer ici-même.

Et rendez-vous samedi pour le deuxième épisode de "La gare temporaire" ! 

04/10/2008

La gare temporaire (1er épisode)

Il faisait un temps glacial à Dunkerque ce 28 février à 18 h 58, et la gare SNCF n'était pas particulièrement engageante ; dans un coin, quelques SDF s'efforçaient de se réchauffer et d'oublier l'hiver et leur misère, en sirotant un litron de gros rouge et en criant fort.

Marc Decool se dépêcha de traverser cet espace incertain, le TER en partance pour Arras étant à quai. Il entra en hâte dans une voiture, et s'aperçut très vite, à son grand désappointement, qu'il n'en était que le seul passager. Mais le train de 18 h 58 n'étant pas particulièrement prisé, surtout l'hiver, il ne risquait pas de trouver beaucoup plus de compagnie dans les autres voitures. Il se résigna donc à passer environ 30 minutes dans une ambiance plutôt sinistre, le temps d'arriver à Hazebrouck, sa destination. Car c'était dans cette bonne ville, sous-préfecture du département du Nord, mais surtout capitale de la Flandre intérieure, qu'habitait ce paisible employé de banque trentenaire, grand et mince, au visage chevalin agrémenté de lunettes à fines montures d'écaille, et à la coiffure caractérisée par une impeccable raie sur le côté soulignant un esprit méticuleux, à la limite du rigide.

Il plaça sa mallette ainsi qu'une poche-plastique de couleur rose sur la banquette qui lui faisait face, ôta son pardessus, qu'il plaça à côté de la poche rose après l'avoir soigneusement plié, et s'assit.

Il resta ainsi immobile, dans son costume-cravate, couvant du regard la poche rose qui était la cause de son départ tardif de Dunkerque, et donc de sa présence dans le train de 18 h 58. Par mesure de discrétion, au cas où un hypothétique voyageur serait venu le rejoindre dans la voiture, il avait tourné vers le dossier de la banquette, le côté de la poche indiquant :

Aux joies du frou-frou

Lingerie fine en tout genre

Maison fondée en 1922

Cette boutique de lingerie, très célèbre à Dunkerque, se trouvait à deux pas du Crédit Commercial des Flandres, établissement bancaire où il était affecté depuis cinq ans maintenant. Cela faisait plusieurs mois que l'idée lui trottait dans la tête de franchir un jour le pas, de pousser la porte de la boutique, et d'acheter enfin le porte-jarretelles noir et la paire de bas de même couleur qui semblaient être en exposition permanente dans la vitrine, attendant manifestement qu'il se décide à passer à l'acte. Il en avait parlé longuement au cours du week-end dernier avec sa femme Albane qui était partie prenante dans l'aventure ; et ce fut sans doute grâce aux encouragements qu'elle lui avait prodigués le matin même, qu'il avait décidé que ce serait ce 28 février, le jour J. Il avait donc attendu que tous ses collègues fussent partis de la banque, et lorsqu'il n'y eut plus dans les locaux que la femme de ménage, il s'en alla à son tour. Il était alors environ 18 h 20, la nuit commençait à tomber, et il ne disposait que de vingt minutes au plus pour mener à bien son affaire, s'il ne voulait pas rater le train de 18 h 58. Ce fut sans doute ce peu de temps dont il disposait, qui le poussa à entrer sans préambule dans la boutique de lingerie, après avoir toutefois lancé un furtif coup d'oeil aux alentours, pour s'assurer que quiconque appartenant au personnel du Crédit Commercial des Flandres, ne traînait pas dans le coin.

Une fois à l'intérieur de la boutique, tout se passa beaucoup plus facilement qu'il ne l'avait imaginé. En effet, la personne opulente qui l'accueillit, se comporta avec lui tout bonnement comme s'il se trouvait dans un magasin de bricolage, et était venu acheter une scie à métaux ou un coffret de tournevis cruciformes. Cette manière d'agir le mit tout de suite à l'aise, et ce fut donc très content de lui qu'il ressortit de la boutique dix petites minutes plus tard, avec à la main une poche-plastique rose contenant en fait une guêpière rouge vif et une paire de bas résilles de même teinte. De son projet initial, plutôt axé sur le noir, il demeurait toutefois la couleur des dentelles agrémentant la guêpière, ainsi que des jarretelles qui allaient permettre d'y attacher les bas, dont l'aspect plutôt osé l'avait fortement émoustillé.

Une sonnerie stridente annonça le départ du train, et celui-ci se mit aussitôt en branle. Marc était bien le seul passager de la voiture ; aussi lorsque quelques minutes après le départ, le contrôleur, un petit gros au crâne rasé et à l'oreille droite percée d'un anneau, traversa la voiture, il tenta d'attirer son regard, comme pour bien lui faire remarquer son état d'isolement, qui pourrait être préjudiciable si au cours des arrêts prévus jusqu'à Hazebrouck, des personnes malfaisantes venaient à monter. Mais le contrôleur qui présentait par ailleurs un aspect plutôt patibulaire, ne lui accorda qu'un regard éteint, et continua son chemin.

Marc se racla la gorge, un peu angoissé. Dehors, c'était maintenant la nuit, il faisait glacial, et comme la voiture qu'une lumière blafarde éclairait tristement, était à peine chauffée, il commença à grelotter. Non, décidément, il n'était pas bien, et il lui tardait réellement d'arriver à destination. Il était vrai qu'il avait quand même pour se requinquer la vision de la poche rose, et la perspective du fantasme qu'il allait vivre avec son épouse parfaitement complice.

Le train s'arrêta tout d'abord à Coudekerque-Branche, puis à Bergues, ville aux célèbres remparts. Ce fut là que Marc décida de sortir de sa mallette une revue, afin de faire passer le temps jusqu'à Hazebrouck.

Il leva les yeux de sa revue quand le train s'arrêta à Esquelbecq. Il venait juste de redémarrer sans avoir par ailleurs pris de nouveaux voyageurs, tout comme lors des arrêts précédents, quand Marc entendit des pas derrière lui. Il crut tout d'abord qu'il s'agissait du contrôleur peu engageant, mais bientôt passa à côté de lui un individu très grand, vêtu d'un manteau, et surtout coiffé d'un haut-de-forme. Comme on était en pleine période du carnaval de Dunkerque, cela ne surprit pas a priori Marc, qui pensa qu'il s'agissait tout simplement d'un carnavaleux rentrant chez lui par le train. Mais l'homme qui venait de se poster devant les deux portes fermant la voiture se tourna vers lui, et là, Marc put détailler son visage agrémenté d'une barbe impeccablement taillée et de deux favoris lui arrivant au bas des joues. Il émanait de cet homme quelque chose d'étrange, comme appartenant à un passé déjà lointain. Non, décidément, il ne faisait guère songer à un carnavaleux, à quelqu'un qui se serait grimé pour une fête, mais plutôt à un homme se présentant sous son aspect habituel, en paraissant évidemment pas mal décalé. Marc se demanda par ailleurs pourquoi l'homme attendait déjà l'arrêt du train, alors que le prochain était la gare d'Arnèque, à 5 bonnes minutes du précédent. L'homme avait donc le temps de rester encore un peu assis. Marc s'étonna par ailleurs de ne pas l'avoir vu monter dans la voiture après le départ de Dunkerque, car il était bien sûr qu'il ne s'y trouvait pas à ce moment-là.

Il repassait tous ces éléments dans son esprit, lorsque le train se mit d'un coup à ralentir. Il craignit fort qu'il y eût un problème sur la voie, car on n'était assurément pas encore arrivé à la gare d'Arnèque. Mais à son grand étonnement, le train s'immobilisa bientôt devant un bâtiment de briques rouges dont l'intérieur était éclairé. Marc écarquilla les yeux, se demandant où il se trouvait. Si le train était bien arrêté devant ce qui semblait être une gare, il ne s'agissait en aucun cas de celle d'Arnèque. Il la connaissait fort bien, et pouvait l'affirmer sans problème. De plus, autour de la gare d'Arnèque il y avait un tas d'habitations ; or, autour de celle devant laquelle le train était arrêté, il n'y avait rien. Il n'y avait que la mystérieuse gare  ; ensuite, c'était manifestement le désert.

Mais Marc n'était pas au bout de ses surprises, car il vit l'homme au chapeau haut-de-forme ouvrir les deux portes de la voiture en les écartant, puis descendre sur un quai qu'éclairait timidement la lumière de la gare. L'homme se mit à marcher aussitôt vers celle-ci, la buée de son haleine se mêlant à la légère brume qui commençait à monter au dehors.

L'homme venait juste d'entrer dans la gare, quand la sonnerie du train se fit entendre, et que celui-ci redémarra après que les deux portes se furent refermées automatiquement. Marc n'en revenait pas, et il attendit avec impatience d'arriver enfin à la gare d'Arnèque. Cela ne fut pas long, et il put donc en déduire qu'il existait bel et bien une gare entre Esquelbecq et Arnèque ; une gare devant laquelle, jusqu'à ce soir, il ne s'était jamais arrêté depuis 5 ans qu'il empruntait la ligne Dunkerque-Arras ; une gare qui était manifestement inconnue des guides horaires de la SNCF.

La suite samedi prochain

27/09/2008

On peut apporter son manger

C’était un petit bistrot près du canal. L’enseigne indiquait « Chez Dédé », bien que l’intéressé ne fût plus de ce monde depuis longtemps, et que l’actuel propriétaire des lieux s’appelât Bruno. C’était un établissement intemporel, comme voguant dans une dimension parallèle. La façade en briques portait les cicatrices des années passées et des intempéries, et à la fenêtre, les rideaux à petits carreaux rouges et blancs contribuaient à l’ambiance désuète que l’on pouvait rechercher dans ce genre d’endroit. C’était un décor que l’on eût cru sorti d’un film de Marcel Carné, avec comme ultime touche rétro, scotchée à la vitre, une affichette jaunie sur laquelle on s’était appliqué à écrire jadis au gros feutre noir :



ON PEUT APPORTER SON MANGER



Les clients les plus fidèles étaient comme le patron, des personnages pittoresques qu’auraient pu inventer les frères Prévert.
Il y avait le surnommé La lorgne, un clochard habillé de bric et de broc qui couchait sous les ponts, et venait se réchauffer dans le bistrot l’hiver et y chercher de l’ombre l’été ; M. Lelong qui, comme son nom l’indiquait parfaitement, était très grand et très maigre ; M. Roger, un ancien marinier toujours coiffé d’une casquette noire ; et Mme Gabrielle, une dame pipi à la retraite qui achetait ses vêtements aux puces, et traînait toujours avec elle un tas de sacs où elle enfournait ce qu’elle découvrait d’intéressant dans les poubelles.
Tout ce petit monde se retrouvait principalement le midi et le soir, pour y apporter son manger, suivant la coutume de la maison garante d’une pratique inhérente aux bistrots populaires d’antan.
Ainsi, La lorgne sortait-il son bout de baguette farcie de rondelles de saucisson qu’il mastiquait debout au comptoir en le rinçant avec deux ou trois ballons de rouge. M. Lelong amenait quant à lui son Tupperware rempli de ragoût qu’il accompagnait d’un demi pression. Pour ce qui était de M. Roger, sa bouche édentée et ses problèmes de foie le cantonnaient aux salades et à l’eau minérale. Et enfin, Mme Gabrielle, qui semblait piquer dans la nourriture de ses chats, commandait toujours un quart de blanc sec pour faire passer ses pâtés douteux.
Bruno, le patron, petit gros quinquagénaire toujours vêtu d’un marcel et d’un pantalon flottant, se mettait parfois de la partie avec un quelconque plat réchauffé au micro-ondes et un verre de Beaujolais.
À l’heure des repas, il régnait une ambiance conviviale dans le bistrot, et l’on peut même dire familiale. Si bien qu’un certain midi, chacun regarda entrer d’un œil interrogateur, presque suspicieux, une petite vieille aux cheveux blancs impeccablement permanentés, tenant un grand sac noir à la main. Celle-ci s’installa à une table entre M. Roger et Mme Gabrielle, et commanda un demi.
Bruno hocha la tête puis actionna sa pompe à bière. Quand il posa le demi sur la table de la petite vieille, cette dernière sortit de son sac un énorme sandwich qu’elle commença à manger avec gourmandise. Tout le monde la regardait et se taisait. L’ambiance n’était pas comme d’habitude ; elle était un peu lourde, tendue. Et lorsqu’il eut terminé son ragoût, M. Lelong ne se leva pas comme il avait coutume de le faire pour déclamer un poème de son cru.
On sentait qu’il fallait qu’il se passe quelque chose.
Et la nouvelle venue en prit conscience, car elle déclara soudain :
— Je m’appelle Henriette.
Voilà ce que tout le monde attendait. Un sourire apparut aussitôt sur la face ronde de Bruno, ainsi que sur la trogne rouge de La lorgne, puis sur le faciès ascétique de M. Lelong, de même que sur le visage extrêmement pâle de M. Roger, et enfin sur ce qu’il fallait bien appeler la bille de clown de Mme Gabrielle.
Henriette faisait désormais partie de la maison, de la famille, elle était acceptée, et chacun se présenta à son tour pour bien le lui signifier.
La nouvelle recrue revint le soir même, et sortit encore un énorme sandwich de son sac après avoir commandé un demi. La lorgne qui en avait déjà fini avec son propre sandwich, lui fit remarquer que ce qu’elle mangeait avait l’air sacrément bon vu le plaisir qu’elle montrait à mordre dans la baguette. Alors, pas bêcheuse pour un sou, Henriette lui proposa de lui en donner un morceau. D’abord confus, La lorgne accepta, et lorsqu’il eut à son tour mordu dans le pain, il s’exclama :
— Mais c’est drôlement délicieux ça ! C’est à quoi ?
Après avoir un peu hésité, Henriette lâcha :
— C’est au bœuf.
La lorgne hocha la tête en signe d’assentiment et répéta :
— C’est drôlement délicieux ça !
Comme Henriette n’avait pas été pingre quant au bout de sandwich qu’elle lui avait donné, il en distribua des petits morceaux à Bruno et aux autres habitués pour qu’ils puissent apprécier à leur tour. Et le verdict fut unanime : le sandwich au bœuf d’Henriette était un vrai régal.
Alors le lendemain midi, elle revint encore, et cette fois sortit de son sac six sandwichs.
— Allez-y, dit-elle, puisque vous les appréciez, c’est de bon cœur !
« Fallait pas ! » s’exclama chacun par principe, mais en se servant illico.
Bientôt on n’entendit plus qu’un bruit de mandibules en action, et même M. Roger qui avait armé ses gencives pour l’occasion, mastiqua avec conviction son sandwich. Évidemment, Henriette récidiva le soir même, mais alors que La lorgne, de loin celui qui appréciait le plus les sandwichs de la petite vieille aux cheveux blancs, venait d’avaler une bouchée, son faciès passa du rouge au cramoisi, et il recracha très vite quelque chose d’étrange qui atterrit sur le carrelage. Il se baissa aussitôt afin de déterminer de quoi il s’agissait, et tandis qu’il se redressait, bredouilla :
— Mais… mais, ma parole, c’est… c’est un œil !
Henriette afficha aussitôt un air de vieille dame indigne prise en flagrant délit de vol de plaque de chocolat par un vigile de supermarché, puis tandis que les autres répétaient le mot « œil », jusqu’à ce qu’il se mette à résonner dans tout le bistrot, elle commença à se livrer à une terrible confession.


***


Elle avait vécu pendant quarante ans avec Fernand, son tyran de mari, subissant ses brimades et son caractère de cochon. Cela aurait pu durer encore longtemps, mais allez savoir pourquoi, une semaine plus tôt, tout avait basculé en une poignée de secondes. Fernand lui avait reproché d’avoir mal fait cuire le rosbif qu’elle avait pourtant préparé avec tout son cœur comme d’habitude. C’était le genre de reproches qu’Henriette avait entendus des milliers de fois auparavant. Mais il faut croire que c’en était trop. Car soudain, mue par une impulsion des plus féroces, elle prit le grand couteau à la lame effilée qui avait servi à couper la tranche de rosbif, objet du mécontentement de Fernand, et le lui planta dans l’abdomen. Fernand se mit à pousser des cris aigus, ce qui accentua la rage d’Henriette qui ne parvint plus à se retenir de lui assener des coups de couteau. Le mari irascible en reçut une cinquantaine, peut-être même plus, jusqu’à ce qu’il se retrouve allongé sur le carrelage de la cuisine, baignant dans une flaque de sang.
Alors, Henriette prit place tranquillement à la table, et se mit à manger frénétiquement le rosbif, jusqu’à ce qu’il n’en reste plus rien.
Puis elle se dit qu’il fallait qu’elle s’occupe du mort. Et prise d’une véritable fièvre culinaire, elle le traîna malgré son poids appréciable jusqu’à la salle de bains, et le fit basculer dans la baignoire. Elle se munit ensuite de tout ce qui allait être utile à son entreprise : couteaux, hache, scie électrique et même chignole.
Et elle s’improvisa bouchère, charcutière, désosseuse, décortiqueuse, émasculeuse… j’en passe et des meilleurs.
Elle fit du pâté avec le foie, l’estomac, la cervelle et même les poumons ; des tripes avec les intestins ; puis elle prépara les muscles, la chair, la peau et tout ce qui restait de comestible après les avoir hachés, dans deux grandes marmites, suivant la recette du bœuf bourguignon.
Ainsi, tout fut prêt à être mangé, à part bien sûr ce qui composait le squelette de feu son mari dont elle allait devoir se débarrasser plus tard.
Puis elle avait commencé à consommer du Fernand seule chez elle. Mais trouvant cela un peu triste, elle avait eu l’idée de venir au bistrot « Chez Dédé », où l’on pouvait justement apporter son manger. Tout avait alors bien commencé, mais il avait fallu qu’un maudit œil fasse des siennes.



****

 


Henriette sembla épuisée lorsqu’elle eut fini de raconter sa folle aventure. Elle regarda un à un ses amis de fraîche date. Ceux-ci affichaient un air sceptique. Henriette pouvait s’attendre au pire : qu’ils appellent la police, ou encore l’asile.
Mais il faut croire que les situations extrêmes, quasiment surréalistes, déclenchent parfois des réactions en rapport, car de son comptoir, Bruno demanda le plus simplement du monde :
— Et il vous en reste encore beaucoup dans vos marmites ?
— Pas mal, répondit tranquillement Henriette.
— Eh bien, on pourrait tous s’y mettre pour en finir, suggéra banalement La lorgne.
— Oui, car après tout, même si c’était un type insupportable, il est plutôt bon à manger votre Fernand, renchérit M. Lelong.
— Ah, préparé comme vous l’avez préparé, il est même succulent ! estima M. Roger.
— Oui, ça me change de mes pâtés, ajouta Mme Gabrielle.
Alors pour conclure, Bruno tapa du poing sur son comptoir en s’exclamant :
— Allons chercher les marmites, on va se faire un sacré gueuleton, et j’offre le Beaujolais !
Aussitôt dit, aussitôt fait. Et si le patron resta dans son bistrot pour préparer les tables, Henriette qui habitait à deux pas de l’établissement, partit chez elle avec les quatre habitués, et tout ce petit monde revint bientôt dans la bonne humeur, avec deux grandes marmites et même des terrines.
Bruno s’empressa alors de fermer le bistrot, puis avec Mme Gabrielle, il finit de placer les assiettes, les couteaux et les fourchettes sur les tables qu’il avait réunies et recouvertes de nappes en papier, tandis qu’Henriette et les autres s’activaient à la cuisine pour faire réchauffer les restes de Fernand à la sauce bourguignonne.
Ce fut un véritable banquet qui eut lieu ensuite, avec les pâtés en entrée, et le contenu des marmites en plat de résistance. Le tout fut copieusement arrosé de Beaujolais, ce qui eut pour effet d’égayer les convives qui n’étaient déjà pas d’humeur morose au départ.
Lorsque toutes les assiettes furent vides, M. Lelong se leva et déclama un poème qui fut chaleureusement applaudi, puis Bruno alla chercher un électrophone qui n’avait plus servi depuis le décès de sa femme dix ans plus tôt, et des valses musettes commencèrent à résonner dans le bistrot.
Alors, rouge de plaisir, La lorgne invita Mme Gabrielle, et Bruno sollicita Henriette qui se laissa bien vite griser un peu plus par une valse endiablée.
La fête battit son plein jusqu’à minuit passé, puis ressentant une bien légitime fatigue, chacun décida alors d’y mettre un terme.
Henriette s’en alla après que Bruno eut insisté pour qu’elle laisse les marmites et les terrines chez lui en lui promettant qu’il se chargerait de la vaisselle, et elle fit un bout de chemin avec La lorgne qui refusa poliment l’hospitalité qu’elle lui offrait, pour partir rejoindre son pont attitré.
Le lendemain, la petite vieille aux cheveux blancs se leva à 8 h après avoir passé une excellente nuit. Elle avait par ailleurs très bien digéré son repas de la veille, sans même avoir bu de tisane ou ingurgité de bicarbonate de soude comme à son habitude.
À midi, elle décida bien sûr d’aller rejoindre ses nouveaux amis. Mais comme il ne restait plus rien à manger de Fernand, elle dut se rendre à la charcuterie pour acheter une tranche de jambon.
Il y avait déjà une cliente dans la boutique, et la conversation qu’elle tenait avec la charcutière l’intrigua. En effet, elle parlait d’un clochard du quartier que l’on avait retrouvé mort sous le pont où il dormait habituellement. Bien sûr, Henriette pensa tout de suite à La lorgne, et un grand trouble l’avait envahie quand la commerçante lui demanda ce qu’elle pouvait lui servir. Elle demanda sa tranche de jambon d’une voix étranglée, et ne se montra pas aussi naturelle que d’habitude, quand elle répondit à la charcutière qui l’interrogea une fois de plus à propos de son mari, que celui-ci était toujours chez sa sœur en Nouvelle-Calédonie. C’était ce qu’elle avait trouvé pour expliquer sa disparition, alors que Fernand n’avait jamais eu de sœur. Mais pour l’instant, tout cela était secondaire, et Henriette se hâta de se rendre « Chez Dédé » afin d’être rassurée sur le sort de La lorgne. Mais ce ne fut guère le cas, car elle trouva le bistrot fermé. Les pires choses se mirent à trotter dans sa tête. Et elle fut la proie de la plus grande des angoisses jusqu’aux actualités télévisées du soir, où le présentateur fit état d’une étrange affaire concernant le patron d’un bistrot ainsi que quatre habitués des lieux, qui avaient été retrouvés morts de façon mystérieuse.
Henriette crut qu’elle allait défaillir et ne put fermer l’œil de la nuit.
Au petit matin, elle se rendit chez la marchande de journaux pour acheter la gazette du jour. Ce fut dans un état second qu’elle paya son journal, et ne répondit même pas quand la commerçante lui demanda si son mari était rentré.
Une fois de retour à sa maison, elle lut le journal qui consacrait quelques lignes à l’affaire. Cela suffit amplement pour qu’elle apprenne que les victimes qui étaient bien Bruno, La lorgne, M. Lelong, M. Roger et Mme Gabrielle, étaient apparemment mortes d’une intoxication alimentaire, ce que devraient confirmer les autopsies.
Ainsi Henriette se dit que Fernand était bien un poison comme elle l’avait toujours pensé. Seulement, il l’avait tellement empoisonnée durant leurs nombreuses années de vie commune, qu’elle avait fini par être immunisée, ce qui n’était évidemment pas le cas de ses nouveaux amis.
Elle fit sa valise, se vêtit de son manteau noir à col d’astrakan, puis partit. Elle allait se rendre à la police, avouer le meurtre de Fernand, afin de s’exonérer d’une certaine manière de la mort de ceux qui avaient pour très peu de temps apporté du soleil dans son existence bien sombre. Elle avait conscience qu’il ne lui était plus utile de rester en liberté, que la vie, le quotidien, ne seraient plus supportables sans eux.
Et elle n’en fut que plus convaincue en passant devant le bistrot dont les volets étaient fermés, dissimulant ainsi tristement l’affichette jaunie sur laquelle on s’était appliqué à écrire jadis au gros feutre noir :



ON PEUT APPORTER SON MANGER

 

Patrick S. VAST - Juin 2008

23/09/2008

Réouverture prochaine !

Le manus est pratiquement prêt, l'envoi va se faire d'ici la fin de cette semaine.

Alors, on va rouvrir avec dès samedi, une petite nouvelle polar, (ambiance oblige), intitulée "On peut apporter son manger".

Et bien sûr, le 4 octobre, le 1er épisode de "La gare temporaire" sera en ligne !!!

28/08/2008

Entr'actes jusqu'au 4/10

Bon, il y a du travail en perspective avec le manus à bichonner (voir précédente note). Alors il faut faire la pause pour l'instant sur ce blog.

Mais je vous donne rendez-vous dès le samedi 4 octobre pour la mise en ligne de votre prochain feuilleton "La gare temporaire" !

 

Et en attendant, puisque je vais être dans une ambiance polar, manus oblige, eh bien je vous invite à visiter régulièrement :

 

VAST IN BLACK, mon blog polar, en cliquant ici-même.

26/08/2008

Écrire encore le mot "FIN"

Le 3 février, j’ai écrit une note intitulée « Écrire le mot "FIN" ». C’était à propos de mon roman fantastique que je venais de terminer. Ensuite il y a eu les corrections, et le 28 mars, jour de mon anniversaire, j’ai envoyé le manus par la poste au Calepin Jaune Éditions. Fin juin le verdict tombait : accepté pour publication prévue en novembre 2010.
Eh bien, vendredi dernier, j’ai encore écrit le mot FIN. Là il s’agit d’un roman policier que je compte soumettre aux éditions Ravet-Anceau, qui ont créé une collection Polars en Nord. Aurai-je la même chance qu’avec Le Calepin Jaune Éditions ? C’est ce que l’on appelle le vertige de la soumission. Enfin, moi je l’appelle ainsi. Mais bon, maintenant il y a encore un long mois de travail devant moi : re-re-relectures et corrections.
Puis ce sera le top départ pour l’éditeur.
Une autre aventure. Allez, au pire, si cette fois-ci ça ne marche pas, vous aurez droit à 36 samedis de feuilleton, soit les 36 chapitres du roman que je mettrai en ligne. En toute situation il faut un plan B, une alternative, c'est ainsi que l’on garde toujours le moral et que l’on avance.