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31/10/2007

Citrouilles martiennes

cab222bdc527750f2227a5467b406ada.jpg  Lorsque le 8 avril 2018, le vaisseau Europa se posa sur Mars, les trois membres de l’équipage eurent la très nette impression de se trouver sur un terrain spongieux. Et le capitaine Duval en fut le premier convaincu, après avoir descendu l’échelle métallique qui l’amena au milieu d’un champ de citrouilles. C’étaient en effet plusieurs exemplaires de cette cucurbitacée bien connue des Terriens, que le vaisseau avait écrasés à l’arrivée.

Mais les surprises ne faisaient que commencer. Tout d’abord, il s’avéra que l’atmosphère de la planète était parfaitement respirable, permettant ainsi de se passer de casque spatial ; ensuite, lorsque le major Dwight et le lieutenant-colonel Von Kraput eurent rejoint le capitaine Duval, tous trois virent arriver, marchant le long d’une allée qui fendait le champ, ce qui apparut très vite comme étant un Terrien, mais d’une couleur tirant sur le bleu, et muni d’une trompe en guise de nez.

— Saperlipopette ! s’exclama le capitaine, alors que l’étrange créature n’était plus qu’à quelques mètres.

— Saperlipopette ! s’exclama à son tour cette dernière. Mais c’est qu’c’est ben du français que j’viens d’entendre là !

— Mais vous comprenez et vous parlez même le français ! s’écria presque le capitaine.

Faut croire, dit la créature.

5d0ee376cf92b1925211ec4a68b0f184.gif— Mais… mais, poursuivit le capitaine, vous êtes un Martien ?

Cette question fit bien rire la créature.

— Un Martien ? Mais y a plus de Martiens ! Maintenant, cette planète est habitée par des Terrartiens !

— Des Terrartiens !

— Oui, c’est un mélange de Martiens et de Terriens.

Le capitaine se tourna vers ses deux compagnons qui avaient très bien compris ce qui se disait, et étaient de ce fait aussi sidérés que lui.

— Mais à quand remonte ce mélange ? reprit le capitaine.

La créature se gratta négligemment la trompe avant de répondre :

— Oh, à bien longtemps, à c’qui paraît.

Puis regardant alentour, le capitaine demanda :

— Et ces citrouilles, il y en a partout ?

— Partout, fit la créature.

— Alors ce sont ces citrouilles qui donnent sa couleur si caractéristique à la planète Mars !

— Sans doute.

— Mais tous les prélèvements qui ont été faits jusqu’ici sur le sol martien ne révélaient aucun fragment de citrouille !

La créature réfléchit un court instant, et dit :

— C’est vrai qui y a de ben drôles d’appareils qui sont venus gratter notre sol à c’qui paraît ; mais à chaque fois, c’était juste à côté des citrouilles. Pas étonnant qu’y n’ont pas ramené de morceaux. Allez, j’vais vous emmener à la prochaine ville, vous verrez le maire qui pourra peut-être vous en dire plus.

Après avoir quelque peu hésité, Duval, Dwight et Von Kraput suivirent le Terrartien, et arrivèrent à une ville érigée au milieu des citrouilles et constituée de bulles de verre. Ils y croisèrent moult Terrartiens et Terrartiennes de tout âge, et furent reçus par le maire.

Il ne put guère donner beaucoup d’informations aux Terriens, si ce n’est que d’après des sources très anciennes, à l’origine, la planète était peuplée de petites créatures bleues, aux membres graciles, dotées de trompes, mais aussi d’énormes oreilles et de crânes pointus. C’était le croisement avec un Terrien arrivé sur Mars il y a très longtemps, qui avait donné naissance aux Terrartiens, espèce qui n’avait hérité des Martiens que leur couleur bleue et leur trompe.

Puis le maire conduisit les trois Terriens dans une bibliothèque, et leur proposa de consulter les livres qui s’y trouvaient. D’après ses dires, les Terrartiens en étaient pour leur part totalement incapables, car la lecture ne leur était jamais apparue comme une connaissance utile.

Cette déclaration finit de surprendre les trois astronautes, mais très vite ces derniers se plongèrent dans l’étude des innombrables documents qui étaient gracieusement laissés à leur usage.

Et c’est ainsi qu’ils prirent connaissance d’un fait historique qui avait bouleversé le devenir de la planète Mars.

 

****

 

15 septembre 1493

Jehan Marsally était un croquant berrichon vivant dans sa petite maison de pierre, au milieu d’un champ de citrouilles qui faisait toute sa fierté.

Le soleil venait de se coucher ce jour-là, et Jehan se régalait d’un cuissot de chevreuil, quand une étrange luminosité se répandit soudain alentour, jusqu’à rendre totalement inutiles les bougies dont se servait le croquant pour éclairer sa demeure.

Puis, on frappa soudain à la porte. Confiant, Jehan s’écria :

— Entrez donc !

La porte s’ouvrit, et apparurent alors trois créatures, petites, de couleur bleue, aux membres graciles, au crâne pointu, et dotées d’immenses oreilles et d’une trompe en guise de nez. Leurs yeux étaient toutefois comparables à ceux des paysans du Berry, et se braquèrent sur Jehan.

Très étonné, celui-ci s’écria encore :

— Mais d’où que vous venez donc ?!

Sans rien répondre, deux des trois créatures s’approchèrent de lui, le saisirent, et l’emmenèrent sans qu’il n’ait eu seulement le loisir de poser son cuissot de chevreuil.

Dehors, il faisait clair comme en plein jour, car un engin ressemblant à ce que plusieurs siècles plus tard on appellerait « une cocotte minute », était posé au milieu des citrouilles, et diffusait une puissante lumière.

La troisième créature était restée un peu en retrait de ses deux compagnons, et tandis que ces derniers conduisaient Jehan à leur étrange appareil, elle se pencha et cueillit une superbe citrouille. Elle l’approcha alors de sa trompe, puis après avoir hésité un instant, la coinça sous son bras gracile, et courut pour vite rattraper ses compagnons et Jehan, qui entraient à l’intérieur de la « cocotte minute ».

27/09/2007

Une vie d'humain (bis)

ed3cb674a9e4c9f558d351c799b50e8c.jpgIl y a tout juste deux semaines, nous étions en plein dans le jeu lancé par l’Équipe de choc.

Il fallait écrire une nouvelle faisant suite à un passage donné.

C’est ainsi qu’est né le texte, « Une vie d’humain ». Vous l’avez découvert plein écran, et je vous propose aujourd’hui de le retrouver en PDF.

Alors, il faut que je signale que cette nouvelle était entre autres, un hommage et un clin d’œil à l’auteur de science-fiction américain, Clifford D. Simak, qui a écrit dans les années 50, le roman « Demain les 68c7b392e87fb01cfbe424f1d9139e5b.jpgchiens », ou notre avenir canin.

Simak avait sa vision, j’ai la mienne, avec une petite excursion sur la planète Canaïa, que je vous invite à visiter en cliquant ci-dessous.

une vie.pdf

15/09/2007

La jeune femme du TGV

516b157e71a3dd37730ff5f5af7ab9e9.jpgLes jeux d’écriture sont divers et variés. Alors, dans ce cadre, j’ai repris un texte que j’ai mis en ligne il y a pas mal de temps, qui s’appelle « La jeune femme du compartiment », et je l’ai transposé dans une autre époque, et évidemment un autre contexte.

Dans le premier texte, l’action se déroule en 1942, durant l’occupation allemande, et l’on assiste à la fuite d’un résistant. Dans le second, l’action se passe en 2020, et il s’agit cette fois de la fuite d’un opposant à un régime politique pas très sympathique. Alors, 21ème siècle oblige, le titre est devenu, « La jeune femme du TGV ».

Je vous invite à lire ou à relire la première histoire en cliquant ci-dessous :

compart.pdf

Puis la seconde histoire qui est une transposition de la première et en garde de ce fait pas mal d’éléments, en cliquant ci-dessous :

TGV.pdf

13/09/2007

Une vie d'humain

Aujourd’hui Mercredi 29 Août 2007, en ouvrant ma messagerie, j’y découvre un mail anonyme qui me dit la chose suivante :

« Bonjour,

Si tu crois au destin et si tu veux mettre un peu de sel dans ta vie, briser la routine, connecte-toi le Jeudi 13 Septembre 2007 à 21h00 sur le site suivant :

http://misterio13.over-blog.com

Et que l’aventure commence… »

Ma première réaction ? Cliquer, bien sûr. La journée a été épouvantable ; comme toutes les autres. Un boulot aliénant, où j’ai servi de souffre-douleur à un responsable de service hargneux. Et le retour dans le bus : horrible comme d’habitude. Et les courses au supermarché de ma rue : effroyables, comme à chaque fois que j’y mets les pieds. Quelle vie de chien ! Mais au fait, d’où peut bien venir cette expression ?

Je n’en ai de toute façon rien à faire. Pour l’instant, il y a ce message, absolument mystérieux. J’essaie de découvrir sa provenance. Impossible. Adresse standard ; de celles qui encombrent régulièrement ma messagerie ; pour m’envoyer des pubs inutiles et ineptes.

Bon, là, c’est différent, on me promet l’aventure. Est-ce que je peux connaître ça, l’aventure ?

Il faut que j’attende le mercredi 13 septembre 2007 à 21 h.

Je me résigne ; je vais patienter.

Je passe toute la soirée à me balader sur un tas de sites qui finissent par m’enfler la tête. À moins que ce ne soient mes yeux qui gonflent anormalement.

Allez, je me couche.

***

Je me réveille. La nuit n’a pas été vraiment bonne. J’ai fait un drôle de rêve ; mais je n’arrive pas à m’en souvenir. En tout cas, ce qui me revient assez vite à l’esprit, c’est le mail d’hier.

Mais maintenant je ressens une certaine crainte. Le relatif enthousiasme de la veille s’est mué en une impression de danger. Pas touche à cela ; il y en a qui n’en sont pas revenus de ce genre de sollicitation. Non, reste tranquille.

Je pars au boulot.

***

Nouvelle journée assommante. Le chef de service a été encore plus abject que d’habitude. Au fait, il s’appelle M. Legrand. Il est justement grand, costaud ; il fréquente assurément les salles de musculation.

Plusieurs fois durant la journée, il s’est posté derrière mon dos, et j’ai alors ressenti une douleur entre les omoplates

Je suis rentré le soir, et suis allé consulter ma messagerie. Rien de nouveau aujourd’hui. Mais j’ai encore été attiré par le mail qui me promet quelque chose d’exceptionnel pour le 13 septembre. J’ai failli cliquer sur le lien, et je me suis retenu juste à temps.

****

Nouveau réveil par un matin gris. Je suis sûr que cette nuit, j’ai de nouveau fait un rêve bizarre. Mais encore une fois, je ne m’en souviens pas. Ça commence à me taper sur les nerfs cette histoire de mail. Pourtant je suis certain que le 13, je ne cliquerai pas sur le lien. D’ailleurs je vais le supprimer ce maudit mail ; pour qu’il cesse de me perturber ; et que je ne me réveille plus chaque matin en essayant de me souvenir désespérément du rêve qui a hanté ma nuit.

Les jours passent ; M. Legrand est de plus en plus infect ; il me traite vraiment comme un chien ; oui, je suis véritablement son chien à cet être horrible.

Nous sommes maintenant au début septembre, et les jours s’écoulent, un à un, mais à la fois très vite.

8,9,10,11,12... Ça y est nous sommes le 13 au matin.

Il est 7 h, je suis dans ma cuisine, je prends mon petit déjeuner. Je n’ai pas encore supprimé le mail ; je le ferai ce soir, juste avant 21 h. Pas question de m’embarquer dans une sale histoire, malgré la promesse alléchante de connaître enfin le grand frisson. D’ailleurs, en parlant de frisson, ça pourrait être un frisson glacé. Qui sait si ce n’est pas un coup monté par Legrand ?

Une fois au boulot, je peux constater que celui-ci m’a préparé une journée d’enfer : tout le temps sur mon dos. J’ai mal, j’ai des crampes, au niveau des omoplates.

Avant de quitter le bureau à 17 h, je m’exclame : quelle vie de chien !

Et j’entends aussitôt le gros rire gras de Legrand. Il est content, satisfait.

Je vais manger dans un restaurant, où les serveurs me regardent de haut. Je rentre chez moi désespéré, par cette journée, par l’espèce humaine.

Alors, n’ayant plus rien à perdre, peu avant 21 h, je me poste devant mon écran, la souris en main ; et à 21 h précises, je clique sur le lien.

***

 

Apparaît aussitôt une grande étoile scintillante sur fond bleu. Mon regard est capté par celle-ci, je n’arrive plus à en détacher mes yeux. Je suis attiré, hypnotisé par l’étoile. Il y a bientôt comme un léger sifflement qui emplit mes oreilles, puis je semble somnoler. Des ombres s’agitent soudain près de moi, mais je reste tranquille, serein, confiant. Même quand elles me soulèvent de mon siège et m’emmènent, aucune crainte, aucune angoisse ne m’envahit. C’est toujours la sérénité. Bientôt, il y a comme un bourdonnement, et c’est alors que je me rappelle le fameux rêve qui a occupé mes nuits à partir du 29 août, depuis l’arrivée du mail mystérieux.

J’étais emmené par des extraterrestres dans leur vaisseau spatial. C’est certainement ce qui se passe en ce moment, mais cela ne m’empêche nullement de m’endormir paisiblement.

****

 

Quand je me réveille, je suis allongé sur une espèce de matelas en mousse, dans une pièce aux murs de métal. Je me redresse, puis me lève rapidement. Alors, c’est le choc. Je suis entouré… oui… par des chiens qui se tiennent debout ; des chiens qui portent des combinaisons d’une matière indéfinissable dont la couleur tire vaguement sur le gris.

Ils sont au nombre de quatre : un cocker, un caniche, un bulldog, et un… je ne sais pas. Je ne m’y connais pas beaucoup en chien

Le cocker s’avance vers moi, et me tend la patte. Je la lui sers, et aussitôt, il dit :

— Bienvenue sur la planète Canaïa.

Il parle, mais cela ne me perturbe pas. Je suis en plein dans mon rêve, c’était exactement ainsi que ça se passait.

Le cocker poursuit :

— Ça doit vous étonner de voir des chiens en position debout, et en plus qui parlent. Mais il est vrai nous vous y avons préparé, en vous envoyant pendant plusieurs nuits un rêve informatif. Ainsi, la surprise ne doit pas être trop importante.

Pour la première fois depuis le début de mon aventure, je n’ai plus l’impression de rêver, mais d’être au contraire dans la réalité la plus totale, et les battements de mon cœur s’accélèrent.

C’est maintenant le caniche qui prend la parole pour dire :

— Il faut que l’on vous explique certaines choses. Il y a plusieurs siècles, un vaisseau est parti de Canaïa avec cinq astronautes à son bord. Deux chiens, et trois chiennes. Or ce vaisseau est allé s’écraser sur la Terre. Les astronautes ont échappé miraculeusement à la mort. Seulement, suite au choc, leur cerveau s’est terriblement atrophié. Ils ont alors perdu la parole, et bien d’autres facultés encore, et n’ont plus été capables de se maintenir debout. Ils ont bien sûr développé de nouvelles fonctions, mais leur sort est devenu funeste. Ils n’ont plus été en quelque sorte que les obligés des humains qui ont bien profité de la situation. Mais un jour, le Grand Conseil de Canaïa a décidé de rendre justice à ces pauvres naufragés et à leurs descendants, qui eux aussi ne sont jamais redevenus des chiens à part entière, comme les habitants de cette planète.

Devant mon air ébahi, le cocker intervient de nouveau :

— Mais ne vous inquiétez pas, tout va être pour le mieux pour vous. D’après nos renseignements, sur la Terre, vous meniez une vie de chien ; eh bien, sur Canaïa, vous allez vivre une vie d’humain.

Le bulldog qui n’a rien dit encore, ouvre la porte de la pièce en me priant de sortir.

C’est alors que je subis un second choc, sans doute bien plus terrible que le premier, et que je perçois aussi tout le cynisme des propos du bulldog, ainsi d’ailleurs que du mail du 29 août.

Je me retrouve en effet en pleine rue, et sur les trottoirs, se promènent en parfaite position debout, des chiens, des chiennes et même des chiots, tous vêtus d’une combinaison grisâtre, tenant chacun en laisse, un humain entièrement nu, qui avance le plus naturellement du monde, à quatre pattes.

28/08/2007

Maxima lex, sed lex !

7707201c11655bf04d2306343074d701.jpgComme tous les mercredis à 15 h, le Haut Tribunal était réuni pour juger des affaires criminelles.

Dans la salle d’audience, étaient installés derrière leur pupitre, le Juge suprême et ses deux assesseurs, tous trois vêtus de leur toge noire et portant leur perruque blanche. Juste à côté, se tenait assis sur une chaise, l’avocat de la défense dans sa toge verte. Un peu plus loin, il y avait le box des jurés qui comprenaient deux femmes et deux hommes à l’air humble et besogneux. Et juste en face, on trouvait le box des accusés, qui pour l’instant, n’était occupé que par deux tréteaux que gardaient deux agents des forces spéciales, casqués et tenant leur arme de combat à la main. Dans le public il y avait les familles des victimes, celles des inculpés ne se déplaçant presque jamais, mais surtout des journalistes munis de caméras et de micros.

Une porte du fond s’ouvrit, et apparurent quatre individus vêtus de blanc, portant à l’épaule un cercueil de chêne.

Ils marchèrent ainsi jusqu’au box des accusés, et allèrent y déposer délicatement le cercueil sur les deux tréteaux.

Ceci fait, ils repartirent, et les deux agents des forces spéciales se montrèrent encore plus sur leur garde.

Alors, le Juge suprême frappa avec un petit maillet sur son pupitre, et annonça que le Haut Tribunal pouvait siéger.

Tout de suite, il lut l’énoncé de la première affaire. Il s’agissait d’un certain Ivan Borek, qui avait assassiné sa petite amie avec une arme à ultrasons. On avait bien évidemment affaire à un crime passionnel, comme on en connaissait encore en ce 31ème siècle.

Le Juge suprême donna la parole à l’avocat de la défense qui se leva, et proclama :

— Mon client ne peut pas être coupable, puisqu’il n’a jamais reconnu les faits !

Le Juge suprême donna un virulent coup de maillet sur son pupitre, et répliqua :

— Votre client n’a pas pu reconnaître les faits, puisque après avoir commis son crime, il a retourné son arme contre lui. Il a cru, en se suicidant, pouvoir échapper à la justice et au jugement qu’il méritait. Mais c’était oublier une loi déjà très ancienne, qui oblige tout criminel à être jugé, quelles que soient les circonstances ! Autre chose à ajouter ?

— Non, rien à ajouter, fit l’avocat de la défense, très penaud.

Puis, il se rassit, et le Juge suprême précisa que les analyses avaient conclu que c’était la même arme qui avait servi aussi bien au crime qu’au suicide. Et il déclara que de toute façon, en se suicidant, le prévenu avait signé son acte.

Les jurés furent alors invités à se retirer durant une demi-heure pour délibérer, après que le Juge suprême eut requis la peine maximale contre le prévenu.

 

***

Au bout d’une demi-heure, une sonnerie retentit, et les quatre jurés revinrent dans la salle d’audience. L’un d’eux alla porter une feuille au Juge suprême qui la lut à voix basse.

Puis après que les jurés eurent tous repris leur place, celui-ci annonça que le dénommé Ivan Borek avait été jugé entièrement responsable de son crime, qu’il ne bénéficiait d’aucune circonstance atténuante, et était de ce fait condamné à mort, la sentence devant être exécutée dans les plus brefs délais.

Les journalistes se précipitèrent aussitôt sur la famille de la victime afin de recueillir ses impressions, tandis que les quatre individus de tout à l’heure vinrent rechercher le cercueil.

Un petit quart d’heure plus tard, on put passer à l’affaire suivante.

 

***

 

Mais celle concernant Ivan Borek connut vraiment son dénouement le lendemain à 9 h, lorsque sur tous les écrans de la Nation, apparut le présentateur vedette de la télévision gouvernementale.

Celui-ci arborait comme d’habitude son sourire radieux, et après avoir affirmé que la journée serait ensoleillée, annonça qu’à 4 h précises, le cercueil du criminel Ivan Borek avait été déposé sur la chaise électrique, où on lui avait administré une décharge de 100000 volts.

Et le présentateur vedette de conclure avec toujours son légendaire sourire :

Maxima lex, sed lex !

11/08/2007

Le clown d'Amsterdam

7a3d707c8a4aea59e0abe25d442632fe.jpgLe port d’Amsterdam scintillait de ses mille lumières nocturnes sous un ciel étoilé, trop large pour une lune d’été. L’air était moite et empreint de toutes les senteurs des étals des vendeurs de beignets.

Un homme marchait parmi des assoiffés qui étaient seuls dans leur ivresse lourde.

Il portait un costume de clown ; celui du clown blanc : la veste et le pantalon bouffant en strass, le tout souligné par un visage de plâtre.

Il arriva bientôt à hauteur d’un marin à la barbe grise, une casquette noire vissée sur le crâne.

— Goedenavond ! lança celui-ci.

— Bonsoir, répondit le clown.

— Ah, vous êtes Français, fit le marin. Moi, je suis Belge. Je comprends très bien votre langue, même si je suis d’Ostende.

Tous deux s’étaient arrêtés à côté d’un bar dont la porte était ouverte, et laissait s’échapper plein pot de la musique sur le quai.

— Oh, ça, c’est Amsterdam, par David Bowie, fit le marin. Voilà qui me rappelle bien des souvenirs.

— À moi aussi, fit le clown.

Le marin plissa les yeux.

— Vraiment ? fit-il. Voilà qui m’étonne ; ce soir je n’ai presque pas bu, et avec toutes ces lumières on y voit parfaitement sur ce quai. Alors, malgré votre maquillage, et vu votre allure, je suis prêt à parier que vous n’étiez pas encore né en 1973, quand Bowie a sorti ce truc-là.

Le clown se contenta de sourire, illuminant ainsi son visage de plâtre.

— Vous m’êtes bien sympathique, déclara le marin. Venez, on va entrer dans ce bar, et je vous offre une pinte.

Le clown accepta, et ils pénétrèrent dans une véritable caverne surchauffée et enfumée, où une foule électrique de garçons et de filles transpirant à grosses gouttes dans leur cuir noir, vidaient des grands bocks de bière.

Ils s’installèrent au comptoir, juste en face d’un téléviseur fixé en hauteur, qui diffusait le clip de Bowie déclamant la complainte des hommes perdus, avec un visage fardé de couleurs vives.

À une extrémité du comptoir, il y avait un vieux marin balafré qui avait sursauté en voyant le clown. Maintenant, il gardait la tête baissée, et sa main qui tenait son bock, tremblait légèrement.

Le clown et son compagnon de rencontre commandèrent deux bières, et fixèrent le téléviseur qui soudain se brouilla. Mais cela ne gêna personne. Tous les clients baignaient dans leurs vapeurs d’alcool et de chanvre indien.

Une image en noir et blanc finit par apparaître, et un présentateur d’aspect austère annonça qu’un jeune clown avait été repêché dans les eaux du port. Sur le côté droit de l’écran, figurait ce qui était censé être la date du jour : le 13 juillet 1973.

Le marin regarda le clown d’un air ébahi, mais il y eut d’un coup un grand murmure, et un attroupement se forma près de l’endroit où se tenait le balafré.

Le marin se fraya un passage jusque-là, et sursauta quand il le vit allongé par terre, les yeux figés dans une expression de terreur. Il semblait se mourir.

Alors, instinctivement, le marin chercha le clown ; mais celui-ci avait disparu.

 

***

 

Il était dehors dans la légère brume nocturne qui avait envahi le port d’Amsterdam.

Le 12 juillet 1973, il se promenait au même endroit. Le cirque stationnait pour deux jours dans la ville. Après le spectacle, il avait eu envie de faire un tour, sans même se débarrasser de son maquillage et de sa tenue de clown, et ses pas l’avaient guidé jusqu’au port. Son destin avait croisé une bande de marins ivres qui l’avaient pris à partie. Sa vie, c’était de rire et de faire rire, même si le clown blanc doit toujours modérer l’impétuosité de l’Auguste

Les soûlards avaient bien eu envie de rire, mais à ses dépens. Ils l’avaient bousculé, puis un balafré l’avait poussé dans l’eau du port.

Il savait jongler ; faire du trapèze aussi, mais n’avait jamais eu le temps d’apprendre à nager. Il avait coulé ; s’était noyé.

On avait repêché son corps le lendemain. Comme tout cela s’était passé dans un coin isolé du port, il n’y avait pas eu de témoin ; on n’avait jamais retrouvé le coupable.

 

***

 

Le clown était triste ; il était revenu parmi les vivants pour confondre son assassin ; et n’avait fait que le conduire vers la mort. Il n’avait pas mieux agi que lui. Il lui restait à retourner vers les dimensions invisibles, en proie à un doute mélancolique. Il lui fallait repartir vers l’au-delà ; quitter son enveloppe charnelle pour toujours, pour de bon ; il valait mieux.

Sur le port, la voix de Bowie retentissait en écho au blues du clown blanc :

 

In the port of Amsterdam

There's a sailor who dies

Full of beer, full of cries


Dans le port d’Amsterdam

Il y a un marin qui meurt

Plein de bière, plein de pleurs

 

Et un clown lunaire qui marchait vers un matin diaphane.