04/11/2008
Tranches de morts
NB : mardi à 12 h, c'est une version brouillon qui a été mise par erreur en ligne. Je vous prie de m'en excuser, et vous invite à lire la version corrigée.
Février 1962
Anita avait juste 10 ans. Petite fille aux longues nattes, elle jouait avec Louis, un garçon de son âge, dans sa maison de briques où se répandaient des bribes de « L’hymne à l’amour » d’Édith Piaf. C’était sa mère, une femme brune et menue qui passait le disque. Piaf était sa chanteuse préférée. Mais elle voulait peut-être ainsi couvrir la conversation animée des hommes qui se tenaient debout dans la cuisine, buvant un rhum pour pouvoir affronter le froid glacial de cette nuit d’hiver, et aussi se donner du courage.
Ils étaient en tout quatre. Et parmi eux, Pablo, le père d’Anita, un petit homme aux cheveux bruns, ainsi que Marcel, celui de Louis, qui lui était au contraire de haute taille et très blond. Tous les quatre étaient trentenaires, et travaillaient comme ouvriers à l’usine métallurgique qui faisait vivre la plupart des familles du village, et même des communes alentour.
Et en ce samedi soir, s’ils s’étaient retrouvés, c’était pour aller coller des affiches. Tous syndiqués et membres du PC, ils militaient pour l’indépendance de l’Algérie. Quinze jours plus tôt, des manifestants étaient morts à la station de métro Charonne à Paris. Or, dans les environs du village, fleurissait depuis quelque temps le sigle OAS, celui des ultras de l’Algérie française contre lesquels les morts de Charonne avaient manifesté.
Les quatre copains avaient décidé de leur rendre hommage en collant des affiches appelant à la lutte contre le fascisme.
Bientôt, ils quittèrent la maison, et montèrent à bord de la 2 CV que Marcel avait achetée avec ses économies. Ils avaient chargé à l’intérieur tout ce qui leur fallait pour leur expédition : des affiches, de la colle, des pinceaux, et un pot de peinture noire.
Anita ne les vit pas partir ; elle était toujours en train de jouer avec Louis.
Tout d’abord, les quatre militants allèrent couvrir les murs de la pissotière près de l’église, qui constituait un véritable point stratégique. Tous les hommes qui s’y rendaient, ne manquaient jamais de lire ce qui y était affiché en permanence. Puis, ils quittèrent très vite le village. Ils roulèrent pendant environ deux kilomètres, et commencèrent à coller des affiches sur les arbres bordant la départementale. L’ambiance était plutôt joyeuse ; leur appréhension du début s’était vite estompée, et ils avaient un peu l’impression d’être en train de coller des affiches pour le bal de la Saint Éloi, le patron des métallos, qui avait lieu chaque année à la salle des fêtes du village.
Ce fut Marcel qui eut l’idée de pousser jusqu’au transformateur situé un peu plus loin. C’était un gros bloc de béton, sur lequel il serait défoulant d’écrire en grand à la peinture noire : PAIX EN ALGÉRIE ! En passant sur la départementale, on ne pourrait que voir l’inscription. Alors les quatre copains remontèrent dans la 2CV, et mirent le cap sur le transformateur. Ce fut Pablo qui fut choisi pour inscrire le slogan. Il était connu pour avoir une belle écriture ; cette tâche lui revenait de plein droit.
Il voulut se montrer digne de la confiance qu’on lui témoignait, mais aussi de l’importance de sa mission, en prenant tout son temps, en s’appliquant au mieux. Les trois autres suivaient la progression des lettres sur le mur gris du transformateur, qu’éclairait la pleine lune. Ils étaient presque aussi concentrés que Pablo, si bien que pas plus que lui, ils n’entendirent arriver une voiture.
C’était une DS noire, qui roulait tous feux éteints. Lorsqu’elle fut à leur hauteur, Marcel se retourna brusquement. Il eut juste le temps d’apercevoir le canon d’une arme qui passait par une vitre baissée. Il y eut trois coups de feu successifs. Au deuxième, Pablo avait poussé un cri, et au troisième il s’écroula dans l’herbe qui bordait la route. Marcel s’agenouilla, puis l’attrapa par les épaules pour le mettre en position assise. Mais ce n’était qu’un geste dérisoire, qui ne pouvait en rien changer le cours des événements. Pablo était mort, assassiné.
***
Par la suite, Anita oublia comment s’était passé le retour de son père à la maison. Elle ne devait se souvenir que du jour de l’enterrement. Tout le village y était, et au cimetière, M. Séraphin Lavinant-Drouet, le directeur de l’usine métallurgique, fit une apparition. Il était accompagné de son fils Paul, âgé de dix ans comme Anita et Louis. Celui-ci était vêtu d’un pardessus et portait une cravate. Il était déjà dans la peau du futur directeur d’usine qu’il ne pouvait que devenir. Il avait une bouille toute ronde, qui agaça Anita lorsqu’il la regarda avec apparemment toute l’indifférence du monde.
Son père n’avait pas tenté de faire un discours, comme il s’y employait d’habitude lorsque décédait un membre du personnel de son usine. Cet ancien collabo notoire, fervent disciple du régime de Vichy qui avait échappé mystérieusement à l’épuration en 1944, était connu pour être un partisan de l’Algérie française, et des bruits couraient même sur sa participation au financement de certains réseaux OAS.
En tout cas, personne ne vint l’ennuyer au cours de l’enquête bâclée qui eut lieu pour « tenter » de retrouver les assassins de Pablo.
***
Février 1972
Anita n’écouta pas jusqu’au bout le dernier disque du Pink Floyd qui tournait sur son électrophone en plastique, et sortit rapidement de sa maison. On avait annoncé que des gros bras étaient entrés en force dans l’usine métallurgique en grève et occupée depuis huit jours. Louis faisait partie des grévistes. Il avait été embauché à l’usine à seize ans, en janvier 1968, pour pouvoir continuer à vivre au pays, et avait récemment demandé Anita en mariage. Mais celle-ci ne l’entendait pas ainsi. Elle voulait quitter le village, que Louis laisse tomber l’usine des Lavinant-Drouet. Elle avait trouvé une annonce dans le mensuel Actuel, à propos d’une communauté dans les Cévennes qui était prête à accueillir encore deux couples. C’était le rêve d’Anita. Vivre dans la marginalité, quitter le système qui avait assassiné son père dix ans plus tôt. Elle voulait convaincre Louis, en lui répétant sans cesse qu’en mai 68, tout ce qui avait été obtenu, ce n’était que des broutilles : un peu de fric en plus et de menus avantages, mais pas un idéal de vie. À l’usine, les cadences infernales, le travail aliénant, tout cela avait continué. La seule solution, c’était de tout plaquer, pour une autre forme d’existence. Mais jusqu’à ce jour, Louis n’avait guère rejoint son point de vue. Il croyait encore à la lutte des classes, à l’idéal révolutionnaire. Et s’il avait quitté le PC encore cher à son père, car il l’estimait trop compromis, il s’était coulé volontiers dans la mouvance gauchiste qui était en pleine expansion en ce début des années soixante-dix. Puis, comme argument, il disait à Anita qu’elle ne pouvait quand même pas abandonner sa mère qui ne supporterait pas de la perdre après avoir dû faire le deuil de son mari ; qu’il lui suffisait de se faire engager comme secrétaire à l’usine ; que l’on en recherchait justement une.
Cela avait pour effet de plonger Anita dans une profonde colère.
Elle traversa le village vêtue d’une parka kaki et d’un jean à pattes d’eph’, ses longs cheveux bruns se soulevant et retombant sur ses épaules.
Elle arriva juste aux grilles de l’usine, quand une quinzaine d’individus habillés de cuir, le visage dissimulé par une cagoule noire, et tenant chacun une barre de fer à la main, en sortaient en courant. Ils s’engouffrèrent tous dans un trafic blanc garé à proximité, et démarrèrent en trombe.
Anita entra dans la cour de l’usine avec le cœur qui battait à se rompre. Elle vit tout de suite un attroupement et perçut un murmure qui allait en s’amplifiant. Elle prévoyait le pire, et put se rendre compte que sa prémonition n’était pas vaine quand elle découvrit au milieu d’un cercle d’ouvriers aux yeux hagards, Marcel accroupi, tenant dans ses bras son fils Louis dont le visage était maculé de sang.
Anita se figea, tandis que Marcel la fixait les lèvres tremblantes. Une immense détresse pouvait se lire dans ses yeux d’un bleu très pâle ; et une effroyable haine marquait son visage émacié.
Il finit par réussir à dire :
— Il a voulu nous défendre, mais ces salauds de fascistes l’ont massacré à coup de barre de fer.
Anita hocha gravement la tête. Elle était partagée entre deux sentiments aussi puissants que contradictoires : un sentiment de douloureuse tristesse, et un autre de terrible colère envers Louis qui ne l’avait pas écoutée, n’avait pas voulu suivre ses conseils.
Cette fois, Séraphin Lavinant-Drouet s’abstint de paraître aux obsèques en compagnie de son fils qui était devenu son bras droit, avant d’être officiellement le seul maître de l’usine.
En bon fils de son père, il avait épousé ses idées d’extrême droite, et fondé le PNC, (Parti Nationaliste de Combat). Ce qui fait que dans les environs, des croix celtiques fraîchement peintes, avaient remplacé les sigles OAS à moitié effacés par le temps et les intempéries. Beaucoup pensèrent que les briseurs de grève qui avaient assassiné Louis étaient des militants de ce mouvement. Alors, peu de temps après le drame, le préfet du département ordonna la dissolution du PNC. Quelques-uns de ses membres furent interrogés par les gendarmes, mais l’on ne retint rien contre eux. Quant à Paul Lavinant-Drouet, personne n’avait seulement songé à venir l’importuner, vu qu’il était celui qui allait continuer la noble mission de fournir leur pain quotidien aux travailleurs du canton.
En revenant à pied du cimetière, Anita l’avait vu dans le centre du village. Il sortait du bar-tabac, et allait rentrer dans sa Porsche. Leurs regards s’étaient croisés, et elle y avait lu une certaine ironie.
****
Février 1982
Plus de sept années s’étaient écoulées depuis le début de la crise économique et la montée du chômage. L’usine métallurgique n’avait pas échappé à la fin des « trente glorieuses », et son directeur avait licencié bon nombre de ses ouvriers. Et ceux qui n’avaient pas encore reçu leur billet de sortie, se retrouvaient donc plus que jamais inféodés à celui que tout le monde appelait, Monsieur Paul, qui avait pris en 1978, la relève de son père diminué par la maladie.
En ce jour froid d’hiver, Anita quitta sa maison de briques ; plus rien ne la retenait au village où elle avait vécu deux drames sanglants. Sa mère était décédée six mois plus tôt, alors elle pouvait partir. Elle avait retrouvé l’annonce qu’elle avait découpée dans Actuel dix ans auparavant, et écrit à l’adresse indiquée sans trop y croire. Moins de huit jours plus tard, elle avait reçu une réponse inespérée : il y avait une place pour elle dans la communauté qui existait toujours.
Elle partit chaudement vêtue, avec une petite valise à la main. Elle allait prendre la micheline de 15 h, ce qui lui laissait juste le temps de régler ses comptes.
Elle se dirigea vers le cimetière du village. Séraphin Lavinant-Drouet avait fini par rendre l’âme, et à cette même heure, on devait l’inhumer dans le caveau familial.
Anita vit tout de suite une foule rassemblée, à peine eut-elle franchi la grille du cimetière. C’était un groupe hétérogène où se mêlaient des notables, des ouvriers de l’usine, le curé et deux enfants de cœur ; mais tous paraissaient gris, tristes comme le ciel qui semblait prêt à lâcher des tonnes de flocons sales.
Le préfet dans son uniforme achevait juste son discours en clamant :
— Nous n’oublierons jamais celui qui a amené la prospérité à cette commune, et…
— Et a fait assassiner mon père Pablo, et Louis, celui qui n’a jamais voulu m’écouter ! le coupa Anita.
Tout le monde se retourna vers elle, et l’on entendit un murmure de réprobation.
Alors, Anita lâcha :
— Allez au diable !
Puis elle tourna les talons et partit avant de se faire lyncher.
Une fois sortie du cimetière, elle vit tout de suite la vieille 2CV de Marcel garée près de la grille. Marcel se tenait avec peine à sa portière ouverte. Il était pathétique dans son extrême maigreur ; flottant dans son bourgeron d’un bleu délavé. Le cancer le rongeait et ses jours étaient comptés. Il adressa un petit sourire à Anita. C’était sa façon de lui souhaiter bon voyage et de lui dire adieu.
Anita ressentit un pincement au cœur ; mais elle n’avait plus de temps à perdre. Elle arriva vite à la gare, et acheta son billet à un jeune gars à l’accent marseillais qui débutait sa carrière dans ce coin perdu qu’Anita ne voulait plus voir.
Elle se rendit ensuite sur le quai pour attendre la micheline qui ne devait pas tarder.
Elle posa sa valise et laissa errer son regard sur les rails. Elles symbolisaient son départ, sa fuite vers une nouvelle vie. Elle commençait petit à petit à se déconnecter de l’instant présent, mais y revint soudainement quand elle eut l’impression d’une présence tout près d’elle.
Elle ne s’était pas trompée, il y avait bien quelqu’un : Paul Lavinant-Drouet, dans son costume de deuil, tenant fermement un pistolet dans sa main droite. Il avait perdu depuis longtemps sa bouille ronde. Son visage était allongé, creux ; et une calvitie déjà prononcée pour ses 30 ans, lui donnait un aspect d’enfant gâté vieilli trop vite. Dans son regard, Anita ne pouvait y voir cette fois de l’indifférence ou de l’ironie, mais de la haine, une haine farouche.
— Vous êtes contente de votre numéro ? fit-il d’une voix tremblante de colère.
Anita voulut crâner.
— Vous allez me tuer vous-même ? fit-elle ; quel honneur ! Je ne devrai pas me contenter des hommes de main de la famille Lavinant-Drouet, comme mon père et Louis ?
— Taisez-vous ! ordonna celui qui la tenait en joue avec son pistolet.
Il était prêt à tirer ; Anita en avait la certitude. Mais elle demeura les yeux bien plantés dans les siens, voulant le défier jusqu’à l’ultime instant. C’est ainsi qu’elle vit un éclair d’effroi y passer quand un coup de feu retentit. Aussitôt, il s’affaissa sur le quai, et Anita regarda instinctivement vers la clôture de protection qui le longeait.
Marcel se tenait derrière avec son fusil de chasse à la main.
L’employé à l’accent marseillais arriva sur le quai, et se mit à bégayer en voyant le cadavre de Paul Lavinant-Drouet. Alors, Anita fut gagnée par une sourde angoisse. Il allait appeler les gendarmes, la micheline risquait d’être bloquée. Elle s’imagina restant au village, ratant sa sortie, son départ vers la vie ; enchaînée à ces tranches de morts qui avaient accompagné ses trente années d’existence dans ce lieu d’où elle voulait s’arracher.
Elle s’efforça de bâtir par la pensée un futur de soleil, de lumière, de perpétuel été ; mais comme pour la contrarier, des flocons sales se mirent d’un coup à tomber abondamment.
Patrick S. VAST - Avril 2008
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28/10/2008
La plage
C’était il y a une trentaine d’années, une nuit du mois d’août. Il faisait très doux ; un temps à rester dehors jusqu’au petit matin. Sur la plage située au bout de plusieurs rangées de cerisiers et bordant l’Ardèche, quelques petits groupes de noctambules étaient rassemblés. Assis sur le sable, chacun y allait de sa plaisanterie, de son anecdote. L’ambiance était conviviale, détendue.
Ce devait être le premier quartier de lune. En tout cas, le ciel était étoilé.
Et justement, d’un coup, cette luminosité aoûtienne se ternit. Il fit beaucoup plus sombre, et les voix devinrent moins sonores. On se mit à parler avec une certaine retenue.
Il flottait maintenant dans l’air comme un sentiment de crainte ; irraisonnable, irraisonné ; c’était palpable. Oui, quelque chose d’étrange se produisait, même si quiconque présent sur la plage eût été incapable de définir de quoi il s’agissait exactement.
Bientôt un groupe se leva et quitta la plage sans rien dire, puis un second et ainsi de suite.
Le lendemain, c’était plein soleil sur le sable rempli d’estivants, tandis que des baigneurs s’ébattaient dans l’Ardèche.
Parmi eux, j’en reconnus quelques-uns qui se trouvaient là au cours de la nuit, quand l’étrange phénomène s’était produit.
On ne retrouva pas de cadavre dans les parages, pourtant il était certain que la mort avait rôdé pendant quelques instants, jusqu’à pousser les vivants plus loin, vers leur lit. Oui, il s’était passé quelque chose.
Et le plus troublant, c’est que je ne saurai sans doute jamais quoi.
Patrick S. VAST - Octobre 2008
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21/10/2008
L'infirmière en blouse noire
Daphné virevoltait, s’amusait, s’égayait, sous l’œil hilare et bienveillant de Pierrot lunaire. Et tandis qu’elle s’ébattait, Ombre furtive, sauvageonne inéluctable fuyait sous le canapé pour s’y cacher comme à l’approche de mille péripéties.
Mais un jour Daphné fut prise de lassitude, de langueur. Une insidieuse fièvre la força à s’allonger sur le canapé et à y rester dans une attitude inquiétante.
Pierrot lunaire ne trouvait plus le jeu drôle et prit ses distances avec un brin de suspicion. Il monta sur le buffet, et ignorant presque Daphné, ou alors ne consentant à la voir que d’un œil interrogateur, il se lécha, fit sa toilette avec toute l’attention féline appropriée.
Mais ce fut alors qu’Ombre furtive sortit de dessous le canapé où elle avait décidément établi ses quartiers, et s’en vint rejoindre Daphné assoupie. Celle-ci fut doucement réveillée par un ronronnement magnétique, et sa main brûlante s’en vint toucher le poil noir et soyeux d’Ombre furtive, qui bientôt entreprit un massage du bout de ses coussinets, comme pour communiquer moult vigueurs à sa maîtresse affaiblie.
Cette dernière recouvra petit à petit ses forces, bercée par le ronronnement apaisant de l’infirmière en blouse noire, qui ne se retira que lorsque Daphné fut de nouveau debout, prête à oublier son passage à vide.
À partir de ce jour, Ombre furtive resta proche et câline, jetant de temps en temps un coup d’œil à Pierrot lunaire qui toilettait sa fourrure blanche, dans la vigueur du jour sur lequel elle veillait.
Patrick S. VAST - Octobre 2008
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14/10/2008
Une histoire de naufragés
Je vous renvoie à une note du 27/05/2007 et à une histoire de naufragés. Une sorte de gothique maritime que je vous invite à découvrir ou à redécouvrir encliquant ici.
11:04 Publié dans Mes nouvelles en ligne | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook
27/09/2008
On peut apporter son manger
C’était un petit bistrot près du canal. L’enseigne indiquait « Chez Dédé », bien que l’intéressé ne fût plus de ce monde depuis longtemps, et que l’actuel propriétaire des lieux s’appelât Bruno. C’était un établissement intemporel, comme voguant dans une dimension parallèle. La façade en briques portait les cicatrices des années passées et des intempéries, et à la fenêtre, les rideaux à petits carreaux rouges et blancs contribuaient à l’ambiance désuète que l’on pouvait rechercher dans ce genre d’endroit. C’était un décor que l’on eût cru sorti d’un film de Marcel Carné, avec comme ultime touche rétro, scotchée à la vitre, une affichette jaunie sur laquelle on s’était appliqué à écrire jadis au gros feutre noir :
ON PEUT APPORTER SON MANGER
Les clients les plus fidèles étaient comme le patron, des personnages pittoresques qu’auraient pu inventer les frères Prévert.
Il y avait le surnommé La lorgne, un clochard habillé de bric et de broc qui couchait sous les ponts, et venait se réchauffer dans le bistrot l’hiver et y chercher de l’ombre l’été ; M. Lelong qui, comme son nom l’indiquait parfaitement, était très grand et très maigre ; M. Roger, un ancien marinier toujours coiffé d’une casquette noire ; et Mme Gabrielle, une dame pipi à la retraite qui achetait ses vêtements aux puces, et traînait toujours avec elle un tas de sacs où elle enfournait ce qu’elle découvrait d’intéressant dans les poubelles.
Tout ce petit monde se retrouvait principalement le midi et le soir, pour y apporter son manger, suivant la coutume de la maison garante d’une pratique inhérente aux bistrots populaires d’antan.
Ainsi, La lorgne sortait-il son bout de baguette farcie de rondelles de saucisson qu’il mastiquait debout au comptoir en le rinçant avec deux ou trois ballons de rouge. M. Lelong amenait quant à lui son Tupperware rempli de ragoût qu’il accompagnait d’un demi pression. Pour ce qui était de M. Roger, sa bouche édentée et ses problèmes de foie le cantonnaient aux salades et à l’eau minérale. Et enfin, Mme Gabrielle, qui semblait piquer dans la nourriture de ses chats, commandait toujours un quart de blanc sec pour faire passer ses pâtés douteux.
Bruno, le patron, petit gros quinquagénaire toujours vêtu d’un marcel et d’un pantalon flottant, se mettait parfois de la partie avec un quelconque plat réchauffé au micro-ondes et un verre de Beaujolais.
À l’heure des repas, il régnait une ambiance conviviale dans le bistrot, et l’on peut même dire familiale. Si bien qu’un certain midi, chacun regarda entrer d’un œil interrogateur, presque suspicieux, une petite vieille aux cheveux blancs impeccablement permanentés, tenant un grand sac noir à la main. Celle-ci s’installa à une table entre M. Roger et Mme Gabrielle, et commanda un demi.
Bruno hocha la tête puis actionna sa pompe à bière. Quand il posa le demi sur la table de la petite vieille, cette dernière sortit de son sac un énorme sandwich qu’elle commença à manger avec gourmandise. Tout le monde la regardait et se taisait. L’ambiance n’était pas comme d’habitude ; elle était un peu lourde, tendue. Et lorsqu’il eut terminé son ragoût, M. Lelong ne se leva pas comme il avait coutume de le faire pour déclamer un poème de son cru.
On sentait qu’il fallait qu’il se passe quelque chose.
Et la nouvelle venue en prit conscience, car elle déclara soudain :
— Je m’appelle Henriette.
Voilà ce que tout le monde attendait. Un sourire apparut aussitôt sur la face ronde de Bruno, ainsi que sur la trogne rouge de La lorgne, puis sur le faciès ascétique de M. Lelong, de même que sur le visage extrêmement pâle de M. Roger, et enfin sur ce qu’il fallait bien appeler la bille de clown de Mme Gabrielle.
Henriette faisait désormais partie de la maison, de la famille, elle était acceptée, et chacun se présenta à son tour pour bien le lui signifier.
La nouvelle recrue revint le soir même, et sortit encore un énorme sandwich de son sac après avoir commandé un demi. La lorgne qui en avait déjà fini avec son propre sandwich, lui fit remarquer que ce qu’elle mangeait avait l’air sacrément bon vu le plaisir qu’elle montrait à mordre dans la baguette. Alors, pas bêcheuse pour un sou, Henriette lui proposa de lui en donner un morceau. D’abord confus, La lorgne accepta, et lorsqu’il eut à son tour mordu dans le pain, il s’exclama :
— Mais c’est drôlement délicieux ça ! C’est à quoi ?
Après avoir un peu hésité, Henriette lâcha :
— C’est au bœuf.
La lorgne hocha la tête en signe d’assentiment et répéta :
— C’est drôlement délicieux ça !
Comme Henriette n’avait pas été pingre quant au bout de sandwich qu’elle lui avait donné, il en distribua des petits morceaux à Bruno et aux autres habitués pour qu’ils puissent apprécier à leur tour. Et le verdict fut unanime : le sandwich au bœuf d’Henriette était un vrai régal.
Alors le lendemain midi, elle revint encore, et cette fois sortit de son sac six sandwichs.
— Allez-y, dit-elle, puisque vous les appréciez, c’est de bon cœur !
« Fallait pas ! » s’exclama chacun par principe, mais en se servant illico.
Bientôt on n’entendit plus qu’un bruit de mandibules en action, et même M. Roger qui avait armé ses gencives pour l’occasion, mastiqua avec conviction son sandwich. Évidemment, Henriette récidiva le soir même, mais alors que La lorgne, de loin celui qui appréciait le plus les sandwichs de la petite vieille aux cheveux blancs, venait d’avaler une bouchée, son faciès passa du rouge au cramoisi, et il recracha très vite quelque chose d’étrange qui atterrit sur le carrelage. Il se baissa aussitôt afin de déterminer de quoi il s’agissait, et tandis qu’il se redressait, bredouilla :
— Mais… mais, ma parole, c’est… c’est un œil !
Henriette afficha aussitôt un air de vieille dame indigne prise en flagrant délit de vol de plaque de chocolat par un vigile de supermarché, puis tandis que les autres répétaient le mot « œil », jusqu’à ce qu’il se mette à résonner dans tout le bistrot, elle commença à se livrer à une terrible confession.
***
Elle avait vécu pendant quarante ans avec Fernand, son tyran de mari, subissant ses brimades et son caractère de cochon. Cela aurait pu durer encore longtemps, mais allez savoir pourquoi, une semaine plus tôt, tout avait basculé en une poignée de secondes. Fernand lui avait reproché d’avoir mal fait cuire le rosbif qu’elle avait pourtant préparé avec tout son cœur comme d’habitude. C’était le genre de reproches qu’Henriette avait entendus des milliers de fois auparavant. Mais il faut croire que c’en était trop. Car soudain, mue par une impulsion des plus féroces, elle prit le grand couteau à la lame effilée qui avait servi à couper la tranche de rosbif, objet du mécontentement de Fernand, et le lui planta dans l’abdomen. Fernand se mit à pousser des cris aigus, ce qui accentua la rage d’Henriette qui ne parvint plus à se retenir de lui assener des coups de couteau. Le mari irascible en reçut une cinquantaine, peut-être même plus, jusqu’à ce qu’il se retrouve allongé sur le carrelage de la cuisine, baignant dans une flaque de sang.
Alors, Henriette prit place tranquillement à la table, et se mit à manger frénétiquement le rosbif, jusqu’à ce qu’il n’en reste plus rien.
Puis elle se dit qu’il fallait qu’elle s’occupe du mort. Et prise d’une véritable fièvre culinaire, elle le traîna malgré son poids appréciable jusqu’à la salle de bains, et le fit basculer dans la baignoire. Elle se munit ensuite de tout ce qui allait être utile à son entreprise : couteaux, hache, scie électrique et même chignole.
Et elle s’improvisa bouchère, charcutière, désosseuse, décortiqueuse, émasculeuse… j’en passe et des meilleurs.
Elle fit du pâté avec le foie, l’estomac, la cervelle et même les poumons ; des tripes avec les intestins ; puis elle prépara les muscles, la chair, la peau et tout ce qui restait de comestible après les avoir hachés, dans deux grandes marmites, suivant la recette du bœuf bourguignon.
Ainsi, tout fut prêt à être mangé, à part bien sûr ce qui composait le squelette de feu son mari dont elle allait devoir se débarrasser plus tard.
Puis elle avait commencé à consommer du Fernand seule chez elle. Mais trouvant cela un peu triste, elle avait eu l’idée de venir au bistrot « Chez Dédé », où l’on pouvait justement apporter son manger. Tout avait alors bien commencé, mais il avait fallu qu’un maudit œil fasse des siennes.
****
Henriette sembla épuisée lorsqu’elle eut fini de raconter sa folle aventure. Elle regarda un à un ses amis de fraîche date. Ceux-ci affichaient un air sceptique. Henriette pouvait s’attendre au pire : qu’ils appellent la police, ou encore l’asile.
Mais il faut croire que les situations extrêmes, quasiment surréalistes, déclenchent parfois des réactions en rapport, car de son comptoir, Bruno demanda le plus simplement du monde :
— Et il vous en reste encore beaucoup dans vos marmites ?
— Pas mal, répondit tranquillement Henriette.
— Eh bien, on pourrait tous s’y mettre pour en finir, suggéra banalement La lorgne.
— Oui, car après tout, même si c’était un type insupportable, il est plutôt bon à manger votre Fernand, renchérit M. Lelong.
— Ah, préparé comme vous l’avez préparé, il est même succulent ! estima M. Roger.
— Oui, ça me change de mes pâtés, ajouta Mme Gabrielle.
Alors pour conclure, Bruno tapa du poing sur son comptoir en s’exclamant :
— Allons chercher les marmites, on va se faire un sacré gueuleton, et j’offre le Beaujolais !
Aussitôt dit, aussitôt fait. Et si le patron resta dans son bistrot pour préparer les tables, Henriette qui habitait à deux pas de l’établissement, partit chez elle avec les quatre habitués, et tout ce petit monde revint bientôt dans la bonne humeur, avec deux grandes marmites et même des terrines.
Bruno s’empressa alors de fermer le bistrot, puis avec Mme Gabrielle, il finit de placer les assiettes, les couteaux et les fourchettes sur les tables qu’il avait réunies et recouvertes de nappes en papier, tandis qu’Henriette et les autres s’activaient à la cuisine pour faire réchauffer les restes de Fernand à la sauce bourguignonne.
Ce fut un véritable banquet qui eut lieu ensuite, avec les pâtés en entrée, et le contenu des marmites en plat de résistance. Le tout fut copieusement arrosé de Beaujolais, ce qui eut pour effet d’égayer les convives qui n’étaient déjà pas d’humeur morose au départ.
Lorsque toutes les assiettes furent vides, M. Lelong se leva et déclama un poème qui fut chaleureusement applaudi, puis Bruno alla chercher un électrophone qui n’avait plus servi depuis le décès de sa femme dix ans plus tôt, et des valses musettes commencèrent à résonner dans le bistrot.
Alors, rouge de plaisir, La lorgne invita Mme Gabrielle, et Bruno sollicita Henriette qui se laissa bien vite griser un peu plus par une valse endiablée.
La fête battit son plein jusqu’à minuit passé, puis ressentant une bien légitime fatigue, chacun décida alors d’y mettre un terme.
Henriette s’en alla après que Bruno eut insisté pour qu’elle laisse les marmites et les terrines chez lui en lui promettant qu’il se chargerait de la vaisselle, et elle fit un bout de chemin avec La lorgne qui refusa poliment l’hospitalité qu’elle lui offrait, pour partir rejoindre son pont attitré.
Le lendemain, la petite vieille aux cheveux blancs se leva à 8 h après avoir passé une excellente nuit. Elle avait par ailleurs très bien digéré son repas de la veille, sans même avoir bu de tisane ou ingurgité de bicarbonate de soude comme à son habitude.
À midi, elle décida bien sûr d’aller rejoindre ses nouveaux amis. Mais comme il ne restait plus rien à manger de Fernand, elle dut se rendre à la charcuterie pour acheter une tranche de jambon.
Il y avait déjà une cliente dans la boutique, et la conversation qu’elle tenait avec la charcutière l’intrigua. En effet, elle parlait d’un clochard du quartier que l’on avait retrouvé mort sous le pont où il dormait habituellement. Bien sûr, Henriette pensa tout de suite à La lorgne, et un grand trouble l’avait envahie quand la commerçante lui demanda ce qu’elle pouvait lui servir. Elle demanda sa tranche de jambon d’une voix étranglée, et ne se montra pas aussi naturelle que d’habitude, quand elle répondit à la charcutière qui l’interrogea une fois de plus à propos de son mari, que celui-ci était toujours chez sa sœur en Nouvelle-Calédonie. C’était ce qu’elle avait trouvé pour expliquer sa disparition, alors que Fernand n’avait jamais eu de sœur. Mais pour l’instant, tout cela était secondaire, et Henriette se hâta de se rendre « Chez Dédé » afin d’être rassurée sur le sort de La lorgne. Mais ce ne fut guère le cas, car elle trouva le bistrot fermé. Les pires choses se mirent à trotter dans sa tête. Et elle fut la proie de la plus grande des angoisses jusqu’aux actualités télévisées du soir, où le présentateur fit état d’une étrange affaire concernant le patron d’un bistrot ainsi que quatre habitués des lieux, qui avaient été retrouvés morts de façon mystérieuse.
Henriette crut qu’elle allait défaillir et ne put fermer l’œil de la nuit.
Au petit matin, elle se rendit chez la marchande de journaux pour acheter la gazette du jour. Ce fut dans un état second qu’elle paya son journal, et ne répondit même pas quand la commerçante lui demanda si son mari était rentré.
Une fois de retour à sa maison, elle lut le journal qui consacrait quelques lignes à l’affaire. Cela suffit amplement pour qu’elle apprenne que les victimes qui étaient bien Bruno, La lorgne, M. Lelong, M. Roger et Mme Gabrielle, étaient apparemment mortes d’une intoxication alimentaire, ce que devraient confirmer les autopsies.
Ainsi Henriette se dit que Fernand était bien un poison comme elle l’avait toujours pensé. Seulement, il l’avait tellement empoisonnée durant leurs nombreuses années de vie commune, qu’elle avait fini par être immunisée, ce qui n’était évidemment pas le cas de ses nouveaux amis.
Elle fit sa valise, se vêtit de son manteau noir à col d’astrakan, puis partit. Elle allait se rendre à la police, avouer le meurtre de Fernand, afin de s’exonérer d’une certaine manière de la mort de ceux qui avaient pour très peu de temps apporté du soleil dans son existence bien sombre. Elle avait conscience qu’il ne lui était plus utile de rester en liberté, que la vie, le quotidien, ne seraient plus supportables sans eux.
Et elle n’en fut que plus convaincue en passant devant le bistrot dont les volets étaient fermés, dissimulant ainsi tristement l’affichette jaunie sur laquelle on s’était appliqué à écrire jadis au gros feutre noir :
ON PEUT APPORTER SON MANGER
Patrick S. VAST - Juin 2008
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23/08/2008
Une histoire de citrouille
Un appel à textes est lancé jusqu’à la fin juin 2009, ayant pour thème Mars et les Martiens. Sujet trop tentant pour que je n’y participe pas. Et en attendant, retrouvons une note du 31 octobre 2007, où il est justement question de Mars, ou plutôt d’une vision de Mars, et c’est en cliquant ici.
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