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07/03/2009

L'assassin habite au 41

 

Dédié à Stanislas-André Steeman

 

La station L’Arche orbitant à 1000 kilomètres au-dessus de la Terre, était considérée depuis trois décennies comme un véritable havre de paix. Ce fut lors de la propagation sur toute la planète d’un virus criminogène, que l’on avait décidé d’envoyer vivre dans l’espace cinquante familles à bord d’une structure prévue à l’origine pour diverses études scientifiques.

Le but était bien sûr de préserver quelques échantillons d’humains ; les perspectives les plus alarmistes circulant alors quant à la contamination massive des Terriens.

Heureusement, d’éminents chercheurs étaient parvenus relativement rapidement à isoler le virus, à découvrir des médicaments permettant de le combattre, mais surtout un vaccin afin de s’en prémunir.

Quoi qu’il en soit, les cinquante familles mises en orbite ayant été gagnées par une suspicion maladive, avaient demandé à ne plus quitter la station. Les autorités avaient répondu positivement à la condition qu’elles acceptent pour une simple raison de place, de renoncer à la procréation. Tout manquement à ce principe fondamental eût été aussitôt suivi d’un rapatriement de l’ensemble des familles, mais chacun avait respecté à la lettre la recommandation, et ainsi ce fut une population vieillissant au fil des années qui continua de vivre dans l’espace.

Le ravitaillement venait bien sûr de la Terre, et les Intervenants étaient sommés de passer impérativement par un sas de décontamination avant toute introduction à bord de la station.

Il semblait donc impossible que la moindre particule criminogène puisse s’immiscer dans ce petit monde protégé ; aussi quand un soir, la patrouille sécuritaire qui d’ordinaire faisait sa ronde sans avoir à intervenir, trouva un corps étendu dans le couloir d’accès aux appartements, juste devant la porte du numéro 50, la surprise fut très grande.

Le chef de patrouille pointa son indentifieur sur la personne qui avait été de toute évidence étranglée, et annonça aux trois hommes qui l’accompagnaient :

— Il habitait bien au 50. Il venait très probablement de sortir de chez lui.

Puis il pianota sur le cadran de son identifieur, et fronça les sourcils.

— Apparemment, dit-il au bout d’un instant, l’assassin habite au 41 !

Il emmena ses hommes jusque-là, et frappa à la porte de l’appartement.

L’homme qui ouvrit la porte, un vieillard à la longue chevelure et à la barbe lui arrivant en bas du ventre, vêtu d’une longue tunique blanche, prit un air effrayé en découvrant les membres de la patrouille sécuritaire, casqués et vêtus de cuir noir.

Le chef de la patrouille ne tenta pas de le rassurer, puisqu’il déclara tout de go :

— Un Résident a été étranglé, et il s’avère que l’assassin provient de votre appartement ! Vous êtes le Patriarche des lieux ?

— Heu… oui, fit le vieillard d’une voix tremblante. Mais personne n’est sorti du 41. Nous étions en train de lire en famille sur écran un ouvrage de Théophile Gautier, un écrivain du XIXème siècle terrien.

— Nous pouvons entrer ? fit le chef de patrouille.

Le Patriarche acquiesça de la tête, et laissa entrer les agents sécuritaires.

Bientôt ceux-ci arrivèrent dans le sas de culturation de l’appartement où se trouvaient les autres membres de la famille : 5 hommes et 6 femmes entre une soixantaine et une trentaine d’années. Comme le Patriarche, les hommes étaient chevelus et barbus ; quant aux femmes, leurs cheveux leur arrivaient au bas du dos, et tout le monde était vêtu de longues tuniques blanches.

L’émotion fut énorme quand ces Résidents du 41 apprirent de la bouche de leur Patriarche ce qui se passait.

Mais très vite, le chef de la patrouille leur ordonna de se soumettre au détecteur criminatif, un petit boîtier sur lequel il suffisait de poser les doigts.

Quand tous les membres de la famille se furent acquittés de ce qui pour eux ne pouvait que représenter une terrible épreuve, le chef de patrouille fut très soucieux, et soupira :

— Bon, il semblerait que l’assassin ne se trouve pas ici.

— Bien sûr, s’empressa de dire le Patriarche, puisque nous nous cantonnons tous depuis quatre heures dans notre sas de culturation, en exercice de lecture familiale. Puis, vous savez bien qu’il est impossible qu’il y ait un criminel à bord de L’Arche !

Le chef de patrouille passa outre ce qui venait d’être dit, et annonça à ses hommes :

— Bon, il ne reste plus qu’à prévenir le Coordinateur de la station.

Celui-ci, un homme de 80 ans, arriva bientôt. Après avoir écouté le rapport du chef de patrouille, il demanda :

— La localisation criminative était de forte intensité ?

Le chef de patrouille prit un air embarrassé.

— Justement non, elle était curieusement de très faible intensité.

— Alors, fit le Coordinateur, il nous faut solliciter la Sécurité Centralisée Terrienne.

Il tapota aussitôt sur son avertisseur qu’il portait au poignet, puis déclara :

— Il ne nous reste plus qu’à attendre. Espérons que l’on nous enverra vite quelqu’un.

 

****

Une petite heure plus tard, l’arrivée de deux hommes fut annoncée, et après être passés par le sas de décontamination, ceux-ci gagnèrent l’appartement 41.

Il s’agissait d’un individu très grand à la chevelure rousse et abondante, et d’un second tout aussi grand, mais complètement chauve. Ils portaient tous deux la combinaison grise de leur Unité.

— Je suis le commissaire Steeman, annonça le chevelu.

Puis, montrant du doigt le chauve, il poursuivit :

— Et voici mon assistant, le lieutenant R-Snew.

L’androïde hocha la tête, et le commissaire pria le Coordinateur de lui exposer la situation.

Quand cela fut fait, il demanda à visiter l’appartement. Celui-ci comprenait en plus du sas de culturation, des espaces de repos, de sustentation, d’hygiène et d’évacuations naturelles, ainsi que des placards où étaient entreposés divers encombrants, dans l’attente d’être ramassés par des Intervenants.

Et en passant devant la porte de l’un d’eux, le commissaire Steeman remarqua un petit trou dans le métal qui la constituait.

— Qu’est-ce que c’est que ça ? demanda-t-il.

Le Patriarche intervint aussitôt :

— Alors, ça ! je me le demande bien ! Il ne s’est rien passé de particulier, si ce n’est que cette porte a justement été changée depuis peu.

— Et il n’y avait pas ce trou dedans ? interrogea le commissaire.

— Absolument pas ! affirma le Patriarche.

Le commissaire se tourna alors vers le Coordinateur.

— Vous savez où a été fabriquée cette porte ?

— À l’usine universelle B’, je suppose, répondit l’interpellé.

— Qui se trouve dans le déserte de Gobi ?

— Heu… oui.

Le commissaire prit un air entendu, puis s’adressant cette fois au lieutenant R-Snew, il dit :

— Bon, lieutenant, préparez donc votre spectrozeur.

R-Snew hocha la tête, et sortit d’une poche de sa combinaison un appareil de forme allongée, ressemblant vaguement à un pistolet des temps anciens.

Alors, le commissaire Steeman demanda au Coordinateur et aux quatre agents sécuritaires de les suivre, lui et son adjoint.

Tout ce petit monde commença à patrouiller le long des couloirs de la station. Les agents sécuritaires et le Coordinateur se demandaient bien ce qui allait se passer, quand soudain le couloir s’éteignit, et que juste devant eux, se dressa une colonne de fumée d’un jaune phosphorescent qui se mit à onduler. Il ne fallut que quelques secondes pour que l’on devine une forme humaine à l’intérieur. Très vite, cette dernière prit de l’ampleur, et quand la fumée eut disparu d’un coup, ce fut un véritable colosse à la face de brute qui se planta devant les policiers, les agents sécuritaires et le Coordinateur dans le couloir de nouveau éclairé.

Le colosse commença à avancer de façon menaçante, mais le lieutenant braqua son spectrozeur sur lui, et aussitôt un éclair bleuté en sortit. Le colosse se figea dans une expression de surprise, puis commença à se disloquer ; et bientôt, à sa place, une nouvelle colonne de fumée jaune ondula depuis le sol. La fumée se dissipa en quelques secondes, et aux quatre agents sécuritaires et au Coordinateur, le commissaire Steeman déclara :

— Il y a peu encore, nous devions avoir recours à des spirites pour parvenir à ce résultat. Mais des scientifiques ont mis en équation des données ésotériques spécifiques, et élaboré le spectrozeur. Il était temps, car les spirites sont devenus une denrée rare de nos jours. Il doit en rester encore deux ou trois, mais dans un état physique et psychique très affaibli. Vu leur moyenne d’âge de 120 ans, ça peut se comprendre.

Les quatre agents sécuritaires et le Coordinateur étaient plus qu’ébahis, aussi le commissaire leur dit-il :

— Bon, messieurs, je vous dois quelques explications, alors pour cela, nous allons retourner au 41.

Toute la petite troupe s’y rendit, et en arrivant dans le sas de culturation que tous les Résidents avaient rejoint, le commissaire annonça :

— L’affaire est résolue, le criminel est hors d’état de nuire.

Le commissaire marqua alors une courte pause, et poursuivit :

— Voilà ce qui s’est passé. La porte du placard a été fabriquée à l’usine universelle B’ se trouvant dans le désert de Gobi. Or, dans le voisinage de cette usine, il y a un pénitencier qui a la particularité d’accueillir des criminels des plus coriaces, réfractaires à tout remède. Depuis longtemps, de nombreux détenus finissent leurs jours dans ce pénitencier, et un cimetière a été créé à proximité. À une certaine époque, on avait pris l’habitude de puiser dans l’organisme des détenus décédés, des substances fondamentales telles que le fer ou le zinc, afin de réaliser des alliages nécessaires à la fabrication industrielle. J’en déduis donc que dans votre porte, se trouvent des substances fondamentales, et selon ce qui me paraît évident, il y en avait certaines contenant des particules criminogènes qui se sont en quelque sorte réveillées, suite probablement à des frictions magnétiques. Cela a entraîné une réaction ectoplasmique, et la partie incriminée de ce qui ne semblait être qu’une simple porte s’est détachée de l’ensemble pour arriver jusqu’à l’appartement 50. Là, l’ectoplasme a repris consistance, et a libéré toute la matérialité du criminel qu’il contenait, le rendant à son état initial d’humain intégral prêt à tuer. Une fois le crime exécuté, le coupable est revenu à l’état ectoplasmique, puis a atteint le stade de l’invisibilité. Autant vous dire qu’il risquait de tuer de nouveau à tout moment et sans problème. Donc l’assassin habitait bien au 41, mais de façon très particulière. C’est d’ailleurs ce qui explique que la localisation criminative ait été de faible intensité.

— Mais comment pouvez-vous être sûr de tout cela ? demanda le Coordinateur.

Le commissaire afficha un air dégagé pour répondre :

— La lecture assidue et conjointe d’ouvrages de physique-chimie et de sciences occultes, me permet de tenir ce raisonnement comme fiable.

— Et nous ne craignons vraiment plus rien ? s’enquit le Patriarche.

— A priori non, fit le commissaire, puisque le coupable a été à la fois découvert et annihilé grâce au spectrozeur du lieutenant R-Snew. Mais il serait quand même utile de faire vérifier au plus vite l’ensemble de la station. Qui sait si un autre dangereux criminel ne se cache pas à l’état de métal ou autres, dans une porte, un plafond ou je ne sais quoi encore ! Il vous faudrait revoir également le fonctionnement de votre sas de décontamination, qui n’a apparemment été d’aucun effet sur la porte lors de son introduction à bord.

Le Coordinateur se crispa, mais prit toutefois bonne note des conseils du commissaire.

Quand ce dernier s’apprêta à partir, le Patriarche lui dit :

— Au fait, vous vous appelez bien Steeman ?

— Oui, répondit l’intéressé.

Et l’autre de continuer :

— Lors de nos lectures, ma famille et moi, nous avons découvert un ouvrage d’un certain Steeman, Stanislas-André Steeman, très exactement. C’est un parent à vous ?

Le commissaire hocha la tête.

— Oui, il s’agit d’un de mes très lointains ancêtres qui a vécu, je crois, au XXème siècle terrien. On en parle encore dans ma famille. Il a écrit un roman qui s’appelle, si j’ai bonne mémoire, L’assassin habite au… au… ah, tiens, il me semble bien justement que c’est au 41...

— Au 21 ! rectifia le Patriarche.

— Ah, oui, vous avez raison, c’est le 21, et non pas le 41 ! dit en riant le commissaire Steeman.

 

Patrick S. VAST - novembre 2008

24/02/2009

Sur un air des Platters

« Twilight Time » des Platters. Pour Tom, cela évoquait les plages de Miami ou de la West Coast. Le sable chaud, l’ambre solaire et les vagues. Un hymne chaloupé comme des pin-ups fifties léchant leur glace à la fraise.

Tom en rêvait de soleil et de nuits moites sous les palmiers.

Mais en guise de moiteur, il avait droit à la lourde ambiance étouffante d’un bastringue enfumé du Bronx : un affreux bouge irrespirable où dans un pogo chronométrique, des punks s’excitaient au son d’un groupe au rythme saturé.

New-York, les junkies, les punks… Tom en avait la nausée. Il rêvait de « Twilight Time », des Platters. Sortir du trou, sortir de son trou puant le chanvre, s’extirper d’une nuit no way out.

Il passa sa main sous son blouson de cuir bon marché, et sentit que ça poissait. En même temps, un vertige accéléra le rythme de son cœur en un mouvement tatychardique.

Il voulut se lever de sa chaise. Pour cela, il dut faire un violent effort qui l’obligea à serrer les dents.

Il parvint à se soulever, chancela, et s’écroula d’un coup sur le plancher graisseux du bouge.

Le groupe punk continuait de marteler son hymne métronomique, mais Tom ne l’entendait plus.

Dans sa tête coulait une douce mélodie, une harmonie de voix, les Platters dans une synchronie musicale.

Allongé sur le sol, Tom écouta religieusement « Twilight Time ».

Quand le morceau se termina, il avait oublié la ruelle sombre encombrée de poubelles puantes où il avait reçu un coup de couteau par un junky au bout du rouleau. Il voyait une vague venir s’échouer sur le sable doré d’une plage de Californie. Et c’est avec le sourire qu’il s’en alla s’échouer dans le monde de l’invisibilité, bercé par un air des Platters.

 

Patrick S. VAST - février 2009

 

NB : pour la version avec son et images, veuillez cliquer ici. 

17/02/2009

L'homme immobile

Il y a une trentaine d’années, j’ai passé un hiver à Avignon. J’habitais dans la vielle ville, derrière la place Pie, près de la rue de la Pyramide.

Je louais un studio dans un immeuble ancien. Et lorsque j’en sortais, je voyais toujours, se tenant immobile sous le porche de celui d’en face, un homme d’une quarantaine d’années, à la chevelure brune assez fournie, vêtu d’un manteau chiné.

Il avait une attitude pour le moins singulière. Il semblait attendre, tout en gardant les yeux rivés au sol. Il se tenait là par n’importe quel temps, et l’on eût pu croire qu’il ne quittait jamais cet endroit.

Plusieurs fois j’ai été tenté de l’aborder, mais je n’ai jamais osé. J’ai quitté Avignon à l’arrivée du printemps, et je me souviens que le jour de mon départ, l’homme étrange se tenait comme toujours à son poste.

Par la suite, j’ai souvent pensé à lui, m’interrogeant à son sujet.

Or, il se trouve que j’ai eu l’occasion de retourner à Avignon il y a un mois afin d’y accomplir une démarche. Après m’être acquitté de celle-ci, mes pas m’ont amené presque automatiquement jusqu’à la rue où j’avais vécu. J’ai tout de suite reconnu l’immeuble où j’avais séjourné, mais aussi celui d’en face.

L’homme mystérieux ne se trouvait plus devant, ce qui m’a paru presque insolite dans un premier temps. Je suis resté immobile, comme si j’attendais qu’il sorte, et se place sous le porche, les yeux fixant le macadam du trottoir. Au bout de peut-être cinq minutes, ça a été plus fort que moi ; j’ai traversé la rue, et ai poussé la porte de l’immeuble. Je suis arrivé dans une entrée où se répandait une odeur de renfermé. Et comme si quelque force étrange m’avait guidé, j’ai sonné à une porte se trouvant sur ma gauche.

Je suis alors demeuré à attendre, un peu oppressé. J’ai fini par entendre un grincement produit de toute évidence par une clé tournant dans la serrure qui avait fait son temps. La porte s’est d’abord entrouverte, puis petit à petit, est apparu le visage d’une vieille dame aux cheveux de neige.

— Ah, c’est vous, entrez donc, m’a-t-elle dit.

Sans chercher à comprendre, je me suis exécuté. Je suis entré dans une pièce parfaitement en ordre, où régnait une forte odeur d’encaustique. D’après l’ameublement, il s’agissait du séjour.

J’ai regardé la vieille dame qui était largement octogénaire, et j’ai demandé :

— Mais vous semblez me connaître ?

La vieille dame a hoché la tête.

— Bien sûr, je vous ai souvent vu sortir de l’immeuble d’en face.

Je n’en revenais pas.

— Mais cela fait au moins trente ans que j’en suis parti.

— Je sais, mais je ne vous ai pas oublié. Comme je n’ai pas oublié tous ceux qui habitent aux alentours. Après tout, il faut que je reste bien attentive, que j’observe et que j’enregistre tout. On ne sait jamais.

J’étais à la fois perdu et angoissé. Alors, comme pour m’apaiser, je suis allé droit au but :

— Au fait, le monsieur qui se tenait toujours sous le porche…

— Léon ? a fait la vieille dame.

— Heu… oui.

La vielle dame a soupiré :

— Il a disparu il y a plus de vingt ans. À mon avis, il s’est aventuré dans la rue, a quitté le porche. Il ne fallait pas, il ne fallait surtout pas !

— Mais pourquoi ?

— Parce que c’était un ordre !

— Mais un ordre de qui ?

— De ceux qui sont venus… une nuit.

— Mais de qui me parlez-vous exactement ?

— Eh bien, des créatures. Des créatures venues sans doute de très loin.

— Quand même pas d’une autre planète ! ai-je tenté de plaisanter.

La vieille dame a hoché de nouveau la tête.

— Allez donc savoir…

Puis un silence pesant s’est abattu dans la pièce, et je l’ai rompu en demandant :

— Mais, vous n’avez pas prévenu la police de la disparition de… Léon ?

La vieille dame a eu un air affolé.

— Mais vous n’y pensez pas ! Jamais on ne m’aurait cru, et j’aurais été prise pour une folle. Vous savez, lorsqu’on a vécu certains événements, il faut savoir se taire, tout garder pour soi. Sinon, on s’expose à de graves ennuis.

Puis la vieille dame m’a regardé avec une certaine compassion, et m’a dit :

— Vous n’auriez pas dû venir. Puis, je n’aurais pas dû vous ouvrir. Et surtout, je n’aurais pas dû vous parler de tout cela.

— Mais pourquoi ?

La lèvre inférieure de la vieille dame s’est mise à trembler.

— Parce qu’il risque de vous arriver ce qui est arrivé à Léon, bien sûr !

Je me suis senti blêmir. Puis j’ai décidé de prendre congé, et me suis hâté de sortir.

J’ai traversé l’entrée sentant le renfermé, et ai ouvert la porte de l’immeuble.

Alors, tout naturellement, je suis demeuré immobile sous le porche, fixant le macadam du trottoir. Je ne sais pendant combien de temps je suis resté ainsi, mais soudain, je me suis arraché à ma torpeur, et usant de toute ma volonté, j’ai décidé de traverser la rue, d’oser m’aventurer hors du porche.

Je ne puis exactement décrire ce que j’ai ressenti à ce moment-là. Enfin, si ; je dirai simplement que ça fait une sale impression de sentir son cœur s’arrêter de battre.

 

 

Patrick S. VAST - février 2009

09/02/2009

Une histoire de consommation

Pouvoir d'achat, travail, emploi, que de mots qui nous tournent autour. Acheter, produire, dépenser, l'univers de rêve, la société idéale.

C'est peut-être tout simplement "Consuméria". Alors, allons la visiter en cliquant ici.

26/01/2009

Une histoire de tueurs temporaires

Nous connaissons dans nos villes les enseignes des Entreprises de Travail Temporaire ou ETT. Je ne les citerai pas, je vous laisse le faire à ma place. Et si ces enseignes cachaient en réalité des entreprises de tueurs, et même de tueurs temporaires ? Cauchemar futuriste, ou réalité ? À vous de juger en découvrant ou en redécouvrant "ETT", en cliquant ici même.

13/01/2009

Goéliande

Très tôt en ce matin d’avril, le soleil avait percé les brumes, et baignait maintenant de sa chaude clarté le sommet de la falaise. Marchant sur un chemin de terre qui serpentait entre des buissons et des arbustes, Abigail, une jeune femme de vingt-trois ans vêtue d’une austère robe noire lui arrivant aux chevilles, s’avançait vers le bord du géant de grés et de calcaire qui surplombait l’océan, et au pied duquel venaient s’écraser les vagues. Elle s’immobilisa bientôt, laissant le vent jouer avec sa robe et sa chevelure brune, et fixa l’horizon. Ses yeux sombres, empreints de tristesse, restèrent en alerte, cherchant à découvrir au loin les voiles du Cor-Nac, un bateau de pêche dont elle guettait le retour depuis cinq ans.

C’était par une froide après-midi de janvier qu’il était parti, alors que de violentes tempêtes étaient annoncées. Mais le vieux Joss, le maître du navire, ne pouvait renoncer à aller pêcher la morue malgré le mauvais temps. Le Cor-Nac qui avait été autrefois un fier et solide morutier, emmenant souvent son équipages vers des eaux lointaines, était devenu au fil des années une triste carcasse, bonne à prendre une retraite bien méritée. Joss devait acheter un autre bateau, et ses hommes étaient prêts à faire front avec lui, à travailler sans relâche dans n’importe quelles conditions, afin de partir bientôt sur un nouveau morutier, un Cor-Nac flambant neuf. C’était donc pour cela que le bateau avait pris le large, la cale remplie de blocs de sel dans l’espoir d’une pêche abondante, malgré la désapprobation de tous ceux qui étaient présents quand il avait levé l’ancre. Parmi eux, il y avait Abigail, qui avait supplié Yann, un garçon de vingt ans qu’elle devait épouser une fois l’été venu, de renoncer à embarquer. Mais le jeune homme lui avait dit qu’il avait toute confiance en Joss, et que si le Cor-Nac n’avait plus vraiment fière allure, il demeurait néanmoins encore suffisamment solide pour affronter les pires tempêtes.

Abigail n’avait pu le retenir, et comme tous les autres, elle avait vu le bateau s’éloigner du port. Dès la fin de l’après-midi, le vent avait redoublé d’ardeur, et durant la nuit, la tempête en avait empêché plus d’un de dormir. Elle était demeurée violente pendant quatre jours et quatre nuits, et avait cessé d’un coup, à l’aube du cinquième jour, laissant la place à une matinée calme, qu’un soleil timide avait tenté de réchauffer. Abigail s’était rendu au bord de la falaise, tandis que d’autres avaient préféré se regrouper sur le port, commençant à espérer un miracle, priant pour le retour du Cor-Nac. À la fin de la journée, chacun s’était dit que le bateau était au moins parti pour une semaine, peut-être deux. Au bout de trois, on avait sonné le tocsin, chacun ayant compris que le Cor-Nac ne reviendrait plus, que l’océan retenait désormais le bateau et son équipage. Alors, Abigail s’était vêtue entièrement de noir ; elle était devenue la veuve de Yann, avant même d’avoir eu le temps de l’épouser. Dans les jours qui avaient suivi, elle s’était rendue deux fois à l’église. La première, pour la messe célébrée en la mémoire de l’équipage du Cor-Nac, et la seconde pour l’enterrement de sa mère qui avait succombé à une mauvaise bronchite. Abigail était restée seule dans sa maison de pierre, gagnant sa vie en réparant des filets de pêche. Elle travaillait la nuit, afin de pouvoir passer la journée au bord de la falaise, à guetter le retour du Cor-Nac. À cet endroit, elle avait connu aussi bien les chaleurs écrasantes que le gel et la neige, et avait subi autant les vents violents que les pluies qui la transperçaient jusqu’aux os. Mais elle demeurait envers et contre tout accrochée à l’espoir du retour de Yann qu’elle tenait pour une certitude. Elle arrivait tôt le matin ; repartait à midi pour se sustenter et prendre un peu de repos ; puis revenait jusqu’à la nuit.

Cela durait depuis cinq ans, et en ce matin d’avril où le printemps voulait s’affirmer, elle était fidèle au rendez-vous. Elle se tenait droite, humant l’air chargé d’iode et de sel, laissant le soleil caresser doucement son visage. Son regard se portait très loin, traquant la moindre trace de voile à l’horizon. Mais si quelques bateaux passèrent au large, ils n’empruntèrent pas la route menant au port. Au bout d’une heure, Abigail eut soudain envie de rentrer chez elle ; non qu’elle eût perdu l’espoir de revoir Yann ; non qu’elle fût lasse de rester ainsi immobile au bord de la falaise ; mais elle ressentait comme un appel. Il ne lui fallut pas longtemps pour rejoindre son logis tout proche. Et une fois arrivée devant la petite maison de pierre où elle était née, elle comprit qu’un esprit bénéfique s’était manifesté ; car contrairement à d’habitude, il y avait un homme qui attendait devant. Elle sut tout de suite qu’il était porteur d’une bonne nouvelle. Il avait sur lui de vieux vêtements très sales, et dégageait une puissante odeur. À coup sûr, il venait de loin, et avait marché longtemps. L’homme qui était un vieillard ridé, aux longs cheveux gris et raides, expliqua à Abigail qu’il avait cheminé pendant au moins deux bonnes semaines, pour faire le trajet depuis les dunes de Flandre jusqu’à son pays de falaises. Il ajouta qu’il avait trouvé sur une plage de la mer du Nord, une bouteille de rhum ; et que si celle-ci ne contenait plus la moindre goutte de tafia, elle renfermait par contre une feuille de papier. Il avait dû casser la bouteille sur un morceau d’épave échoué sur la plage, pour pouvoir libérer le message. Celui-ci mentionnait tout ce qui était utile pour parvenir jusqu’à Abigail ; alors le Flamand s’était mis en route, car la missive semblait importante. Il sortit d’une musette crasseuse le fameux message qu’il tendit à Abigail. Celle-ci appréhendait de le lire, tant elle était partagée entre un invincible espoir, et l’insondable crainte d’être amèrement déçue. Elle proposa une bolée de cidre au messager, plus pour reculer l’instant fatidique, que par gratitude ou hospitalité. Mais celui-ci refusa, disant qu’il lui fallait se remettre immédiatement en route. Lorsqu’il eut pris congé, Abigail lut avec minutie le papier jauni et froissé qu’elle serrait entre ses doigts, puis explosa de joie. Elle partit alors à toutes jambes, perdant en route ses sabots ; et ce fut pieds nus qu’elle arriva en ville et se précipita chez le père de Yann. Celui-ci eut à peine le temps de comprendre ce qu’elle lui racontait, qu’il se trouva entraîné vers le port. Ils y arrivèrent tous deux très vite, et entrèrent dans une taverne. Ils se rendirent à une table du fond où étaient installés quatre hommes sirotant de l’eau-de-vie. Abigail tendit le message au plus âgé qui portait une casquette de marin, et expliqua ce qu’il contenait. Le marin regarda la feuille d’un côté puis de l’autre, et hocha la tête. Il dit que d’après le message, Yann avait réussi à gagner une île peuplée de goélands. On parlait de cette île dans de très vieilles légendes ; mais à son avis, il était peu probable que Yann eût pu survivre durant toutes ces années dans un endroit sans aucun doute isolé. Abigail ne voulut pas en entendre davantage et perdre son précieux espoir, et se rendit chez Gwendoline, la druidesse. On la nommait ainsi, car bien que parfaitement chrétienne, elle n’en avait pas pour autant renié les religions de jadis, et possédait des pouvoirs bénéfiques. Elle la trouva chez elle, occupée à remplir d’un liquide ambré des bouteilles qui avaient contenu de l’eau-de-vie ou du cidre. Abigail lui parla du message qu’elle lui tendit, et la jeune femme rousse toute vêtue de blanc que l’on appelait la druidesse, poussa une grande exclamation. Elle déclara que Yann avait réussi à atteindre Goéliande, la terre sacrée des goélands ; une île merveilleuse située aux confins de l’Atlantique et de la mer d’Irlande ; et qu’il se trouvait sous la protection de Ler, le dieu de la mer que les Celtes des temps anciens vénéraient. Gwendoline incita Abigail à continuer d’espérer, et lui remit un flacon qui l’aiderait à combattre les fièvres qui allaient s’emparer d’elle jusqu’à l’arrivée d’un message magique.

Cette nuit-là, Abigail commença en effet à être la proie de terribles fièvres qui semblèrent ne plus vouloir la quitter. Elle ne dut sa survie qu’à la potion de la druidesse ; et un matin, elle fut réveillée par un chant étrange. Elle se leva, sortit de chez elle, et marcha en direction de la falaise. Elle trouva bientôt sur son chemin, perché sur une énorme pierre, un goéland majestueux qui déploya ses larges ailes et prit son envol. Abigail le suivit en pressant le pas jusqu’au bord de la falaise. L’oiseau marin se mit à planer avec grâce au-dessus de l’océan, et en regardant son plumage blanc agrémenté de touches de gris et de noir, Abigail songea que ce devait être d’une plume de goéland dont s’était servit Yann pour écrire son message. À l’horizon, le ciel devint soudain rougeâtre, et l’on eût pu croire que les vagues s’embrasaient. Éblouie, Abigail ferma les yeux, puis les rouvrit peu de temps après. Alors, elle vit une chose fantastique qui la stupéfia. Au loin, portée par l’océan qui avait recouvré une couleur d’azur, se dressait une immense plume piquée dans la crête nacrée d’une vague. Abigail regarda fascinée cette plume que l’océan amenait vers elle, cette plume qui semblait lui écrire dans le déroulement de la vague, le message magique annoncé par Gwendoline. Bientôt, la plume se mua en une voile blanche qu’un vent léger commença à gonfler ; et le frêle esquif qu’elle entraînait, pencha à tribord, puis prit tranquillement la direction du port, accompagné du goéland qui volait au-dessus de lui.

Abigail courut à toutes jambes à travers la falaise ; il fallait qu’elle arrive avant Yann au port, et soit surtout la première à l’accueillir.

Patrick S. VAST - 2005