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31/10/2011

À l'occasion de la fête de la citrouille

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À l'occasion de la fête de la citrouille, voici "Citrouille martienne", un petit texte de SF écrit il y a quelque temps.

 

Lorsque le 8 avril 2018, le vaisseau Europa se posa sur Mars, les trois membres de l’équipage eurent la très nette impression de se trouver sur un terrain spongieux. Et le capitaine Duval en fut le premier convaincu, après avoir descendu l’échelle métallique qui l’amena au milieu d’un champ de citrouilles. C’étaient en effet plusieurs exemplaires de cette cucurbitacée bien connue des Terriens, que le vaisseau avait écrasés à l’arrivée.

 

Mais les surprises ne faisaient que commencer. Tout d’abord, il s’avéra que l’atmosphère de la planète était parfaitement respirable, permettant ainsi de se passer de casque spatial ; ensuite, lorsque le major Dwight et le lieutenant-colonel Von Kraput eurent rejoint le capitaine Duval, tous trois virent arriver, marchant le long d’une allée qui fendait le champ, ce qui apparut très vite comme étant un Terrien, mais d’une couleur tirant sur le bleu, et muni d’une trompe en guise de nez.

 

— Saperlipopette ! s’exclama le capitaine, alors que l’étrange créature n’était plus qu’à quelques mètres.

 

— Saperlipopette ! s’exclama à son tour cette dernière. Mais c’est qu’c’est ben du français que j’viens d’entendre là !

 

— Mais vous comprenez et vous parlez même le français ! s’écria presque le capitaine.

 

 

 

Faut croire, dit la créature.

 

— Mais… mais, poursuivit le capitaine, vous êtes un Martien ?

 

Cette question fit bien rire la créature.

 

— Un Martien ? Mais y a plus de Martiens ! Maintenant, cette planète est habitée par des Terrartiens !

 

— Des Terrartiens !

 

— Oui, c’est un mélange de Martiens et de Terriens.

 

Le capitaine se tourna vers ses deux compagnons qui avaient très bien compris ce qui se disait, et étaient de se fait aussi sidérés que lui.

 

— Mais à quand remonte ce mélange ? reprit le capitaine.

 

La créature se gratta négligemment la trompe avant de répondre :

 

— Oh, à bien longtemps, à c’qui paraît.

 

Puis regardant alentour, le capitaine demanda :

 

— Et ces citrouilles, il y en a partout ?

 

— Partout, fit la créature.

 

— Alors ce sont ces citrouilles qui donnent sa couleur si caractéristique à la planète Mars !

 

— Sans doute.

 

— Mais tous les prélèvements qui ont été faits jusqu’ici sur le sol martien ne révélaient aucun fragment de citrouille !

 

La créature réfléchit un court instant, et dit :

 

— C’est vrai qui y a de ben drôles d’appareils qui sont venus gratter notre sol à c’qui paraît ; mais à chaque fois, c’était juste à côté des citrouilles. Pas étonnant qu’y n’ont pas ramené de morceaux. Allez, j’vais vous emmener à la prochaine ville, vous verrez le maire qui pourra peut-être vous en dire plus.

 

Après avoir quelque peu hésité, Duval, Dwight et Von Kraput suivirent le Terrartien, et arrivèrent à une ville érigée au milieu des citrouilles et constituée de bulles de verre. Ils y croisèrent moult Terrartiens et Terrartiennes de tout âge, et furent reçus par le maire.

 

Il ne put guère donner beaucoup d’informations aux Terriens, si ce n’est que d’après des sources très anciennes, à l’origine, la planète était peuplée de petites créatures bleues, aux membres graciles, dotées de trompes, mais aussi d’énormes oreilles et de crânes pointus. C’était le croisement avec un Terrien arrivé sur Mars il y a très longtemps, qui avait donné naissance aux Terrartiens, espèce qui n’avait hérité des Martiens que leur couleur bleue et leur trompe.

 

Puis le maire conduisit les trois Terriens dans une bibliothèque, et leur proposa de consulter les livres qui s’y trouvaient. D’après ses dires, les Terrartiens en étaient pour leur part totalement incapables, car la lecture ne leur était jamais apparue comme une connaissance utile.

 

Cette déclaration finit de surprendre les trois astronautes, mais très vite ces derniers se plongèrent dans l’étude des innombrables documents qui étaient gracieusement laissés à leur usage.

 

Et c’est ainsi qu’ils prirent connaissance d’un fait historique qui avait bouleversé le devenir de la planète Mars.

 

 

 

****

 

 

 

 

15 septembre 1493

 

 

 

 

Jehan Marsally était un croquant berrichon vivant dans sa petite maison de pierre, au milieu d’un champ de citrouilles qui faisait toute sa fierté.

 

Le soleil venait de se coucher ce jour-là, et Jehan se régalait d’un cuissot de chevreuil, quand une étrange luminosité se répandit soudain alentour, jusqu’à rendre totalement inutiles les bougies dont se servait le croquant pour éclairer sa demeure.

 

Puis, on frappa soudain à la porte. Confiant, Jehan s’écria :

 

— Entrez donc !

 

La porte s’ouvrit, et apparurent alors trois créatures, petites, de couleur bleue, aux membres graciles, au crâne pointu, et dotées d’immenses oreilles et d’une trompe en guise de nez. Leurs yeux étaient toutefois comparables à ceux des paysans du Berry, et se braquèrent sur Jehan.

 

Très étonné, celui-ci s’écria encore :

 

— Mais d’où que vous venez donc ?!

 

Sans rien répondre, deux des trois créatures s’approchèrent de lui, le saisirent, et l’emmenèrent sans qu’il n’ait eu seulement le loisir de poser son cuissot de chevreuil.

 

Dehors, il faisait clair comme en plein jour, car un engin ressemblant à ce que plusieurs siècles plus tard on appellerait « une cocotte minute », était posé au milieu des citrouilles, et diffusait une puissante lumière.

 

La troisième créature était restée un peu en retrait de ses deux compagnons, et tandis que ces derniers conduisaient Jehan à leur étrange appareil, elle se pencha et cueillit une superbe citrouille. Elle l’approcha alors de sa trompe, puis après avoir hésité un instant, la coinça sous son bras gracile, et courut pour vite rattraper ses compagnons et Jehan, qui entraient à l’intérieur de la « cocotte minute ».

 

14/07/2011

Le triomphe de Louis XVI (4 ans après)

Voici un petit texte uchronique je j'avais écrit et mis en ligne le 14 juillet 2007.

 


Le 14 juillet 1789, Paris fut gagnée par une grande effervescence dès le début de la matinée. Et pour cause, alors que les rues commençaient à se remplir de quelques matinaux, on vit le roi Louis XVI passer en courant du côté la Bastille, flanqué de deux soldats qui avaient bien du mal à suivre le monarque. Cette pratique du jogging, comme on qualifiait ce genre d’exercice outre-Manche, en surprit agréablement plus d’un. Et les propos qui se colportaient depuis quelques jours à travers toute la cité, commencèrent à trouver ainsi un début de véracité. En effet, les murs de la ville s’étaient couverts d’affiches vantant les mérites du roi Louis, monarque dynamique, entreprenant et charismatique, qui ne pouvait que contribuer à la grandeur de la France, et à l’épanouissement des Français et des Françaises. Et comme le peuple comptait un nombre non négligeable d’analphabètes, des gardes avaient arpenté tout Paris pour rapporter les mêmes propos. Et leurs annonces à la gloire de la maison de Bourbon, se terminait à chaque fois par une exhortation à se rendre le 14 juillet dans l’après-midi à la place Louis XVI, connue de nos jours en tant que place de la Nation, pour y voir et y entendre le roi en personne.

C’est ainsi qu’une foule importante ce trouva réunie à l’heure dite à l’endroit indiqué, devant une estrade cernée de drapeaux blancs, symboles de la royauté.

Très vite, se succédèrent sur l’estrade des philosophes et autres penseurs, qui couvrirent de louanges le roi Louis, et terminèrent leur prestation en le faisant acclamer par la foule qui obéissait sans la moindre réserve, comme enivrée par les propos à la gloire de la monarchie de droit divin. Puis ce fut au tour de poètes, de musiciens et de chanteurs, de venir déclamer ou chanter une multitude de vers dédiés à l’intelligence, à la vivacité et au pragmatisme du descendant des Capétiens.

Autant dire qu’après toutes ces odes à Louis XVI, lorsque celui-ci parut, accompagné de la reine Marie-Antoinette, du dauphin et de sa fille aînée, offrant une image très people — comme on dit également outre-Manche —, de la famille royale, la foule était en délire.

Et elle ne le fut que plus après que le roi se fut lancé dans un discours où il rendit hommage au peuple de France si vaillant, à tous ces hommes et ces femmes qui se levaient tôt, et étaient prêts à s’adonner toujours plus au labeur, pour amasser toujours plus d’écus. Et il en conclut qu’il fallait en finir avec l’héritage de la cour de Louis XIV, avec la facilité et le stupre, pour engendrer une France d’entrepreneurs.

À la fin de ce discours que le roi prononça avec une ferveur communicative, la foule applaudit à tout rompre, tandis que la reine très glamour, sortait d’un panier qu’elle tenait sous le bras, des brioches qu’elle lança au peuple en liesse.

Ce fut véritablement le triomphe de Louis XVI ce jour-là, alors qu’il avait bien failli en être tout autrement.

En effet, dans les semaines qui avaient précédé ce jour exceptionnel, des rumeurs alarmantes s’étaient propagées dans Paris, annonçant que le 14 juillet, le peuple allait prendre la Bastille, et qu’il s’en suivrait un chaos dont la monarchie ne se relèverait pas. Alors, des conseillers avisés apprirent très vite au roi comment s’y prendre pour mettre le bon peuple « dans sa poche ». 

Le monarque écouta attentivement les conseils, accepta d’agir comme on le lui demandait, et même d’exécuter un jogging dans les rues de la capitale du royaume, alors que l’effort avait toujours eu tendance à le rebuter, surtout lorsqu’il devait être en plus très soutenu.

****

Et le soir même, tandis que le monarque se trouvait dans l’un des nombreux salons que compte le château de Versailles, en train de s’adonner à la serrurerie, afin de se remettre de cette dure journée à la fois émouvante et éprouvante, la reine vint le rejoindre.

— Alors, mon bon Louis, fit-elle, n’êtes vous pas heureux d’avoir sauvé le royaume et gagné l’amour du peuple ?

Le roi délaissa la serrure sur laquelle il était penché avec passion, et se tourna vers la reine avec un tournevis à la main.

— Bien sûr, ma très chère reine, fit-il. Seulement, il y a quand même quelque chose qui me chagrine grandement.

— Mais, quoi donc, Louis ? fit Marie-Antoinette, très troublée.

Louis XVI prit un air maussade, et répondit :

— Devoir honorer ce que j’ai promis de faire, pour toujours apparaître comme un monarque dynamique, et ainsi continuer à charmer le bon peuple.

— Mais quoi donc exactement ? insista la reine.

Alors, Louis XVI se laissa tomber dans un fauteuil tout en velours et dorures.

— Devoir chaque matin faire un jogging, lâcha-t-il enfin d’un ton morne.



 

24/06/2011

Emma Song

Emma attendait sur sa chaise près du carrefour. On lui avait dit que c’était justement à un carrefour que Robert Johnson avait rencontré le Malin qui lui avait donné son talent. « Ton âme contre une bonne dose de blues que tu enverras partout où tu passeras ». Emma voulait vérifier ; mais surtout elle souhaitait se jouer du Malin. Elle ne l’aimait pas trop, elle le noyait dans tous ses chants de ferveur qu’elle libérait le dimanche à la messe. Non, Robert Johnson avait raconté des histoires. On ne rencontre pas le diable au carrefour. Au carrefour on passe ou l’on reste. Emma attendait sur sa chaise.

Joe s’était perdu dans un de ces coins de Paris qui rappelaient que la guerre n’était pas finie depuis si longtemps. Il errait dans la brume du jour, celle de son cerveau où le mal-être s’était installé à ses dépends. Il n’avait nulle part où aller, était perdu dans le petit matin fugace. Héros de mauvais polar déjanté, personnage de chanson de blues, il marchait de façon syncopée, comme une note bleue triturée. Il partit dans un long délire, mi-réel, mi-onirique. Il emprunta un métro sans un chat dedans, puis arriva à la gare Saint-Lazare où il se laissa tomber sur la banquette défoncée d’une troisième classe d’un train branlant qui partit sans siffler gare. Sur les quais du port du Havre, Joe se fit accoster par des marins ivres, des Américains qui parièrent de l’emmener de l’autre côté de l’Atlantique. Joe dut admettre qu’il avait perdu quand il se retrouva à New-York. Mais il battit au poker les marins qui n’arrivaient décidément pas à décoller des vapeurs de Bourbon, et ramassa un bon petit magot lui permettant d’acheter une Cadillac. Il roula longtemps avec sa voiture chromée sous le soleil et dans la poussière, jusqu’en Caroline du Sud où le moteur lâcha. Alors, il partit à pied parmi les champs de coton, et finit par arriver à un carrefour près duquel une Mama black attendait sur sa chaise.

En voyant Joe, Emma se leva et courut jusqu’à sa maison de planches qu’elle partageait avec Bill, son mari. Celui-ci avait sa guitare dans les mains, et jouait justement « Crossroads blues » de Robert Johnson. Emma lui demanda d’arrêter tout de suite, qu’il avait appelé le Malin, qu’elle l’avait vu au carrefour. Bill partit à rire, tandis qu’Emma trépignait de peur. Et elle se retint de ne pas hurler quand Joe apparut à la porte de la maison. Mais il afficha tout de suite un bon sourire, et dit tout simplement qu’il avait faim et soif, et qu’il accepterait volontiers une bonne bière fraîche et un hot-dog cuit à point.

Patrick S. VAST

 


16/03/2011

Son et images

Un petit texte avec musique à l'appui, que j'avais mis en ligne sur mon blog "Vast in Black", et que j'ai envie de partager à nouveau :

http://vastinblack.blogspot.com/2009/02/sur-un-air-des-pl...

29/11/2010

Harcèlement en Utopie

Utopie, c'est un excellent site de textes en ligne, et "Harcèlement", c'est bien sûr ma bonne vieille nouvelle polar de 2006 sur le harcèlement moral au travail, que j'avais envie de partager avec de nouveaux lecteurs. Puis, ce thème est celui de mon nouveau polar dont l'écriture est commencée et qui se déroule à Boulogne-sur-Mer.

En attendant pour la nouvelle "Harcèlement", c'est ci-dessous :

http://utopie.yolasite.com/nouvelle-vast-harcelement.php

28/11/2010

Matin de glace

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 Par ce petit matin de l’hiver 1898, le vieux cheval d’Horace le croque-mort, avançait péniblement, enfonçant ses sabots dans la neige épaisse, et tirant un corbillard de fortune. Horace le tenait par le mors en jurant tout son saoul, sans égards pour les parents de la jeune morte qui suivaient derrière. Ils étaient d’ailleurs les seuls : Désiré, le père, un homme d’une quarantaine d’années, portant un manteau de drap bien léger pour ce matin de grand froid ; et Henriette, la mère, une femme du même âge, pauvrement vêtue elle aussi. Tous deux, au rythme du cheval, enfonçaient leurs galoches dans la neige, l’air accablé, le visage marqué par une nuit de larmes. Le corbillard n’était qu’une espèce de charrette, que le croque-mort réservait à ceux qui n’étaient pas fortunés. Le cercueil fait d’un bois de mauvaise qualité, était attaché dessus. Désiré avait cloué au cours de la nuit les planches qu’il avait ramassées de-ci de-là ; puis, au lever du jour, il avait encore laissé couler ses larmes sur ce qui allait contenir le corps de sa fille Pauline, morte à quinze ans, emportée par le démon comme on le criait déjà depuis la veille dans tout le village.

Bientôt, le triste équipage arriva au cimetière.

Un homme attendait devant la grille, drapé dans une cape noire, coiffé d’un large chapeau de même couleur : c’était l’abbé Dubreuil, le curé de la paroisse.

Désiré eut un sursaut en l’apercevant, puis, à grandes enjambées, il dépassa le corbillard et se dirigea vers lui.

L’abbé eut un mouvement de recul en le voyant se planter devant lui, et Désiré laissa éclater aussitôt sa colère.

— Qu’est-ce que tu viens donc faire là, curé ? demanda-t-il.

L’abbé Dubreuil eut du mal à trouver ses mots, et parvint toutefois à dire :

— Je viens bénir le corps de Pauline.

Désiré se mit à ricaner.

— Ah oui, curé, comme ça, tu lui refuses ton église, et voilà que tu viens la bénir au cimetière ! Drôles de façons !

— Mais… mais, bredouilla l’abbé, c’est pour sauver son âme.

— Sauver son âme ! fit Désiré. Si seulement tu avais pu la sauver, elle, en ne nous envoyant pas celui qui l’a tuée !

— Mais… mais, bredouilla de plus belle l’abbé, c’était un exorciste, qui a tenté de chasser le démon qui avait pris possession de Pauline. Hélas, le démon a été le plus fort, et l’a l’emmenée.

— Foutaises, rétorqua Désiré, il la tuée ! En ne la laissant pas en paix pendant plus de deux jours, et en lui faisant ingurgiter de l’eau jusqu’à l’étouffer !

— Mais, objecta l’abbé, c’était de l’eau bénite. C’était pour chasser le démon du corps de Pauline.

— C’était pour la tuer ! insista Désiré. Tu ne peux pas savoir, curé, comme je regrette de ne pas avoir jeté ton maudit exorciste hors de chez moi ! Et je le regretterai jusqu’à mon dernier souffle ! Maintenant, retourne donc dans ton église, qu’on puisse mettre notre Pauline en terre dans la paix !

— Je t’en prie, mon fils, repartit l’abbé, je dois remplir mon office ; sinon, j’en connais qui ne vont pas la laisser tranquille ; qui ne veulent pas qu’elle soit enterrée au cimetière. Et ils on parlé de venir la déterrer durant la nuit.

Désiré eut un mauvais sourire.

— Qu’ils y viennent, dit-il avec morgue. Je les attends de pied ferme, ces villageois stupides ! En tout cas, pas la peine de bénir Pauline, elle l’a été suffisamment avec tout ce que lui a fait boire ton exorciste !

L’abbé soupira :

— Je t’aurai prévenu. Déjà, ceux dont je te parle voulaient venir au cimetière pour empêcher l’enterrement. Je les en ai dissuadés en leur promettant de bénir le corps, pour que personne ne risque rien.

Désiré cracha dans la neige. Puis, se retournant, il vit le corbillard arrêté, et le vieux cheval qui frissonnait.

— Allez curé, va-t-en donc ! fit-il. Nous n’avons plus de temps à perdre.

L’abbé Dubreuil obtempéra, et partit, l’air accablé.

***

Il y avait un homme qui n’avait rien perdu de la scène. C’était un villageois d’une cinquantaine d’années, vêtu d’un chaud manteau et coiffé d’une casquette. Il se dirigea vers le centre du village, et arriva bientôt à une petite place entourée de maisons de briques rouges, dont les cheminées fumaient abondamment. Parmi ces maisons, il y en avait une beaucoup plus grande que les autres : c’était l’auberge.

L’homme y entra, et y trouva une douce chaleur, ainsi qu’une agréable odeur de cuisine. L’aubergiste se tenait derrière son comptoir, arborant une chemise blanche aux manches bouffantes. Il avait un visage bien rond qui contrastait avec celui de son client : anguleux, en lame de couteau. Il était également doté d’une moustache rousse, buissonneuse, qui tombait jusqu’à son menton.

— Bonjour, Armand, fit-il, je te sers un coup de gnôle ?

L’autre hocha la tête en guise de réponse, puis commença :

— Cette nuit on va devoir y aller !

L’aubergiste qui avait saisi une bouteille d’eau-de-vie, regarda Armand en plissant les yeux.

— Il nous faut aller déterrer la fille du diable ! poursuivit le client. Ce mécréant de Désiré n’a pas voulu que l’abbé bénisse son corps. On ne peut pas la laisser avec nos morts. Elle pourrait les contaminer. Pense donc, une fille qui courait nue dans les bois. Et qui se baignait également nue dans la rivière. Il fallait bien qu’elle ait le diable au corps pour agir de la sorte. L’abbé a eu raison de faire venir l’exorciste ; mais enfin, c’était peine perdue ; et le diable l’a emmenée en enfer. Alors cette nuit, on va tous aller au cimetière déterrer son cadavre ! Et on ira le brûler loin du village. D’ailleurs, on aurait dû la conduire au bûcher de son vivant. Cela aurait été plus sûr pour tout le monde !

L’aubergiste poussa le verre qu’il avait rempli d’eau-de-vie vers Armand, qui le saisit d’une main tremblante. Il le porta péniblement à ses lèvres, et le vida d’un trait ; puis il le reposa sur le comptoir en disant :

— Tu n’es pas d’accord avec moi, aubergiste ?

Ce dernier affichait une grande tristesse.

— Il serait peut-être temps de laisser cette pauvre enfant tranquille, déclara-t-il.

Armand eut un mouvement de recul.

— Comment, tu es passé dans le camp des mécréants !

L’aubergiste secoua doucement la tête en fixant son client.

— Je ne suis dans le camp de personne. Mais qui a vraiment vu Pauline courir et se baigner nue comme on l’a prétendu ?

— Quelqu’un ! lâcha Armand en tendant son verre vide.

***

La journée s’écoula sans qu’il n’arrivât rien de particulier. Quand le soir tomba, il faisait très froid, et l’on se doutait que la nuit serait glaciale.

Celle-ci était déjà bien avancée, lorsqu’un étrange cortège s’approcha du village sur lequel la pleine lune jetait son halo blafard. Il s’agissait de toute apparence de moines qui étaient au nombre de quatre. Ils portaient chacun un manteau dont ils avaient rabattu la capuche sur leur tête, et marchaient pieds nus dans la neige, les mains enfouies dans les manches de leur vêtement. Ils se déplaçaient lentement et en silence, et petit à petit ils atteignirent la première maison du village : celle des parents de Pauline. L’un des moines alla frapper à la porte tandis que les autres restaient à l’écart. La porte s’ouvrit, et le religieux s’entretint avec Désiré qui se tenait immobile, écoutant attentivement ce que son mystérieux visiteur lui disait.

Puis ce dernier alla bientôt rejoindre ses compagnons, et le groupe se remit en marche.

***

Dans l’auberge, installés au comptoir, dix hommes chaudement vêtus et munis chacun d’une pelle, vidaient moult verres de gnôle. C’était à celui qui crierait le plus fort que l’on allait brûler la fille du diable. Ils avaient tous la face rougie par l’alcool. Armand, qui était de loin le plus éméché, clama qu’ensuite ils iraient brûler également la maison de ce mécréant de Désiré, malgré les regards réprobateurs de l’aubergiste.

Mais soudain, le silence se fit dans l’établissement, lorsque la porte s’ouvrit et qu’apparurent les mystérieux moines. Chacun en oublia son verre de gnôle, et les suivit des yeux tandis qu’ils allaient prendre place à une table. Et la surprise fut grande lorsqu’ils eurent ôté leur capuche, car on put alors voir qu’ils avaient à la fois le crâne entièrement lisse et des visages de femmes.

Beaucoup parmi les hommes présents ne parvinrent pas à retenir une exclamation.

L’aubergiste sortit de derrière son comptoir, et se rendit à la table de ces étranges personnes. Il s’entretint avec l’une d’elles, et lorsqu’il revint, Armand lui demanda :

— Ce sont bien des femmes ?

— Je n’en sais rien, fit l’aubergiste tandis qu’il repassait derrière son comptoir.

— Et qu’est-ce que tu vas leur servir ? insista Armand.

— Un bol d’eau fraîche, lâcha l’aubergiste.

C’est bien ce qu’il alla porter à ces personnes singulières, tandis qu’Armand commandait de la gnôle pour ses comparses. Tous burent sans retenue, jusqu’à ce que les mystérieux moines se lèvent et quittent l’auberge.

Alors, Armand qui avait maintenant le visage écarlate, déclara que le moment était venu d’aller déterrer la fille du diable.

Mais quand il voulut entraîner à sa suite tous ses complices, il y eut un grand murmure.

— Vous ne venez pas ? demanda-t-il d’une voix mal assurée.

Le murmure se fit encore plus grand, et la plupart des hommes laissèrent tomber leur pelle sur le sol. Puis ils avouèrent qu’ils avaient ressenti la venue des moines comme un avertissement, et qu’ils n’iraient pas au cimetière.

Fou de rage, Armand annonça qu’il se passerait d’eux, que lui seul n’était pas un vil mécréant.

En fait il partit accompagné de deux hommes enhardis par la gnôle, qui le suivirent en bredouillant « qu’ils allaient eux aussi brûler la fille du diable ».

Le froid vif du dehors leur fit cependant reprendre assez vite leurs esprits, et ils commencèrent à se traîner derrière leur meneur. Celui-ci montra également des signes d’hésitation, en voyant soudain devant lui les moines qui se dirigeaient tranquillement vers le cimetière. Mais ne voulant pas perdre la face, il s’encouragea en clamant que grâce à lui et aux deux braves qui le suivaient, les morts du village allaient pouvoir continuer à reposer en paix, ce qui redonna finalement de la vigueur à chacun. Et ce fut ainsi que moines et soiffards arrivèrent pratiquement ensemble au cimetière. Les religieux semblaient n’avoir cure de la présence des individus dépravés qui n’étaient plus qu’à quelques mètres derrière eux, quand ils parcoururent l’allée menant à l’endroit où avait été enterrée Pauline. Il n’y avait pas de caveau ; Désiré n’ayant pas les moyens d’offrir le moindre monument funéraire à sa fille. Il n’y avait qu’un renflement de terre, recouvert par le givre que l’éclat de la pleine lune faisait scintiller, pour indiquer où Pauline reposait. Les moines se placèrent de part et d’autre de cette misérable tombe ; et sous le regard médusé d’Armand et de ses sbires, ils se débarrassèrent prestement de leur manteau pour apparaître complètement nus sous la lune.

Leurs corps étaient très blancs et dépourvus de sexe, ce qui fit s’arrondir les yeux des soiffards qui se tenaient tout près. Puis, d’un coup il y eut une incroyable luminosité : les corps des moines étant devenus phosphorescents. Et les mystérieuses créatures se mirent aussitôt à exécuter une danse des plus étranges autour de la tombe.

Armand et ses complices en demeurèrent abasourdis. À tel point qu’ils ne réagirent même pas lorsqu’une pluie très froide commença à tomber. Cette pluie devint bientôt de la glace, et si celle-ci glissait manifestement sur les créatures phosphorescentes, elle commença à s’accumuler sur les soûlards toujours ébahis, jusqu’à former une carapace prête à les figer sur place.

 

 

****

Le lendemain matin, il faisait glacial, si bien que personne n’osait sortir de sa demeure.

Mais quiconque aurait eu le courage de braver ce froid peu commun, et se serait rendu au cimetière, aurait vu un spectacle des plus singuliers. Dans une allée, il y avait trois statues de glace tenant chacune une pelle : Armand et ses complices prisonniers de leur carapace. Et un peu au-dessus, entre deux tombes couvertes de neige durcie par le gel, il y avait une fosse vide ; seul un peu de givre en tapissait le fond.

Et quiconque se serait rendu dans le bois à la sortie du village, aurait peut-être aperçu à son grand étonnement, une jeune fille courant nue dans la neige ; insensible au froid mordant ; libre, riante et heureuse ; dans toute la pureté de ce matin de glace.

Patrick S. VAST - Tous droits réservés.